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L’Égypte a inauguré le nouveau tronçon « pharaonique » du canal de Suez

En présence de nombreux dignitaires venus du monde entier, l’Égypte a inauguré ce jeudi une nouvelle extension de ce canal par lequel transitent 1 400 navires chaque mois — un enjeu crucial pour le commerce mondial comme pour le gouvernement égyptien.
Pont du Canal de Suez. (Photo via Wikimedia Commons / US Navy)

Le gouvernement égyptien, et à sa tête le maréchal président Abdel Fattah al-Sissi, ont invité de nombreux chefs d'États et hommes d'affaires à assister ce jeudi à l'inauguration d'une nouvelle extension du canal de Suez, qui relie la Méditerranée à la Mer Rouge, un haut lieu du transport maritime ouvert il y a 146 ans. Cette cérémonie vient clôturer des travaux gigantesques censés dissiper le marasme économique dans lequel l'Égypte est empêtrée depuis près de quatre ans. Reste à savoir si le pari sera payant, alors qu'une double menace pirate et terroriste plane sur la péninsule du Sinaï.

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Le nouveau canal de Suez (Images AFP TV via Le Monde)

C'est en présence du président français François Hollande, du Roi Abdallah de Jordanie ainsi que des Premiers ministres russe Dmitri Medvedev et grec Alexis Tsipras que le maréchal Al-Sissi a inauguré, ce jeudi en fin d'après-midi, un nouveau chenal parallèle au canal historique, qui pourrait permettre de faire transiter deux fois plus de bateaux.

« C'est pharaonique, un peu comme si on transformait une route nationale avec des feux rouges en une autoroute avec un simple péage à la fin, » nous explique Yves Bouvart, ancien directeur du port de La Rochelle (ouest de la France) et actuellement consultant portuaire qui intervient à l'Université Paris-Sorbonne. Joint au téléphone ce jeudi après-midi par VICE News, Yves Bouvart rappelle que le canal de Suez est un « passage incontournable » pour de nombreux transporteurs.

Ouvert au monde en 1869 après dix ans de travaux, le canal de Suez originel est le maillon fort de la chaîne commerciale entre l'Asie et l'Europe, tout en représentant un point de passage privilégié pour les transporteurs maritimes du reste du monde.

C'est pour célébrer la création de ce canal que la Statue de la Liberté avait d'ailleurs été imaginée par le sculpteur français Frédéric Auguste Bartholdi en 1867. Selon l'artiste, la gigantesque statue d'une femme brandissant une torche devait symboliser « l'Égypte apportant la lumière à l'Asie ». Finalement, l'idée n'avait pas reçu assez de soutien et la statue a été installée à New-York en 1886.

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En juillet 1956, ce canal qui relie la Mer Rouge à la Méditerranée était devenu un symbole du nationalisme égyptien lorsque Gamal Abdel Nasser, le président égyptien de l'époque, avait déclenché une crise diplomatique en ordonnant sa nationalisation. Face à ce projet, une coalition comprenant la France et la Grande-Bretagne — en charge du canal jusqu'alors — et Israël avait répondu par la force, menant à un conflit armé finalement interrompu par des pressions à la fois américaines et soviétiques.

Satellite image gif shows changes to the Suez Canal from July 2014 - July 2015 — Erin Cunningham (@erinmcunningham)August 6, 2015

Jusqu'à présent, ce sont plus de 1 400 navires qui ont transité chaque mois par le canal de Suez, un chiffre qui devrait doubler grâce aux aménagements entrepris il y a près d'un an. Au total, 8,5 milliards d'euros ont été investis pour réaliser ce chenal parallèle, qui est capable d'accueillir plusieurs types de bateaux et notamment les très grands pétroliers transporteurs de brut (les VLCC).

Annoncé comme « le cadeau que l'Égypte fait au monde » par l'Autorité officielle en charge du canal de Suez, ce nouveau tronçon fait passer la longueur du canal de 161 à 195 kilomètres.

Toutefois, ces travaux représentent un « pari évidemment risqué » pour le gouvernement égyptien, nous indique Bouvart. D'après le spécialiste, « Ce n'est pas parce qu'il y a la possibilité pour 97 bateaux de passer chaque jour qu'il y aura effectivement 97 passages dès demain. » Le transport maritime est en effet « extrêmement dépendant de l'économie mondiale et du prix des carburants, » nous explique-t-il. Les autorités égyptiennes espèrent tout de même obtenir davantage de recettes, passant de 5,5 milliards d'euros en frais de passage actuellement à 13 milliards d'euros d'ici 2023, un objectif « ambitieux » selon Yves Bouvart, mais qui pourrait alors relancer une économie nationale exsangue.

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Suite au renversement populaire du président Hosni Moubarak en février 2011 et au coup d'État contre le président élu Mohammed Morsi en juillet 2013, l'Égypte est en proie à des troubles violents qui bouleversent sa société sur le plan politique intérieur. Plus largement, le pays fait également face à des attaques perpétrées par des combattants de l'organisation terroriste État Islamique sur son territoire.

« La dimension sécuritaire est un enjeu de taille pour l'avenir du canal de Suez, » nous explique Yves Bouvart. Très actifs dans la péninsule du Sinaï — qui borde le canal à l'Est — les membres de l'État Islamique ont dernièrement menacé de décapiter un otage originaire de Croatie et capturé dans une banlieue du Caire (capitale de l'Égypte).

D'après Bouvart, la menace émane aussi des pirates qui opèrent au sud de la Mer Rouge. « Le canal va attirer davantage de cibles magnifiques, » prévient-il, tout en rappelant que la multiplication du trafic devrait « très certainement justifier un effort international pour sécuriser la zone. »

Dans ce contexte sécuritaire, l'Égypte a multiplié les rapprochements diplomatiques et commerciaux depuis 2014. En février dernier, le gouvernement du maréchal Abdel Fattah al-Sissi a par exemple acquis 24 avions de chasse Rafale — construits par le groupe français Dassault — une frégate militaire et un lot de missiles pour un total de 5,2 milliards d'euros.

Ce jeudi, lors de la cérémonie d'inauguration, des avions de chasse ont effectué un vol de démonstration au-dessus du parterre d'invités. Parmi eux, trois Rafales flanqués de douze avions F-16 fournis par les États-Unis. En mars dernier, le président américain Barack Obama avait en effet annoncé que son pays fournirait désormais à l'Égypte une aide militaire dont la valeur est estimée à 1,3 milliard de dollars, et ce chaque année.

Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_c

Pont du Canal de Suez. (Photo via Wikimedia Commons / US Navy)