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L'épineux problème des « non-citoyens » lettons

260 000 Lettons d'origine russe arrivés dans le pays pendant l'occupation soviétique attendent toujours d'être naturalisés.

Une décision prise il y a plus de 25 ans a laissé de nombreux habitants de Lettonie déracinés. Lorsque le pays est devenu à nouveau indépendant en 1991, les Russes qui y étaient arrivés — alors que le pays était encore sous le joug soviétique — n'ont pas pu prendre la citoyenneté lettone. Cette mesure a laissé 700 000 anciens citoyens de l'Union soviétique étrangers dans le pays qui se formait autour d'eux. Ce chiffre est maintenant estimé à 260 000 personnes.

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Evgueny Drobat est arrivé en Lettonie soviétique depuis Saint-Pétersbourg — alors appelé Leningrad — en 1974, alors qu'il était encore enfant. Il était membre du parti communiste letton dans les années qui ont précédé l'indépendance. Il avait alors voté contre la loi qui finirait par lui empêcher de prendre la citoyenneté lettone — un « niet » imposé à lui et des milliers de personnes d'origine russe.

« La Lettonie n'est pas une vraie démocratie », dit Drobatà VICE News depuis Daugavpils, la deuxième ville lettonne. « Les décisions politiques du pays ne sont pas prises en s'appuyant sur des droits démocratiques, elles sont basées sur des droits ethniques. »

Exclus de la loi

Dans le bureau des non-citoyens de Daugavpils, les restes de l'ère soviétique sautent à l'oeil au premier abord. On peut voir des portraits des « maréchaux de la victoire » — dont Joseph Staline — alignés sur des murs rose pêche. Un buste de Lénine est caché derrière une chaîne stéréo.

Ces icônes peuvent dégoûter la plupart des Lettons, qui gardent un très mauvais souvenir des décennies d'occupation soviétique dans leur pays. Mais pour les russophones privés de citoyenneté de ce pays balte, ces souvenirs du communisme sont un rappel d'un pays dont ils faisaient partie.

Ce n'est pas seulement son passeport de « non-citoyen », qui le décrit comme un « étranger », qui sépare Drobat de ses homologues lettons. Ces citoyens de seconde zone, qui représentent environ 12 pour cent de la population, doivent faire face à de nombreuses restrictions légales. Selon eux, celles-ci ont poussé les Russes à la marge de la société lettone moderne.

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Parmi ces restrictions, on trouve des dispositions concernant la propriété, le port d'armes, ainsi que l'accès à la fonction publique. L'ONU, l'Union européenne et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) les ont décriées.

Les plus grandes différences légales entre les Lettons et les non-citoyens sont au nombre de trois : le droit de vote, le droit de travailler dans la fonction publique et d'occuper des postes en relation directe avec la sécurité nationale. « Si les non-citoyens pouvaient voter », a dit Drobat à VICE News, « nous ne serions pas dans la position où nous sommes. Et quelques hommes politiques non plus. »

Pour Drobat, qui s'identifie comme Russe mais ne veut pas quitter la Lettonie, il ne faut pas chercher bien loin pour trouver une solution à cet épineux problème. « Tout simplement, donnez la citoyenneté lettone à tout le monde », dit-il en haussant les épaules.

Mais quelques hommes politiques lettons proches de la droite estiment que cela est impossible. Selon l'ancien membre du Parlement Juris Boj?rs, l'idée que tous les non-citoyens devraient acquérir la citoyenneté lettone est une « absurdité totale. Les occupants ne devraient pas gagner la citoyenneté », a-t-il dit aux médias locaux en octobre dernier.

« Si vous regarder la situation démographique de la Lettonie en 1991, il y avait 54 pour cent de Lettons ethniques et 46 pour cent de colonialistes qui sont arrivés pendant l'occupation », a dit Veiko Spolitis, un parlementaire letton. La décision du gouvernement, a-t-il dit à VICE News, a été prise pour assurer la survie d'une « Lettonie pour les Lettons ».

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Pour obtenir la citoyenneté, le gouvernement propose aux non-citoyens de passer une sorte de test de naturalisation. Depuis 25 ans, 150 000 personnes ont obtenu la citoyenneté lettone de cette manière. Mais ils sont beaucoup moins nombreux ces dernières années, et le test est une véritable épreuve pour nombre de candidats.

Evgeny Drobat était un membre du parti communiste de la Lettonie. Il a voté contre la loi qui instaurait des citoyens de seconde-zone.

Pour les non-citoyens qui ont parlé russe toutes leurs vies, ils auraient beaucoup de mal à apprendre le letton si tard dans la vie. Sauf qu'il s'agit d'une condition obligatoire à la naturalisation. Pour les partisans les plus fervents de la Russie, le problème est plutôt dans une section de l'examen, où la Lettonie est décrite comme ayant été occupée par l'Union soviétique. Ce qu'ils contestent.

Une génération plus jeune de russophones non-citoyens voient les choses différemment. Ceux nés après 1991 jouissent de la nationalité lettone, mais de nombreux autres jeunes nés avant cette date se plaignent de leur statut et les conséquences dans la vie de tous les jours.

Les parents d'Aleksandr Aleksandrov sont des défenseurs de l'Union soviétique. Mais Aleksandr estime faire partie des non-citoyens les mieux intégrés dans la société lettone. Toutefois, il s'est « habitué à être un étranger, désormais » — bien qu'il soit né dans la capitale lettone, Riga, très peu de temps avant la chute du bloc soviétique.

La Russie garde un oeil sur le pays

De nombreux habitants du pays balte s'inquiètent que la Russie reste attentive à son petit voisin. En 2014, Moscou a en partie justifié l'annexion de la Crimée et son intervention en Ukraine en avançant l'obligation de protéger les populations russophones. De nombreux leaders baltes et européens se sont alors inquiétés que la Russie applique le même principe sur les pays baltes et sur leurs régions à majorité russophone. Face aux menaces russes, le président lituanien a réintroduit le service militaire obligatoire en 2015.

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La Russie, à travers ses mises en garde, n'a pas réussi à régler l'affaire des non-citoyens. Selon le représentant russe auprès de l'OTAN, Alexander Grushko, les pays baltes devraient « porter une attention particulière au problème du respect des droits de l'Homme et se débarrasser du phénomène des non-citoyens », a-t-il dit en mars 2014.

Le statut de la langue russe est encore aujourd'hui un point de désaccord parmi les législateurs lettons. En 2012, un référendum a été organisé pour la reconnaître comme langue officielle, mais il a été facilement repoussé.

En août dernier, le maire de Riga Nils Ušakovs — un Russe né non-citoyen mais qui a passé l'examen de naturalisation en 1999 — a dû payer une amende pour avoir écrit en russe sur sa page Facebook officielle.

« Je crois que cela a probablement été l'erreur la plus dramatique faite par notre pays depuis 1991, qu'on ait introduit toute cette idée de non-citoyens », a dit Nils Ušakovs à VICE News à Riga.

Cette politique lettone en a aussi fait sourciller plus d'un à Bruxelles. En septembre dernier, le Commissaire européen pour les droits de l'Homme Nils Muižnieks a fortement recommandé que la Lettonie accorde automatiquement la citoyenneté aux enfants de non-citoyens. Le Comité letton des droits de l'Homme a également compilé une liste des recommandations d'ONG internationales, datant de 1998. Le comité préconise vivement que Riga adopte une résolution.

Le drapeau letton accroché au centre des non-citoyens de Daugavpils est accompagné du drapeau russe. Les couleurs de Saint Georges y sont aussi présente — ce symbole est désormais synonyme des rebelles soutenus par le Kremlin ayant déclaré une république indépendante dans l'est de l'Ukraine, en 2014.

En Lettonie, personne ne veut que cela tourne au conflit armé, en ce qui concerne les discussions sur les langues et la citoyenneté en Lettonie. Mais les couleurs de Saint Georges servent de piqûre de rappel : la Russie a déjà récupéré et politisé des questions semblables en Ukraine, le tout pour lancer un conflit armée sur place.


Jonathan Brown est un journaliste de presse écrite, radio et vidéo actif dans toute l'ancienne Union soviétique. Vous pouvez le suivre sur Twitter à @jonathaneebrown