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Calais

Le ministère de l’Intérieur à nouveau épinglé pour sa gestion de la situation à Calais

Dix jours après avoir reçu l’ordre par le Conseil d’État d’aménager la « Jungle » calaisienne, Bernard Cazeneuve se retrouve réprimandé par la contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Pierre Longeray
Paris, FR
(Photo de Prederick Paxton / VICE News)

Dix jours après avoir reçu l'ordre par le Conseil d'État d'aménager la « Jungle » calaisienne, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, se retrouve ce mercredi à nouveau réprimandé pour sa gestion de la crise migratoire à Calais. Cette fois-ci, c'est la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) qui critique les méthodes du ministre appliquées dans cette ville où près de 4 500 migrants patientent pour passer clandestinement au Royaume-Uni.

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Cette annonce de la CGLPL survient après une nuit encore agitée à Calais.

Dans la nuit de mardi à mercredi, des migrants ont jeté des pierres sur la police sur la rocade portuaire (où les migrants essayent de monter dans des camions pour rejoindre le Royaume-Uni). Entre 10 et 50 migrants ont essayé de bloquer la circulation entre minuit et 5 heures du matin a déclaré la Préfecture du Pas-de-Calais.

Par un arrêté préfectoral, la Préfecture a décidé d'interdire la rocade portuaire aux piétons — donc aux migrants — jusqu'à la fin de l'état d'urgence, déclaré en France après les attentats du 13 novembre.

« Désengorger » la Jungle

Dans un document de 8 pages, Adeline Hazan, la CGLPL, reproche au ministre de l'Intérieur de pratiquer une utilisation « détournée » des placements en centre de rétention des migrants (où sont détenues les personnes qui n'ont pas de papiers). Hazan accuse le ministre d'avoir recours au transfert de migrants vers des centres de rétention de partout en France pour « désengorger » Calais selon le terme employé par Hazan.

Hazan révèle que les autorités françaises ont « déplacé » 779 migrants installés dans la « Jungle », entre le 21 octobre et le 10 novembre 2015, vers ces centres de rétention disséminés en France — notamment à Metz, Marseille, Rouen, Paris, Toulouse ou Nîmes. Pourtant, le centre de rétention le plus proche de Calais (celui de Coquelles à 5 kilomètres) n'était pas plein et pouvait donc encore accueillir des gens.

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Pour Hazan, ces transferts dévoient la fonction première des centres de rétention— à savoir, permettre d'organiser le retour des migrants dans leurs pays d'origine — et permettent « de répartir sur l'ensemble du territoire français » les migrants et de fait les éloigner de Calais.

En effet, sur les 779 personnes placées dans ces centres 578 ont été libérées, 15 ont été réadmises dans un pays de l'Union européenne, et 186 étaient encore retenues au 10 novembre. Donc aucune personne n'avait (encore) été renvoyée vers son pays d'origine.

« Le nombre très important de remises en liberté sur décision de l'administration démontre une absence de volonté de mise à exécution des OQTF [ndlr, obligation de quitter le territoire français] émises », note la CGLPL.

Cela n'est pas vraiment une surprise puisque la majorité des 779 personnes placées en rétention viennent de pays particulièrement sensibles : Syrie, Afghanistan, Irak, Érythrée et Soudan. La situation politique et humanitaire de ces pays est telle, que « nombre de ces personnes ne peuvent, en pratique, y être reconduites » note Hazan.

De multiples atteintes aux droits

Si le principe même de cette politique qui consiste à se servir de la privation de liberté pour désengorger Calais est critiqué par Hazan, elle pointe aussi plusieurs atteintes aux droits fondamentaux lors de la procédure.

En premier lieu, ces transferts représentent une atteinte au droit du maintien des liens familiaux d'après la CGLPL. En effet, nombre de migrants envoyés dans ces centres ont été séparés de « leur famille, principalement de leurs frères ou cousins mineurs laissés libres, et se sont inquiétés de l'avenir de ceux-ci, désormais seuls, » note Hazan.

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La CGLPL pointe aussi un « accès insuffisant aux droits et à l'information » : certains migrants n'ont pas eu droit à un interprète pour qu'on leur explique qu'ils étaient placés en rétention, d'autres n'ont pas reçu d'informations sur les associations d'aide juridique ou l'organisation de la vie dans le centre de rétention.

Les contrôleurs de la CGLPL ont aussi observé des « actes stéréotypés et des procédures non individualisées » : des migrants ont reçu des formulaires de décision de mise en rétention identiques, parfois préremplis et recourant à des motivations identiques. « Ces documents, manifestement préparés à l'avance, témoignent d'une absence d'examen de la situation individuelle de chaque personne », note Hazan.

Dans une longue lettre adressée à la CGLPL, Bernard Cazeneuve a répondu aux accusations qui lui sont faites, déclarant notamment : « Dans un contexte migratoire qui impose au plus haut niveau la sécurisation de la zone portuaire et des abords du tunnel sous la Manche, les services de l'État utilisent de manière rationnelle la vocation nationale des centres de rétention. »

Tensions à Calais

« Ce n'est pas la première fois que de tels incidents ont lieu sur cette zone, » nous a confirmé la préfecture, contactée ce mercredi. La priorité est de « sécuriser » la rocade, nous explique-t-on. Plusieurs accidents ont déjà eu lieu, notamment des automobilistes qui sont rentrés dans des migrants présents sur la chaussée.

« La situation créée par la présence de migrants sur la rocade portuaire de Calais a pour conséquence des risques importants en matière de sécurité routière, tant pour les piétons que pour les véhicules empruntant cette route, » peut-on lire dans le communiqué de la préfecture.

La semaine dernière, un chauffeur de poids lourd hongrois avait diffusé sur YouTube une vidéo de lui qui accélère et freine brusquement vers des migrants qui tentent de monter dans des camions sur la rocade portuaire de Calais.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray