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FRANCE

Le Pen vs Le Pen : « Sa fille, sa créature, lui échappe »

Après avoir déclaré dans un journal d’extrême droite qu’il faut « sauver l’Europe boréale et le monde blanc », le fondateur du Front National risque l’exclusion de son parti par sa fille qui tente d’améliorer l’image de la formation.
Image via Wikimedia Commons / Blandine Le Cain

« Pourquoi est-ce qu'il s'acharne à affaiblir le Front National ? » s'est demandé Marine Le Pen, présidente du Front National, ce jeudi soir sur le plateau du journal de 20h de TF1. Cible de ces interrogations, son père, Jean-Marie Le Pen, 86 ans, président d'honneur et principal fondateur du Front National (FN), qui a scandalisé les cadres de son propre parti après des déclarations polémiques dans le journal Rivarol. « Un ignoble torchon,» a dit Marine Le Pen. « J'ai des désaccords anciens et profonds avec Jean Marie Le Pen » a dit celle qui lui a succédé à la tête du parti.

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Face au journaliste Gilles Bouleau, elle a annoncé avoir « décidé l'ouverture d'une procédure disciplinaire, et donc Jean Marie Le Pen sera convoqué ». En ce qui concerne la possible candidature dans la région PACA pour les prochaines élections, et la question du retrait obligé ou non de son père, Marine La Pen a indiqué : « Je pense qu'il n'est plus en situation d'être, comme il le dit lui-même « la meilleure locomotive ».» Sans dire explicitement qu'il devrait démissionner du parti, elle a expliqué « qu'il peut mettre fin à ce trouble », en appelant à la « sagesse» de son père. Si elle s'opposera personnellement à cette candidature en PACA, le bureau politique, lui, se prononcera sur le sujet à la mi-avril.

L'indéboulonnable Jean-Marie Le Pen pourrait donc être exclu du parti après avoir multiplié pendant une semaine les déclarations outrancières dans différents organes de presse, en parlant des chambres à gaz comme d'un « détail de l'histoire » et de la nécessité de défendre « le monde blanc »

Sa fille, Marine Le Pen, lui a succédé en 2011 à la présidence du parti. Elle a fait savoir ce mercredi dans un communiqué qu'elle se voyait « contrainte de réunir rapidement un bureau exécutif afin d'envisager avec lui les moyens de protéger au mieux les intérêts politiques du Front national », confronté à « la stratégie de la terre brûlée et suicide politique » de son ancien dirigeant. Cette crise entre les Le Pen est le dernier épisode de l'affrontement de deux conceptions du parti frontiste. Celle du père, sulfureuse, flirtant avec les positions xénophobes et antisémites, celle de la fille et de son opération de dédiabolisation du Front National entamé dès sa prise de fonction, notamment en dégageant des groupuscules violents.

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Interrogé le 2 avril dernier, au lendemain d'un score aux départementales en demi-teinte — bien qu'ayant obtenu un résultat sans précédent pour des élections locales, le parti n'a pas été en mesure d'emporter de département — le président d'honneur du FN déclare : « Ce que j'ai dit correspondait à ma pensée, que les chambres à gaz étaient un détail de la guerre, à moins d'admettre que c'est la guerre qui était un détail des chambres à gaz. »

C'est la cinquième fois depuis 1987 qu'il s'exprime ainsi sur ce sujet. Cela lui a déjà valu des condamnations. En 2005, Le Pen père lâchait qu' « un Front gentil, ça n'intéresse personne ». Et se rengorgeait : « avant le "détail" 2,2 millions d'électeurs, après 4,4 millions ».

Cette nouvelle déclaration du père a provoqué l'ire de sa fille et de son entourage, qui cherchent à « dédiaboliser » le FN, c'est-à-dire en faire un parti comme les autres. Marine Le Pen, avant même d'être élue à la succession de son père, travaillait à la suppression du marqueur antisémite accolé au FN. Le lendemain de la saillie de Jean-Marie Le Pen, la présidente du FN, comme à chaque fois que son père fait des allusions antisémites, se déclare « en profond désaccord sur la forme et le fond » avec lui.

Le FN de 1972 contre le FN de 2015

L'histoire aurait pu s'arrêter à ce recadrage par la fille. « Je ne suis pas homme à changer d'avis ni à ramper », répond alors Jean-Marie Le Pen, en profond désaccord idéologique avec son héritière. Il donne quelques jours plus tard une interview de deux pages dans l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol paru ce jeudi, mais dont le contenu a été divulgué ce mardi. Dans cet entretien, l'ancien candidat à l'Élysée revisite tous les thèmes qui lui sont importants, notamment une certaine clémence pour le maréchal Pétain — qui a collaboré avec l'Allemagne nazie — et la lutte contre l'immigration. Il dit à Rivarol qu'il faut « impérativement nous entendre avec la Russie pour sauver l'Europe boréale et le monde blanc. »

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Dans ces pages, le Premier ministre Manuel Valls, né à Barcelone et naturalisé français est directement attaqué, en raison de ses origines, par Jean-Marie Le Pen, qui déclare : « Valls est français depuis trente ans, moi je suis français depuis mille ans. Quel est l'attachement réel de Valls à la France ? Cet immigré a-t-il changé du tout au tout ? » On trouve aussi une attaque en règle de la démocratie — « Je comprends tout à fait qu'on mette en cause la démocratie, qu'on la combatte, » dit-il. Sur l'un des points d'affrontement fort avec la nouvelle doctrine politique de sa fille, il réaffirme que son parti est de droite, avec un programme économique libéral, et non « ni de droite ni de gauche » comme le répète souvent Marine Le Pen.

Valérie Igounet, historienne et spécialiste de l'extrême droite explique ce jeudi à VICE News que Jean-Marie Le Pen, par cette interview, renoue avec les fondamentaux du FN de 1972, date de création du parti. « Dans cet entretien, il parle de la chasse aux 'socialo-communistes', or on n'entend plus parler de ce terme depuis des décennies, » fait remarquer l'historienne. « Aujourd'hui, Marine Le Pen représente un parti d'extrême droite de 2015. Le FN de 1972 a changé, mais c'est toujours le même FN, qui reste sur les fondamentaux d'un parti d'extrême droite, bien que depuis le début, le parti réfute ce qualificatif [d'extrême-droite], » poursuit Valérie Igounet, pour qui cette crise est une « bataille larvée qui éclate au grand jour ».

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Cette « bataille larvée » s'était déjà exprimée dans les colonnes de Rivarol, farouchement opposé à Marine Le Pen. Jean-Marie Le Pen avait déjà choisi ce journal pour se défendre l'an dernier, quand la présidente du FN l'avait accusé d'avoir commis une « faute politique » en promettant aux artistes opposés au FN, dont le chanteur de confession juive Patrick Bruel, « une fournée ». « La diabolisation ne dépend pas de nous. Elle dépend de nos ennemis, » avait alors répondu Jean-Marie Le Pen dans Rivarol.

« Deux personnes têtues »

En réponse à cet inventaire de propos polémiques dans un magazine qui a été condamné en 2014 pour « provocation à la haine envers les juifs », Marine Le Pen a déclaré ce mercredi qu'elle voulait empêcher son père de briguer la région PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur) aux élections régionales de décembre 2015, lui interdisant ainsi de mener son dernier combat politique, dans une région que le FN est en mesure de gagner (le parti y a emporté un tiers des voix lors du dernier scrutin). « Je m'opposerai, lors du bureau politique du 17 avril prochain qui doit investir les têtes de listes pour les élections régionales, à sa candidature en Provence-Alpes-Côte d'Azur, » a-t-elle déclaré dans un communiqué. L'entourage de Marine Le Pen, comme le vice-président du FN Florian Philippot, milite pour que Jean-Marie Le Pen quitte le parti.

Une exclusion du président d'honneur du FN, bien que difficile selon les statuts du parti, fixés par Jean-Marie Le Pen lui-même, pourrait profiter à la jeune garde du FN, pour qui le fondateur est devenu un handicap. Le réalisateur Serge Moati, qui a réalisé plusieurs documentaires sur le FN, et côtoyé la famille Le Pen pendant 25 ans, rappelle à VICE News que l'affaire de la « fournée » a d'autant plus embarrassé Marine Le Pen, qu'elle a fait capoter la constitution d'un groupe d'extrême droite au Parlement européen, l'UKIP du britannique Nigel Farage refusant de s'allier avec un parti « antisémite ».

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Pour le réalisateur, il est impossible de distinguer le duel politique de l'affrontement familial entre un père et sa fille : « Pour lui, c'est comme si sa fille, sa créature lui échappait, c'est archaïque, et c'est en même temps politique, parce que quand elle prend la présidence du FN grâce à son père, Marine Le Pen s'entoure de gens qui ne sont pas sur la même position que le FN de Jean-Marie Le Pen, sur le plan économique par exemple. »

Serge Moati estime toutefois que « L'histoire n'est pas finie, ce sont deux personnes têtues. Elle joue sa crédibilité de candidate à la présidence de la République, pour cela elle est obligée d'être sèche, d'aller jusqu'au bout, de lui enlever la candidature à PACA. Ensuite, il y a la présidence d'honneur du Front National. Pour elle, il s'agit d'assumer pleinement son rôle de candidate et pas de fille, en se séparant réellement de son père. Lui ne se laissera pas faire comme ça, » conclut-il.

Jean-Marie Le Pen a d'ailleurs déclaré, au sujet de sa possible éviction : « Ça me paraît une idée tellement mirobolante qu'elle contient en elle-même le risque d'implosion du Front. »

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho

Image via Wikimedia Commons / Blandine Le Cain