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Le prix de l’essence vient de bondir de 6 000 pour cent au Venezuela — mais elle y reste la moins chère du monde

Le président Nicolas Maduro a annoncé la mesure ce mercredi, lors d’une adresse à la nation télévisée de 5 heures, alors que la hausse des prix a été répercutée ce vendredi matin aux pompes vénézuéliennes.
Photo de Marco Bello/Reuters

Les chauffeurs de taxi ne sont pas connus pour rester de marbre face à la hausse des prix de l'essence, mais le petit groupe de taxistas qui discute ce jeudi à côté d'une station-service de Caracas, la capitale vénézuélienne, est étonnamment calme, alors que les prix du gasoil s'apprêtent à grimper de 6 086 pour cent dans le pays sud-américain.

« Ils auraient dû augmenter les prix plus tôt — là on est au beau milieu d'une crise, » lance l'un des chauffeurs, tout en avalant un arepa, un petit pain de maïs fourré à la viande. « No, chico, » l'interrompt son ami, « Ce qu'ils auraient dû faire c'est augmenter encore plus les prix. L'essence est toujours super bon marché. »

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Si une augmentation de plus de 6 000 pour cent représente une sacrée hausse, l'essence vénézuélienne va pourtant rester la moins chère au monde — et il y a encore de la marge avant que cela change.

Le président Nicolas Maduro a annoncé la mesure ce mercredi, lors d'une adresse télévisée à la nation de 5 heures, alors que la hausse des prix a été répercutée ce vendredi matin aux pompes vénézuéliennes.

L'essence avec un haut indice d'octane coûte désormais 6 bolivars le litre (après l'augmentation de 6 086 pour cent) et l'essence faiblement chargée en octane coûte 1 bolivar le litre (après une augmentation de 1 329 pour cent). Pour remplir le réservoir de 38 litres d'une petite voiture, il vous faudra débourser la même somme que pour déguster un petit-déjeuner à la vénézuélienne : un café et un empanada.

Comparer les prix de cette manière est plus révélateur que de donner une conversion en euros ou en dollars du prix d'un plein payé en bolivar. En effet, pour le moment, il existe quatre taux de change différents dans le pays.

Le « taux préférentiel » est généralement utilisé pour payer l'import de biens de première nécessité comme de la nourriture et des médicaments. Un second taux de change fixe, le Sicad, est employé pour vendre des dollars à ceux qui prévoient de se rendre à l'étranger. Il existe aussi un « taux flottant » officiel. Et puis, il y a le cours du marché noir.

En complément de l'annonce sur la hausse du prix de l'essence, Maduro a aussi révélé la simplification imminente du système de taux de change, pour que seuls les taux préférentiel et flottant demeurent. Il a aussi annoncé une dévaluation modérée du taux préférentiel — qui passe de 6,3 à 10 bolivars pour un dollar — en ajoutant que le taux flottant commencerait à 202 bolívars par dollar.

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Maduro n'a pas fait référence au marché noir, où le taux aujourd'hui appliqué est de 1 045 bolívars pour un dollar.

Tout cela signifie que le prix d'un petit plein — après l'implémentation des nouveaux taux de change, le 1er mars — vaudrait 3 dollars (si l'on utilise le taux préférentiel), 0,1 dollar (avec le taux flottant) ou 0,036 dollar (au marché noir, s'il reste à ce taux).

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Pour nombre de Vénézuéliens, Maduro n'a pas augmenté plus drastiquement le prix de l'essence pour la même raison qui fait que le prix du carburant n'avait pas bougé depuis près de 18 ans dans le pays. Le président craindrait qu'une hausse sévère du prix de l'essence ne déclenche une révolte sociale, comme celle de 1989. À l'époque, le président Carlos Andrés Pérez avait doublé le prix de l'essence, le faisant passer à 0,07 dollar le litre.

Cette hausse du prix du carburant était la disposition la plus visible d'une série de mesures qui visaient à faire baisser les subventions de l'État vénézuélien. Ces mesures ont alors déclenché un mouvement contestataire, le Caracazo, qui a duré plusieurs jours et fait près d'une centaine de morts et disparus.

Le président Pérez s'est alors retrouvé fragilisé par l'épisode du Caracazo. En 1992, son gouvernement est presque tombé suite à deux coups d'États. L'une de ces tentatives de renversement était menée par le lieutenant-colonel Hugo Chavez, qui finira par remporter les élections en 1999, et par placer son successeur, Nicolas Maduro, à la tête du pays avant de mourir d'un cancer en 2013.

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Si le prix du carburant a augmenté de 550 pour cent au cours de la période 1996-1999 sans créer de soulèvement populaire, l'idée que les Vénézuéliens ne tolèrent pas une hausse du prix de l'essence reste bien ancrée dans l'esprit des responsables politiques du pays.

Cela est notamment dû aux premiers gouvernements Chavista, qui diffusaient l'idée selon laquelle une hausse du prix de l'essence reviendrait à plier face aux théories néolibérales. La seule et unique fois, où Chavez a publiquement mentionné la possibilité d'augmenter le prix du carburant, c'était en 2007, quand il a déclaré « C'est une insulte de vendre notre essence si peu chère. »

Des voix ont commencé à se faire entendre au sein du gouvernement à la fin de l'année 2013 annonçant qu'une hausse du prix de l'essence était inéluctable.

Près d'un an s'est écoulé avant que Maduro déclare, en novembre 2014, qu'il fallait ouvrir le débat « sans complexe ».

Lors de son discours annuel face au Congrès deux mois plus tard, le président avait aussi appelé à la mise en place d'un tableau des « coûts raisonnable et équilibré. » À cette époque, le gouvernement a lancé des campagnes de communication à la télévision pour préparer l'opinion publique à une possible hausse des coûts — mais rien n'avait finalement été mis en place.

C'est seulement lors de son discours devant le Congrès de cette année que Maduro a admis qu'une hausse du prix de l'essence était « inévitable ». Lors du discours de mercredi, il a indiqué que cette mesure avait été repoussée pendant toutes ces années, parce que le gouvernement pensait que des groupes d'opposition planifiaient un violent mouvement contestataire.

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En réalité, la plupart des Vénézuéliens savent ce que représente vraiment cette « hausse », d'où l'absence de protestations. Ce jeudi, il y avait seulement ces quelques conducteurs de taxis qui patientaient calmement pour remplir leurs réservoirs, et s'acheter peut-être un petit-déjeuner en plus avant l'économie faite.

« Il y a plus de voitures qu'à l'accoutumée, » nous expliquait ce jeudi Milagros, qui travaille dans une station-service de Caracas. « Je ne comprends pas pourquoi, parce que les gens vont seulement économiser quelques centimes au bout du compte. »

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Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News