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Le parti des Travailleurs nord-coréen se réunit pour la première fois en 36 ans

On a demandé à un spécialiste du régime nord-coréen ce que l'on savait des coulisses de ce rassemblement exceptionnel et ce que l'on pouvait en attendre.
Photo de Damir Sagolj/Reuters

La dernière fois que le Parti des Travailleurs nord-coréen s'est rassemblé en congrès, c'était en 1980. L'actuel leader de l'État ermite, Kim Jong-un, n'était pas encore né et les États-Unis craignaient bien plus les capacités nucléaires de l'Union soviétique que celles de Pyongyang.

Le 6 mai, Kim Jong-un, qui aurait environ 33 ans, va présider le premier congrès du Parti des Travailleurs depuis 36 ans. Les mois qui ont précédé cet événement ont été marqués par le quatrième test nucléaire nord-coréen et plusieurs lancements de missiles balistiques, dont certains ont échoué.

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Des médias internationaux ont reçu quelques rares invitations pour couvrir cet historique rassemblement politique nord-coréen, qui devrait durer au moins deux jours. Les responsables locaux du parti ont tous convergé vers la capitale pour assister au congrès et les mesures de sécurité seraient encore plus strictes qu'habituellement. Les autorités limiteraient au maximum les déplacements, et d'après certains articles, les mariages et les enterrements ont été mis en attente.

Certaines rumeurs laissent penser que le congrès va surtout faire office de couronnement officiel pour Kim Jong-un, qui est à la tête du pays depuis 2011 et la mort de son père, Kim Jong-il. Le fils Kim consolide sa position depuis cinq ans et, en dehors du pays, personne ne sait vraiment à quoi s'attendre avec lui.

La Corée du Nord est régie par un régime politique totalitaire et un parti unique. La plupart des meetings politiques sont méticuleusement chorégraphiés et servent uniquement à valider les décrets émis par le leader tout-puissant. Mais le congrès du 6 mai pourrait bien être différent.

Pour en apprendre plus sur le congrès et sa portée, nous avons rencontré Michael Madden, un spécialiste de la politique nord-coréenne et un chercheur associé de l'institut américano-coréen de l'université John Hopkins (Baltimore, Maryland). Madden écrit aussi pour 38North.org, un site d'analyse de référence sur la Corée du Nord, et il est le créateur du site Internet North Korea Leadership Watch.

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VICE News : Déjà, première chose, c'est quoi un congrès du Parti des Travailleurs ?

Michael Madden : C'est un peu comme les conventions républicaines et démocrates, qui se tiennent avant les élections présidentielles aux États-Unis. Le congrès du parti est un dérivé du vieux système marxiste-léniniste. Les Chinois ont un congrès semblable environ tous les 5 ans — quand le leadership chinois change de mains. C'est comme une convention politique, mais dans un système comme la Corée du Nord — où il n'y a qu'un parti unique qui officie dans un régime totalitaire — un congrès du parti a beaucoup plus de portée que les congrès politiques organisés dans les autres systèmes.

D'après les statuts du régime, il s'agit de l'organe suprême du Parti des Travailleurs de Corée. En gros ils font surtout deux choses : revoir et amender la charte du parti, puis ils élisent les membres des organes du pouvoir. Ils vont élire le général ou le premier secrétaire, qui sera Kim Jong-un. Ils vont aussi procéder à l'élection d'un Comité Central et d'une Commission Centrale de Contrôle. C'est à peu près tout.

Pourquoi il n'y a pas eu de congrès depuis 1980 ?

C'est avant tout à cause de Kim Jong-il, qui gouvernait sans respecter les statuts du régime. Il a gouverné en ne respectant pas la charte du parti, qui fait office de constitution en Corée du Nord. Et il a commencé à se comporter de la sorte dès sa prise de pouvoir officielle et publique, en 1988. Il contrôlait le Parti des Travailleurs depuis la fin des années 1970, donc tenir un congrès ne lui servait pas à grand chose. Kim Jong-il a tissé un réseau d'influence et de connexions dans le pays sans avoir vraiment besoin d'organiser des meetings politiques.

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C'est aussi à cause de la famine qui a touché le pays dans les années 1990. Il n'y avait pas trop de rassemblements politiques à l'époque, mais l'absence de congrès s'explique surtout par la manière dont Kim Jong-il gouvernait le pays. Ils ont organisé deux conférences de parti en 2010 et 2012 — qui ressemblent beaucoup à un congrès. Mais d'un point de vue statutaire, un congrès de parti est bien plus important.

La Corée du Nord organise régulièrement des rassemblements politiques — leur parlement se réunit souvent mais son pouvoir est considéré comme inexistant. Est-ce que cela va être la même chose ?

Cela va être quasiment du même acabit. Dans une certaine mesure il s'agit d'un congrès fantoche. Cela ne veut pas dire que les membres du leadership nord-coréen ne débattent pas de divers sujets, parce qu'ils le font, et qu'ils délibèrent.

Mais ils ne vont pas communiquer sur un sujet sans être [déjà] parvenus à un consensus qui permet d'aboutir à des décisions validées par la haute autorité.

Apparemment, le pays aurait interdit les déplacements, les mariages, et même les enterrements en prévision du congrès. Ça vous paraît crédible ?

Bien sûr. Ils ont déjà renforcé leur contrôle sur le pays — de manière invisible j'imagine — en raison du test nucléaire [de janvier]. Donc des parties entières de la Corée du Nord ont été en quelque sorte mises sur pause à cause du test nucléaire et des lancements de fusées.

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Les mariages et les enterrements, c'est peut-être un peu trop, mais le fait est que la police et les gens qui font respecter les interdictions de voyager et gèrent ce qu'ils appellent le contrôle de la population, font partie des mêmes agences que celles qui délivrent les certificats de mariages et de décès. Il s'agit du ministère de la Sécurité du Peuple. Ils délivrent tous les documents officiels — actes de naissance, de décès, de mariage — et pourraient bien limiter les mariages et enterrements parce qu'ils allouent les ressources autre part en raison du congrès.

Beaucoup d'observateurs estiment que le congrès va servir de couronnement de Kim Jong-un ou va du moins lui permettre de consolider son pouvoir. Vous partagez cet avis ?

Je pense que cela va l'aider à consolider le pouvoir en Corée du Nord… Quand Kim Jong-il est tombé malade en 2007, il avait délégué certains pouvoirs à plusieurs personnes. Kim-Jong un a dû réclamer les prérogatives que son père avait sous-traitées. Voilà pourquoi on dit qu'il consolide son pouvoir : il récupère des prérogatives que son père avait abandonnées.

La Corée du Nord fait les choses de cette manière, cela permet de faire d'une pierre deux ou trois coups.

Qu'est-ce que cela signifie pour le programme nucléaire nord-coréen et les missiles qu'ils comptent utiliser ?

Cela ne signifie rien. Ils vont quand même le faire. Les missiles, j'en parlais justement la semaine dernière avec des observateurs qui travaillent pour le gouvernement [américain], et on s'est tous mis d'accord pour dire que le timing du congrès n'avait pas grand chose à voir avec les tests nucléaires. Dans un sens, les deux sont liés, mais dans l'autre, la Corée du Nord allait quand même mener plus de tests nucléaires et de missiles. Ils vont continuer à faire des essais pendant encore au moins un an, jusqu'en 2017.

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Pour le moment, ils profitent des élections qui vont avoir lieu aux États-Unis et en Corée du Sud. Aux États-Unis, nous aurons des élections présidentielles à la fin de l'année et en Corée du Sud, elles sont prévues pour 2017. Cela signifie que d'ici là, ni les États-Unis ni la Corée du Sud ne vont agir contre la Corée du Nord, parce qu'en politique c'est mal vu de laisser du bazar à votre successeur.

La Corée du Nord fait les choses de cette manière, cela permet de faire d'une pierre deux ou trois coups. Ils vont discuter des réussites [en matière de tests nucléaires et de lancements de missiles] lors du congrès du parti, et ils vont inscrire le programme d'armement nucléaire dans la charte du parti. Il est possible qu'ils effectuent des changements d'ordre sémantique — notamment pour le chapitre qui traite des relations avec le reste du monde. Il sera probablement fait spécifiquement référence aux États-Unis et à la Corée du Sud, et non au « monde extérieur ».

Est-ce que cela va avoir un effet sur l'économie ? Kim Jong-un va-t-il dévoiler des réformes que les gens attendent depuis plusieurs années ?

Je ne m'attends pas à une annonce de grande envergure. Ils vont probablement annoncer certaines choses sur le développement économique, mais ils vont utiliser un champ linguistique typiquement nord-coréen autour de ces annonces. Cela m'étonnerait qu'il annoncent des changements politiques lors du congrès, parce que ce n'est pas l'endroit pour le faire.

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Ils vont parler de la stratégie à deux-lignes, ce qu'ils appellent la politique du « byonglin » qui permet de mener de front le développement d'armes nucléaires et le développement économique.

Qu'est-ce qu'on va pouvoir apprendre du congrès en matière de distribution des rôles dans la Corée du Nord de Kim Jong-un ?

Kim Jong-un est seul aux manettes en Corée du Nord. Donc forcément, vous avez besoin de gens en dessous de vous pour mettre en place ce que vous décidez, mais Kim Jong-un reste le seul maitre à bord. Ce n'est pas le Magicien d'Oz, il n'y a personne en coulisse, mais nous allons voir les officiels qui vont devenir importants, quelques officiels expérimentés du parti qui vont devenir plus importants sous Kim Jong-un.

De nombreux officiels n'ont pas parlé dans les médiats d'État depuis plusieurs semaines. À mon avis, à ceux-là, on leur a montré la porte de sortie. On va pouvoir savoir qui ils élisent au Politburo, mais aussi à ce qu'ils appellent le Secrétariat. Si l'on voit de nouveaux personnages apparaître là, on va pouvoir savoir qui est influent en termes de politique. En Corée du Nord, le Secrétariat, c'est là où on fait la tambouille pour ce qui est de la politique du pays, du personnel et des choses comme ça.

C'est une vraie tendance en Corée du Nord, ils sont bien plus transparents depuis l'arrivée de Kim Jong-un. Forcément c'est relatif, très relatif, ce n'est pas non plus les Ch'tis à Pyongyang.

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On va être capables de déterminer qui est qui, mais aussi qui survit et qui revient des morts. Parfois, au cours de ces grands rassemblements politiques, il est possible de voir si quelqu'un a été victime d'une purge, s'il a été exécuté, s'il suivait un programme de rééducation ou s'il a disparu pour suivre une formation afin de prendre du galon. Les décisions en matière de personnel politique seront les plus intéressantes à suivre lors du congrès.

La petite soeur du leader, Kim Yo-jong va être placée au Comité Central, cela va arriver, elle pourrait même se retrouver directrice du parti ou un titre du genre, ce qui est intéressant. Ce qu'on va voir aussi, c'est des jeunes gens, disons de la génération X, qui vont entrer en politique… il va y avoir un changement en matière de démographie du paysage politique — des femmes et des jeunes. Je pense que l'on va voir plus de femmes rejoindre la direction du parti. C'est une autre tendance que l'on a observée sous Kim Jong-un : plus de femmes récupèrent des postes à responsabilité à la direction.

En gros, ils ne vont pas non plus montrer au monde ce qui se passe dans le pays, mais c'est tout de même une bonne opportunité de jeter un bon coup d'oeil à la vie politique nord-coréenne ?

Oh oui, ils vont publier plein de trucs — des choses qu'ils ne publieraient pas en temps normal. Il y a des journalistes et des médias qui campent de partout en Corée du Nord en ce moment… Ils ont déjà organisé de gros rassemblements politiques au cours des dernières années sans rien vraiment révéler, mais le congrès pourrait être l'occasion d'avoir une meilleure vue sur le système politique du pays.

C'est une vraie tendance en Corée du Nord, ils sont bien plus transparents depuis l'arrivée de Kim Jong-un. Forcément c'est relatif, très relatif, ce n'est pas non plus Les Ch'tis à_ Pyongyang_, mais cela permet de créer un précédent. Ils vont nous fournir un peu plus d'infos pour qu'on sache à qui on a affaire, plutôt que de se cacher derrière un système monolithique.


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Regardez notre interview avec Victor Cha, ancien conseiller de G.W. Bush sur la Corée du Nord