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FRANCE

Le Parlement français adopte définitivement la loi sur le renseignement

Si la loi reste très controversée, elle a été votée par une large majorité mercredi soir — après quelques légers ajustements. François Hollande, a saisi ce jeudi le Conseil Constitutionnel pour évaluer la constitutionnalité de la loi
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via Wikimedia Commons / Richard Ying et Tangui Morlier

Ce mercredi soir, les députés français ont adopté définitivement — avec une large majorité transpartisane — le projet de loi sur le renseignement, après avoir reçu le vote favorable des sénateurs la veille.

Poussé au nom de la lutte antiterroriste dans le contexte de l'après attaques sur Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, ce texte doit permettre d'étendre les prérogatives allouées aux services de renseignement français — et même de placer dans un cadre légal des pratiques de surveillance jusqu'ici illégales. En effet, comme l'expliquait à VICE News, Bertrand Warusfel, professeur à l'Université Lille 2 et avocat au barreau de Paris, « Les services de renseignement travaillaient sans filet et sans cadre juridique. »

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Cette nouvelle loi fait largement débat, notamment parce qu'elle fait craindre à ses opposants, la mise en place d'une « surveillance de masse, » à la manière des États-Unis et de la NSA. Si la loi a été finalement adoptée, le président de la République, François Hollande a décidé à la mi-journée de ce jeudi de saisir le Conseil Constitutionnel, pour juger de la constitutionnalité de la loi — une première pour un président sous la Veme République. Le conseil des Sages devra rendre sa décision sous 30 jours. S'il refuse la constitutionnalité de la loi, celle-ci devra être révisée.

À lire : La surveillance de masse, l'option retenue par le projet de loi sur le renseignement français

Le texte adopté a subi quelques retouches par rapport au projet de loi originel.

Des demi-lanceurs d'alerte

Un amendement de dernière minute y a été inséré. Il affaiblit le dispositif de protection des lanceurs d'alerte (comme Edward Snowden). Originellement, il était prévu qu'un agent des services de renseignement puisse contacter une instance dédiée — la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) — s'il était témoin d'abus au sein de son service, devenant un lanceur d'alerte. Avec le nouvel amendement, l'agent ne pourra pas communiquer d'information classifiée à la CNCTR, s'il souhaite dénoncer un abus. L'instance devra donc juger de l'illégalité dudit abus sans en avoir connaissance, et les lanceurs d'alerte au sein des services secrets ne pourront donc pas révéler de véritables « secrets » comme cela avait été prévu.

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La surveillance des étrangers en France encadrée

Le président de la commission des lois de l'Assemblée Nationale, Jean-Jacques Urvoas (Parti socialiste), avait inséré, le 16 juin, une disposition qui aurait dû permettre aux services de renseignement de surveiller les étrangers de passage en France. Cette surveillance aurait dû se faire avec l'aval du Premier ministre, mais sans le contrôle de la CNCTR (sorte de garde-fou des pratiques des services de renseignement qui sera mis en place avec la loi adoptée ce mercredi). Cet ajout d'Urvoas aurait donc permis d'espionner un diplomate de passage à Paris sans l'accord de la CNCTR. Le gouvernement a finalement décidé d'abandonner cette disposition. Il faudra passer par la CNCTR pour opérer une telle surveillance.

Des professions protégées

Le gouvernement a aussi introduit un amendement pour protéger certaines professions : les magistrats, parlementaires, avocats et journalistes. Une autorisation spéciale du Premier ministre sera nécessaire pour les surveiller. Leur domicile ne pourra pas être placé sous surveillance.

Un contexte qui a accéléré les choses

Ainsi, en 3 mois — un temps record — le projet de loi a réalisé le parcours législatif sans heurts. Si le projet de loi était dans les cartons depuis plus d'un an, les attentats du mois de janvier en France (notamment contre la rédaction du journal Charlie Hebdo et le magasin HyperCacher) ont indéniablement accéléré le processus législatif. Lors des débats à l'Assemblée et au Sénat pour confectionner la mouture finale de la loi, le thème du terrorisme était omniprésent. Le journal Le Monde note que les termes terroriste et terrorisme ont été prononcés plus de 300 fois au Sénat lors des débats. Pourtant la loi concerne le renseignement au sens large, donc aussi l'espionnage économique, par exemple.

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Malgré l'expression de voix fortes contre le projet dans la société civile, le texte adopté ce mercredi est très proche de ce qui avait été prévu dans le projet de loi originel.

Un des principaux points d'achoppement autour du texte s'était concentré autour de la disposition permettant d'installer des « boîtes noires » chez les fournisseurs d'accès à Internet. Elle a finalement été adoptée. Ces boîtes noires vont pouvoir détecter, à l'aide d'un algorithme, les comportements suspects — comprendre : repérer de potentiels terroristes. Pour nombre d'opposants, cette technique fait craindre une surveillance de masse. Seul changement apporté par les parlementaires à cette disposition : un accord de la CNCTR sera nécessaire pour l'identification des personnes repérées par l'algorithme.

La nouvelle loi va aussi permettre aux services de renseignement français d'utiliser des « IMSI catchers » qui permettent d'intercepter toutes les données téléphoniques dans un périmètre précis. L'utilisation de ces petites valises peut permettre de mener une filature, mais elles ont pour inconvénient d'aspirer aussi toutes les données des personnes qui se trouvent à proximité de l'individu filé par les services de renseignement.

Une des grandes nouveautés qu'apporte la loi est la création de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Problème, cette instance qui doit permettre de contrôler les activités de surveillance des services de renseignement n'a qu'un rôle consultatif. Le seul maître à bord reste le Premier ministre, puisqu'il peut ignorer les décisions de la CNCTR, et prend seul les décisions en cas d'urgence.

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À lire : Les nouveaux super-pouvoirs des services de renseignement français

François Hollande n'est pas le seul à avoir saisi le Conseil Constitutionnel (CC) pour juger de la constitutionnalité de la loi. 106 députés — à l'initiative de Laure de La Raudière et de Pierre Lellouche, deux députés Les Républicains (anciennement UMP) — ont aussi l'intention de saisir le Conseil des Sages. Pour Laure de la Raudière (LR), « Le texte pose des vraies questions de constitutionnalité car il ne trouve pas le juste équilibre entre le renforcement nécessaire des moyens des services de renseignement […], et le respect des libertés individuelles, » explique-t-elle au journal La Tribune pour justifier la saisie du CC.

De son côté, le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), a lui aussi annoncé, ce mercredi, qu'il saisirait le CC. L'acte III de la loi sur le renseignement se jouera donc dans l'aile Montpensier du Palais Royal, siège du Conseil Constitutionnel. Réponse définitive dans un mois.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray 

Panorama de l'hémicycle de l'Assemblée nationale réalisé avec des photos prises en septembre 2009. Image via Wikimedia Commons / Richard Ying et Tangui Morlier