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République dominicaine

Les deux pilotes de l’affaire « Air Cocaïne » se sont échappés de République dominicaine

Arrivés en France ce week-end, Pascal Fauret et Bruno Odos, pourraient avoir été aidés par des amis « marins » et des ex-espions, mais aussi par un eurodéputé du Front National, Aymeric Chauprade.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via Flickr / Bill Abbott

Les deux pilotes de l'affaire « Air Cocaïne » ont-ils pu compter sur de vieux copains ?

Au cours de la semaine dernière, Pascal Fauret et Bruno Odos — tous deux anciens militaires, condamnés en août dernier à 20 ans de prison pour trafic de drogue en République dominicaine — ont fui ce pays des Grandes Antilles, grâce à l'aide de « copains » marins et ex-agents de la DGSE, d'après des informations de BFM TV.

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Les deux pilotes sont depuis ce week-end en France, « dans la région lyonnaise et autour », auprès de leur famille d'après leur avocat, Maitre Jean Reihnart, interrogé hier soir par Le Figaro.

Les deux hommes avaient été arrêtés le 20 mars 2013, à bord d'un jet privé de modèle Dassault Falcon-50, avec 680 kg de cocaïne dans les valises. L'appareil partait de Punta Cana en République dominicaine et devait atterrir dans un petit aéroport proche de Saint-Tropez, dans le sud de la France.

Fauret et Odos ont toujours nié avoir eu connaissance de la nature de la cargaison. Pour ce vol, ils étaient accompagnés d'Alain Castany, membre d'équipage, et Nicolas Pisapia, passager — qui sont eux toujours en République dominicaine.

« Nous nous préparons à lancer un mandat d'arrêt international contre les pilotes impliqués, » a déclaré dans un communiqué, diffusé en fin d'après-midi ce mardi, le procureur général de la République dominicaine, Francisco Dominguez Brito.

À lire : « Air cocaïne » : Quatre Français jugés à Saint-Domingue dans une affaire de trafic de drogue

Les deux pilotes « ne se sont pas évadés car ils n'étaient pas en prison », martèle ce mardi matin leur avocat dans les médias. Ils avaient en revanche l'interdiction de quitter le territoire dominicain, en attendant leur appel.

À la mi-journée, Pascal Fauret a tenu une conférence de presse, accompagné par ses deux avocats, Maître Reihnart donc, et Maître Éric Dupond-Moretti, qui défend lui aussi le pilote. Fauret s'est dit très fatigué. « Je suis rentré pour m'expliquer devant la justice de mon pays. Cette affaire a pris toute ma vie, il faut en finir », a déclaré le pilote.

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Les deux pilotes sont en effet également poursuivis par la justice française, et c'est par celle-ci qu'ils souhaitent être désormais jugés. L'enquête française conduite par la juge d'instruction marseillaise, Christine Saunier-Ruellan ,avait mené à la mise en examen d'une dizaine de personnes — dont les deux pilotes — pour importation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteur.

— Maud Vallereau (@maudvallereau)October 27, 2015

« Ils ont eu raison de partir », a lancé Maitre Dupond-Moretti, lors de la conférence de presse de ce mardi, arguant que tout le monde aurait fait la même chose à leur place. L'avocat a répété à nouveau que les deux pilotes étaient « à disposition de la justice. » Les avocats des pilotes n'ont en revanche pas souhaité s'étendre sur les conditions de l'exfiltration des deux hommes.

Hélico ou gros bateau ?

Pour ce qui est de cette extraction, deux versions s'opposent ce mardi matin : une soutenue par BFM TV et l'autre développée par le magazine Valeurs Actuelles. Dans les deux versions, on retrouve en revanche un même protagoniste, quelque peu inattendu : l'eurodéputé du Front National, Aymeric Chauprade, qui était présent en République dominicaine, la semaine dernière. C'est un fidèle soutien des deux pilotes.

Avec nos pilotes français innocents, ce lundi à — Aymeric Chauprade (@a_chauprade)October 21, 2015

Commençons par la version de BFM TV. Selon leur source, les deux pilotes seraient allés faire une petite balade en mer avec Chauprade et un ancien membre de la marine sur un « petit bateau de plaisance ». Après quelques heures, les deux pilotes seraient montés sur un autre bateau plus imposant, sur lequel ils ont passé plusieurs jours avant d'arriver à Saint-Martin, dans les Antilles françaises.

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C'est depuis les Antilles que les deux pilotes auraient rejoint Paris dans un avion de ligne, grâce à des passeports fournis par leurs amis militaires. Leur avocat a affirmé sur Europe 1 ce mardi matin que les deux hommes avaient voyagé sous leur véritable identité. La compagnie aérienne française Air France a quant à elle fait savoir que les deux hommes n'avaient pas voyagé sur ses lignes — du moins sous leurs véritables identités.

BFM TV a diffusé ce mardi matin une photo des deux pilotes sur un petit bateau pour attester leur version des faits.

— BFMTV (@BFMTV)October 27, 2015

Du côté de Valeurs Actuelles, leur version de l'extraction des pilotes ressemble plus à un scénario sorti tout droit d'un James Bond.

Le magazine clame que les deux pilotes ont quitté la République dominicaine à bord d'un hélicoptère. Ils auraient ensuite été largués en mer puis récupérés par un bateau avant de rejoindre une île française des Antilles. Le magazine fournit ce mardi matin, ce qui serait une copie de la location d'un hélicoptère — une location qui est au nom d'Aymeric Chauprade, l'eurodéputé FN. La facture est datée du 12 septembre 2015. Au moment où nous publions ces lignes, VICE News n'est pas en mesure de vérifier l'authenticité du document. Nous avons contacté le député qui n'a pas pu nous répondre dans les délais de parution de cet article.

Ce mardi matin, Aymeric Chauprade s'est exprimé sur cette affaire sur les ondes de RTL — avant que Valeurs Actuelles ne publie cette copie de facture de location d'hélicoptère. « Je crois que c'était clair pour eux: il fallait s'évader. Je vous mentirais si je vous disais que nous n'avions pas parlé de cette question», a déclaré l'eurodéputé.

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Quant à son implication dans l'extraction des deux pilotes, Chauprade est resté muet, « Je ne répondrai pas à ça, je dis simplement que je me réjouis du fait qu'ils aient retrouvé leurs familles et leur liberté, je ne commenterai pas les différentes versions qui ont été données », a simplement déclaré l'eurodéputé.

La solidarité entre anciens militaires

Certains médias laissaient entendre ce mardi matin que l'État français pouvait avoir été impliqué dans l'extraction des deux pilotes — une rumeur à laquelle a coupé court le Quai d'Orsay. « Nous prenons acte du retour en France de nos deux compatriotes. Leur décision est un acte individuel dans lequel l'État n'est nullement impliqué, » a fait savoir à la mi-journée le ministère des Affaires étrangères.

« Je ne suis pas du tout étonné que des anciens copains aient pu les aider, » confie à VICE News, Marc Leplongeon, journaliste au Point et auteur d'un livre intitulé L'Affaire Air Cocaïne (co-écrit avec le journaliste Jérôme Pierrat). « Il existe une vraie solidarité entre les anciens militaires, mais aussi entre les pilotes, donc c'est très crédible », précise le journaliste.

Odos et Fauret sont tous deux d'anciens militaires qui se sont ensuite reconvertis dans l'aviation civile.

Pascal Fauret a passé près de 20 ans dans la Marine française pour laquelle il a été pilote de chasse. Il a été déployé au Liban, dans le Golfe persique ou encore en Yougoslavie au cours de sa carrière. C'est seulement en 1997 qu'il quitte l'armée pour devenir commandant de bord dans le civil notamment dans l'aviation d'affaire.

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Bruno Odos a passé près de 10 ans dans la Marine Nationale de 1981 à 1990 — en tant que pilote notamment sur Super Étendard — avant de rejoindre l'armée de l'air jusqu'en 1999 — où il pilotait des Mirage 2000. Après un stage de reconversion en 1998, il devient comme Fauret, pilote pour l'aviation d'affaire.

« Dans leur groupe de soutiens, il y a énormément de militaires, de pilotes mais aussi des anciens militaires, » fait remarquer Marc Leplongeon.

Deux Français toujours en République Dominicaine

Deux autres Français sont en revanche toujours sur place, Nicolas Pisapia (passager du vol) et Alain Castany (membre d'équipage), qui ont été condamnés aux mêmes peines que les deux pilotes. Ils craignent tous deux subir désormais la sévérité des autorités dominicaines.

« Je me suis entretenu avec mon client hier soir et pendant une partie de la nuit. Il est dans un état d'une extrême confusion, il est très isolé, » explique ce mardi après-midi à VICE News, Maitre Julien Pinelli, l'avocat de Nicolas Pisapia. « Les autorités dominicaines peuvent se sentir vexées. De fait, mon client encourt le risque d'une vengeance judiciaire, qui peut se traduire par un durcissement de son contrôle judiciaire ou d'une remise en détention — puisque dorénavant la justice dominicaine peut dire qu'il y existe un risque de fuite avéré. »

« Ce que j'appelle de mes voeux aujourd'hui c'est la protection diplomatique pour mon client, » explique Maitre Pinelli, qui rappelle que son client n'avait pas connaissance de la cargaison de l'avion. Selon son avocat, Pisapia a été interpellé dans l'aéroport et non dans l'avion — seulement avec son bagage à main. « La prochaine étape pour mon client est de se présenter devant la cour d'appel dominicaine [la date de l'audition n'a pas encore été dévoilée]. Mais j'espère que les choses vont évoluer durant cet intervalle. »

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La situation d'Alain Castany est encore plus dramatique. Son avocat, Maître Karim Beylouni, explique au journal Le Point que son client est « dans un état de santé grave, après avoir été fauché par une moto », il y a une dizaine de jours dans des circonstances floues.

Pour le journaliste du Point, il est difficile de penser que les 4 Français incriminés en République dominicaine sont les têtes pensantes d'un réseau.

Du côté de la justice française, il y a une seule personne derrière les verrous : un certain Franck Colin, qui aurait payé pour ces vols et serait l'employeur présumé de Nicolas Pisapia d'après Leplongeon. Colin est un Toulonnais et un ancien proche de Jean Roch, pour qui il assurait la sécurité des clubs parisiens dans les années 1990. Il s'était ensuite installé en Roumanie, où il s'était marié avec une créatrice de mode roumaine, ce qui lui valait de côtoyer le gratin local.

Colin clame qu'il a seulement mis en relation Pisapia avec un certain Ali Bouchareb, un criminel de la banlieue stéphanoise, que la police soupçonnait d'être à la tête du réseau. Bouchareb a été emprisonné en Espagne et relâché dernièrement dans des conditions troubles selon le journaliste. Aux dernières nouvelles, ce dernier est toujours dans la nature.

Pour l'heure, on ne sait pas comment la justice française va réagir au retour des deux pilotes.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray

Image via Flickr / Bill Abbott