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Etats-Unis

Le mouvement sécessionniste californien ouvre sa première « ambassade » — à Moscou

Au cours des dernières années, la Russie s'est liée à divers partis radicaux et à des groupes séparatistes avec l'objectif de semer la discorde parmi ses rivaux.

Le mouvement sécessionniste californien Yes California a ouvert son premier avant-poste à l'étranger ce dimanche et c'était à Moscou. Installés dans les locaux d'un institut de recherche au nord-ouest de la capitale russe, les bureaux sont qualifiés d' « ambassade », par le membre fondateur et président du groupe, Louis Marinelli — un trentenaire trapu avec des cheveux poivre et sel.

Des photos de Fidel Castro, Che Guevara, Hugo Chavez et Bachar Al-Assad sont accrochées sur un mur. Un portrait de Vladimir Poutine occupe une place d'honneur entre un sapin de Noël et un drapeau russe. Et on peut lire sur une bannière bleue « Bienvenue à l'ambassade de la République indépendante de Californie — Moscou, Russie ».

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Marinelli nie recevoir de l'aide du Kremlin. Toutefois, l'ouverture de l'« ambassade » de son groupe dans la capitale russe pose des questions sur l'influence croissante et obscure de la Russie sur la politique intérieure de pays occidentaux. Au cours des dernières années et alors que ses relations avec l'Europe et les États-Unis se dégradaient, la Russie s'est liée à divers partis radicaux et à des groupes séparatistes avec l'objectif de semer la discorde parmi ses rivaux. Depuis, ces efforts font face à une forte surveillance depuis que les services américains ont découvert l'influence russe dans le résultat des présidentielles.

« Du point de vue du Kremlin, soutenir ce genre d'opportunités — en aidant des partis politiques extrémistes en Europe ou des mouvements sécessionnistes en Europe ou aux États-Unis — revient à soutenir l'opposition dans ces pays concurrents de la Russie », explique Alina Polyakova, une membre associée au think tank Atlantic Council, basé à Washington. « C'est pour déstabiliser les États occidentaux. »

Le fondateur de Yes California, Louis Marinelli, et le président du Anti-Globalist Movement, Alexander Ionov, répondent aux questions pendant l'ouverture de l'ambassade de Yes California, à Moscou, le 18 décembre dernier.

Le mouvement Yes California est marginal à tous les niveaux, mais il gagne de plus en plus d'attention depuis que Donald Trump a été élu président en novembre, alors qu'Hillary Clinton l'a devancé de plus de 4 millions de voix dans le "Golden State". Selon Marinelli, la Californie devrait quitter le « foyer dysfonctionnel » que sont les États-Unis pour qu' « on puisse se gouverner comme on veut, et que le reste des États-Unis se gouverne comme il le souhaite ». Le groupe est déjà suivi par 29 000 personnes sur Facebook et continue à agiter la Californie de l'intérieur. Notamment grâce à son vice-président Marcus Ruiz Evans, auteur du livre California's Next Century.

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Marinelli souhaite un « Calexit », qui pourrait devenir réalité suite à un référendum qu'il veut organiser en 2019. S'il y parvient — ce qui est fort peu probable — et que la Californie se sépare des États-Unis, Marinelli dit que le 31ème État va postuler pour devenir un pays membre des Nations unies. Pour se faire, il aura besoin du vote de la Russie qui siège au Conseil de sécurité de l'ONU.

Des clichés de Fidel Castro, Hugo Chavez et Bachar Al-Assad accrochés sur un mur à l'intérieur du premier avant-poste de Yes California à l'étranger, à Moscou.

Yes California a gagné le soutien de l'Anti-Globalist Movement de Russie, qui promeut les causes séparatistes dans d'autres pays et a des liens directs avec le Kremlin. L'espace de l'« ambassade » a été cédé par le mouvement russe après que Marinelli a assisté à une conférence séparatiste en septembre dernier. Mais l'Anti-Globalist Movement a assuré que le gouvernement russe n'avait « pas donné un rouble » pour l'ouverture de l'ambassade.

Cet Anti-Globalist Movement de Russie illustre bien la manière dont Moscou entretient des relations troubles avec des groupes d'extrême droite et d'extrême gauche dans toute l'Europe et les États-Unis. Le groupe a reçu de l'argent public pour organiser des conférences avec d'autres mouvements séparatistes étrangers comme Yes California, et des proches du gouvernement ont assisté à plusieurs d'entre elles. En 2015, un membre de la Chambre civique — une institution consultative dont de nombreux membres sont nommés par le président russe —, ainsi qu'un leader du parti d'extrême droite Rodina étaient présents dans le public.

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Toutefois, les mouvements indépendantistes à l'intérieur de la Russie ne connaissent pas le même sort. De nombreux membres de tels groupes ont été poursuivis dans le cadre d'une stricte loi antiséparatiste qui a vu le jour en 2014.

Les groupes séparatistes bénéficient du soutien du Kremlin tant à l'intérieur de leurs pays qu'à l'étranger. En Russie, les médias tenus par l'État parlent de ces groupes notamment dans le but de montrer que les « États-Unis s'écroulent », selon Alexey Kovalev, un ancien employé de l'agence russe RIA Novosti qui est depuis à la tête d'un site destiné à la démystification de la propagande. Russia Today et Life étaient les seuls médias russes présents à l'ouverture de l'ambassade de Yes California. Le premier est une chaîne gérée par l'État ; l'autre est un tabloïd très proche du Kremlin.

Mais les groupes extrémistes peuvent aussi servir d'instruments de la Russie, notamment pour semer la division parmi ses rivaux. Certes, l'ambassade de Yes California ne va pas dépasser le stade d'un coup de communication. Mais des groupes plus importants ainsi que des partis politiques ont reçu un soutien politique et financier du Kremlin et d'organisations liées. Ce lundi, par exemple, le parti autrichien d'extrême droite et anti-immigration, le Parti de la Liberté (FPÖ), a signé un « accord de coopération » à Moscou avec le parti Russie unie, actuellement au pouvoir.

Le président de l'Anti-Globalist Movement, Alexander Ionov, nie le fait que la Russie promeut des groupes séparatistes dans le but de semer la discorde en Occident. Selon lui, le Mouvement Nationaliste du Texas et Yes California ont voulu d'eux-mêmes ouvrir une ambassade après avoir assisté à leurs conférences séparatistes en 2015 et en 2016.

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« Trouvez-moi un seul responsable russe qui dit que la Californie ou le Texas devraient être indépendants, » a lancé Ionov.

En effet, ce n'est pas un sujet très en vogue au parlement russe. Toutefois, alors que Moscou peut ne pas afficher son soutien direct, le gouvernement a compilé discrètement des contacts parmi des partis extrémistes et des mouvements séparatistes au sein de plusieurs pays occidentaux. Il a également élargi le champ d'action des médias officiels RT et Sputnik, qui ouvrent souvent leurs antennes à des activistes occidentaux de l'extrême gauche et de l'extrême droite. Si on les regroupe, ces opérations forment un réseau d'influences obscur et en croissance dans toute l'Europe et les États-Unis.

En 2014, le Front National a emprunté 9 millions d'euros auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB) basé à Moscou, dont le propriétaire est un partenaire historique de Gennady Timchenko, ami personnel du président russe Vladimir Poutine. Dans des SMS révélés par des hackers russes d'Anonymous International, un responsable de l'administration russe se demandait comment remercier le parti de Marine Le Pen pour son soutien suite à l'annexion de la Crimée. Le Pen a elle-même rencontré des officiels à Moscou et le parti français a demandé un nouveau prêt de 30 millions de dollars en septembre, selon Le Canard Enchaîné.

Les autorités européennes ont repéré les liens de la Russie avec les partis politiques européens. En février, le gouvernement allemand a demandé à ses services secrets d'enquêter sur des partis populistes comme l'AfD, afin de voir s'ils ont été également financés par le Kremlin.

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À partir d'échanges d'e-mails, les hackers d'Anonymous International ont également dévoilé la main mise de Konstantin Malofeyev, un oligarque russe très proche du Kremlin et l'ont accusé de financer des forces séparatistes pro-russes dans l'est de l'Ukraine. Selon ces courriels, il aurait payé pour que des conservateurs religieux des États-Unis et d'autres pays viennent à Moscou. Il aurait aussi organisé des conférences pour des militants d'extrême droite dans la capitale russe et à Vienne. De plus, un Américain à la tête d'un site pro-russe aurait demandé à Malofeyev de le financer. (Difficile de dire si l'argent a été envoyé ou non.)

En 2015, le parti Rodina a organisé le premier Forum Conservateur International à Saint-Pétersbourg. Parmi les invités, des membres de groupes européens qualifiés de suprémacistes blancs et de néo-Nazis, comme le Parti des Suédois, le Parti démocratique national d'Allemagne ou le parti grec Aube dorée. Des suprémacistes américains étaient également de la partie, notamment un avocat du Klu Klux Klan, ainsi qu'un membre du parlement russe, Alexei Zhuravlyov. Par la suite, l'un des intervenants dans ce forum, l'activiste britannique d'extrême droite et admirateur de Poutine, James Downson, a créé un site de fausses informations pro-Trump pendant la campagne présidentielle américaine.

Toutefois, Moscou ne courtise pas que des partis de droite. Des groupes séparatistes, dont de nombreux de gauche, comme Yes California, y trouvent également un écho.

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L'Anti-Globalist Movement de Ionov, par exemple, a organisé deux conférences sur le « Dialogue des Nations » avec des séparatistes venants d'Hawaï, de Porto Rico, d'Irlande et d'Espagne. Le financement des deux événements vient du Fonds National de Charité, une entité créée par Poutine en 1999 qui récupère de l'argent auprès d'entreprises publiques et d'oligarques. Et Ionov lui-même a de bons contacts : il a un siège au sein d'Antimaïdan, un groupe pro-Kremlin mené par Dmitry Sablin, membre du parlement, et Alexander Zaldostanov, un ami de Poutine.

À l'intérieur des bureaux de l'Anti-Globalist Movement, on peut lire une lettre de Poutine, où il remercie Ionov pour son « travail visant à renforcer l'amitié entre les peuples », encadrée sur un mur.

Malgré ses relations avec l'Anti-Globalist Movement, Marinelli refuse de dire que Yes California est un outil du Kremlin, et a dit qu'il n'était pas le seul à s'être retrouvé dans cette position, rappelant que les révolutionnaires américains avaient reçu de l'aide de la France. Mais le contexte actuel, où les services américains ont découvert l'interférence russe dans l'élection présidentielle, pose problème. Le timing et l'emplacement de ce premier bureau international passe alors pour de la naïveté sans limites ou du cynisme profond. Martinelli dit qu'il est sceptique quant à l'implication des Russes sur le résultat de la présidentielle et estime que les services américains ont également trompé l'opinion dans le passé.

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À l'origine du mouvement, Marinelli est un natif de Buffalo qui a déménagé en Californie une fois majeur. Selon lui, Yes California est né après que le référendum sur l'indépendance de l'Écosse a échoué en 2014. Depuis 2006 il fait des séjours en Russie pour quelques jobs dans l'enseignement et a déménagé depuis peu de San Diego à Iekaterinbourg, la quatrième ville russe située à quelque 1 400 kilomètres à l'est de Moscou, où il enseigne l'anglais. Il dit vouloir rentrer en Californie une fois cet hiver et une autre fois l'été prochain pour aider la campagne de Yes California. Mais il va sans doute devoir laisser la tête du mouvement au numéro deux, Ruiz Evans.

« La division au sein des États-Unis existe déjà — peu importe le rôle de la Russie », a dit Marinelli.

Selon Ionov, la question de l'indépendance doit être posée au peuple californien.

« Nous attendons le référendum, » a-t-il dit. « Peut-être que cela se passera comme en Crimée — une séparation sans heurts. »


Alec Luhn est un journaliste basé à Moscou et il a déjà écrit pour le Guardian, le New York Times, Politico, Slate, Time et d'autres. Vous pouvez le suivre sur Twitter à @ASLuhn