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Crime

Les déserteurs américains de la guerre en Irak pourraient enfin trouver refuge au Canada

Depuis 2003, 200 soldats se sont réfugiés au Canada à cause de leur opposition à la guerre en Irak. La plupart sont finalement partis volontairement, ou ont été expulsés du Canada. Mais une vingtaine d'entre eux s'est accrochée.
Dean Walcott, résistant contre la guerre en Irak, à Peterborough dans l'Ontario. (Anthony Tuccitto/VICE News)

Pendant les heures qu'il a passées à garder un hôpital pour enfants de Ramadi, la seule chose qui empêchait le soldat Joshua Key de devenir fou était la visite quotidienne d'une petite fille.

Inconsciente du tumulte autour d'elle, la petite fille, âgée de 6 ou 7 ans, qu'il appelait « Petite soeur », courait à son poste et lui disait, à bout de souffle, les seuls mots d'anglais qu'elle semblait connaître : « Nourriture, Monsieur. »

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Chaque fois, il lui tendait sa ration alimentaire, sacrifiant souvent le seul plat qu'il pouvait supporter de manger — l'enchilada au boeuf. Un jour, elle a commencé à lui apporter de la galette faite maison et de l'eau provenant de l'Euphrate. Le sourire de cette « Petite soeur » lui rappelait ceux de ses enfants, qu'il espérait revoir, durant ces jours où le temps semblait immobile.

L'une de ces visites a changé le cours de sa vie. Key s'en souvient comme si c'était hier — il était perché sur un rocher, la regardant courir vers lui, quand soudain, le son d'un coup de feu a transpercé l'air.

« Sa tête a explosé comme un champignon et elle est tombée », a raconté Key à VICE News. « J'étais en état de choc. »

L'unique coup de feu — produisant le son spécifique d'un M-16, comme ceux que portaient ses compagnons dans sa propre unité — l'a dévasté.

« Je voulais remplir un rapport parce que je pensais que c'était un de mes hommes qui avait fait ça, mais on m'a dit que ce n'était pas mon affaire. »

Key — un soudeur qui est entré dans l'armée pour construire des ponts, mais qui s'est retrouvé sur les lignes de front lors de la guerre en Irak — a été tellement envahi de questions sur ce que les Américains étaient en train de faire en Irak, et tellement traumatisé par la mort de la petite fille, que rester là en toute bonne conscience n'était plus possible.

Joshua Key en 2008. (Colin Perkel/CP)

Il a donc fui au Canada, où il vit aujourd'hui, avec sa femme et ses trois enfants.

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Il est l'un des 24 soldats arrivés au Canada pour son opposition à la guerre en Irak. Key et ses homologues se battent depuis des années pour leur droit à rester, après avoir été désignés comme des criminels par le gouvernement canadien qui les a automatiquement jugés non admissibles dans le pays.

À un certain moment, 200 membres de l'armée américaine avaient trouvé refuge au Canada à cause de la guerre en Irak. La plupart sont finalement partis volontairement, ou ont été expulsés du Canada. Mais une grosse vingtaine d'hommes s'est accrochée. Ils ont choisi de se battre pour leur sanctuaire devant les tribunaux, sachant qu'un retour aux États-Unis conduirait à un procès militaire quasi certain pour désertion.

Mais aujourd'hui, un moment décisif approche. Le Premier ministre Justin Trudeau a jusqu'au 16 septembre pour décider si le gouvernement poursuivra l'héritage de son prédécesseur Stephen Harper, à savoir vouloir expulser les ex-soldats américains.

63 pour cent des Canadiens souhaitent que les anciens soldats opposés à la guerre en Irak aient le droit de devenir des résidents permanents au Canada. D'autant plus que le père de Justin Trudeau, le Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, avait accordé l'asile à des milliers de conscrits réfractaires et de résistants à la guerre au Vietnam dans les années 1960 et 1970. Bien que le gouvernement n'a pas fait de déclaration officielle sur ses intentions, l'espoir existe, pour la toute première fois, parmi cette génération de soldats de la guerre en Irak.

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Ce sentiment était palpable lors d'un récent meeting de la Campagne de soutien aux résistants à la guerre, qui a apporté son aide à la majorité des soldats anti-guerre en Irak qui se sont faufilés à travers la frontière canadienne. La porte-parole du groupe, Michelle Robidoux, a déclaré que la Campagne avait obtenu des garanties de la part de l'équipe du ministre de l'Immigration John McCallum, qui a assuré qu'il y avait « de bonnes nouvelles en préparation ».

À la fin du mois de juillet, le groupe de campagne avait rencontré, pour la première fois en douze ans d'existence, le plus haut fonctionnaire en charge de leurs cas à Ottawa.

Frank Showler chez lui, à Toronto, en Ontario. (Anthony Tuccitto / VICE News)

Il s'agit d'une évolution importante pour ce groupe éclectique qui se réunit chaque semaine depuis 2004 au United Steelworkers Hall, un bâtiment en briques quelconque de Toronto, pour planifier des événements, des collectes de fonds et des conférences, de manière à s'assurer que les résistants restent sous les projecteurs. Le bureau du groupe de campagne est encombré par des montagnes de paperasse, un calendrier tracé sur un tableau blanc et rempli de dates importantes à venir, et d'étagères pleines de livres sur leur cause. Des affiches faisant la promotion de leurs événements passés et des coupures de presse s'alignent sur les murs.

Les membres du groupe, composé d'opposants à la guerre issus de différentes générations, sont devenus comme des membres de la famille pour certains des résistants. Le travail du groupe va au-delà des manifestations et de la défense d'une cause. Il offre aussi des conseils pratiques et des idées aux anciens soldats, certains d'entre eux vivant dans ce flou juridique depuis une décennie.

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« Ils m'ont exposé la situation du mieux qu'ils pouvaient», a raconté Key à propos de sa première conversation avec Robidoux. « Elle a dit, "Les choses sont incertaines ici, nous ne savons pas ce qui va se passer, mais nous ferons tout ce que nous pourrons pour aider" ».

Pour certains membres du réseau, il s'agit d'un problème qui a une signification personnelle profonde. Comme pour Frank Showler, un Canadien et un objecteur de conscience pendant la Seconde guerre mondiale, qui a aidé plus tard les résistants à la guerre au Vietnam à s'enfuir au Canada. Parmi la génération de la guerre du Vietnam, on retrouve dans le groupe, Carolyn Egan. Cette Américaine a déménagé au Canada avec son compagnon, un conscrit réfractaire, et elle est devenue une membre importante du mouvement pro-avortement au Canada.

Il n'existe pas de décompte officiel du nombre de conscrits réfractaires et de déserteurs accueillis au Canada pendant la guerre du Vietnam, mais une estimation solidement étayée le situe entre 30 000 et 40 000, selon des statistiques des services d'immigration. La plupart sont restés après la guerre, « constituant le groupe le plus large et le mieux éduqué que ce pays n'ait jamais reçu », peut-on lire sur le site du ministère de l'Immigration canadien.

Les récentes évolutions ont été principalement synonymes de bonnes nouvelles pour l'une des personnes dans la pièce : Phil McDowell, un résistant à la guerre en Irak qui vit au Canada depuis 2006.

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Alors qu'il avait pour habitude de parler librement et en détail de son opposition à la guerre, McDowell a refusé d'être interviewé pour cet article car son cas est l'un des quatre désignés pour passer devant un tribunal canadien en novembre.

« Nous avons envahi leur pays sans aucune bonne raison. »

McDowell, diplômé en informatique, a rejoint l'armée américaine peu après le 11 septembre, mais il a été désabusé par la guerre en Irak pendant son déploiement. Il a refusé de retourner dans le Golfe quand il a été appelé pour une seconde mission.

Comme beaucoup d'autres résistants, c'est la manière dont l'armée américaine traitait les civils irakiens qui a fait douter McDowell à propos de la mission, qu'il soutenait quand il s'est rendu en Irak, puis l'a finalement fait fuir.

Key décrit aussi ces interactions avec beaucoup de détails — il se rappelle ouvrir avec fracas les portes des maisons des civils, y rentrer par équipe de cinq à six hommes, sortir n'importe quel individu masculin de plus d'un mètre cinquante pour qu'il soit interrogé et tenir en joue les femmes et les enfants. Un incident en particulier est gravé dans sa mémoire — voir des Américains taper à coups de pied dans les têtes des civils irakiens morts, comme dans des ballons de football.

Dean Walcott, un ancien Marine américain qui est venu au Canada en 2006 après avoir servi lors de deux missions en Irak, pense toujours que le sentiment de haine que les Irakiens peuvent avoir ressenti à l'encontre des troupes américaines était bien mérité. Wallcott travaillait dans un hôpital militaire à Berlin en 2004, quand un mortier a mis le feu à un village de tentes, à l'entrée de Mossoul, anéantissant l'ensemble du camp. Des chargements de corps carbonisés ont été envoyés à l'hôpital, par camion et par avion. On pouvait entendre les gémissements de certaines victimes qui se transformaient en cris au fur et à mesure que l'on s'approchait, se souvient Walcott.

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« Des tout-petits, des bébés, complètement incinérés. Je ne pouvais même pas dire que c'était des personnes, j'ai cru que c'était des sacs », a-t-il raconté. « Vous entendez toujours l'expression "dommage collatéral", mais il n'y a aucune manière de vous préparer à ce que cela signifie vraiment. »

Ces images l'ont laissé meurtri, souffrant de troubles de stress post-traumatique, et convaincu que la guerre était immorale. Mais Walcott était coincé — toute personne à qui il demandait de l'aide le soupçonnait d'essayer de quitter sa mission plus tôt, a-t-il expliqué.

« Nous avons envahi leur pays sans aucune bonne raison », a-t-il raconté à VICE News. « Nous avons pollué leur eau, nous avons fouillé leurs maisons de manière aléatoire, nous avons confisqué leurs armes et leur bétail, parce qu'il pouvait y avoir une bombe dans ce mouton, et les absurdités sur les armes de destruction massives n'ont jamais évolué, parce qu'il n'y en a jamais eu. »

« Je ne savais pas grand-chose sur les Conventions de Genève et les lois internationales, mais je savais foutrement bien que c'était mal », a ajouté Key. « Nous étions les bourreaux, nous étions les jurés, nous étions tout ce que nous voulions être. Personne ne nous surveillait. »

Dean Walcott chez lui à Peterborough, en Ontario. (Anthony Tuccitto / VICE News)

Key n'avait pas décidé de déserter jusqu'à ce qu'il retourne chez lui, pour un voyage de deux semaines. Il a alors appelé un avocat miliaire, lui a dit qu'il développait des troubles de stress post-traumatique et lui a demandé quelles étaient ses options.

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« Vous pouvez soit retourner en Irak, soit aller faire la guerre, soldat », lui a-t-il répondu.

Key a choisi de s'enfuir et d'emmener sa famille. Ils ont fait leurs bagages et sont allés se cacher à Philadelphie. Là, il a vécu clandestinement durant les dix-sept mois suivants, avant d'entrer en contact avec le groupe de campagne et de voyager au Canada, sachant que s'il revenait un jour, ça serait probablement menottes aux poignets.

Contrairement aux dizaines de milliers de personnes qui ont déserté l'armée américaine au cours de la guerre en Irak, mais qui l'ont fait sans un bruit, Key, qui vit à Winnipeg, dans la province de Manitoba, a rapporté en détail son voyage dans un livre intitulé A Deserter's Tale (« Récit d'un déserteur »), raconté par l'auteur canadien Lawrence Hill.

Pour d'autres, comme les résistants Robin Long et James Burmeister, leurs déclarations publiques sont revenues les hanter.

Au cours des procédures devant la cour martiale, les procureurs de l'armée américaine ont pris comme exemples leurs citations dans la presse canadienne et les ont utilisées comme des preuves au tribunal. Long, qui avait vécu en Colombie Britannique de 2005 à 2008, a été condamné à 15 mois de prison et a été exclu de l'armée pour cause d'indignité, tandis que Burmeister a été condamné à 9 mois en prison militaire et a été exclu pour mauvaise conduite. La même chose s'est produite dans le cas de Kim Rivera, qui était enceinte de son cinquième enfant au moment où elle a été condamnée en 2013 à 10 mois de prison. Elle a accouché alors qu'elle était en détention militaire.

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« Il est apparu clairement que ces types n'étaient pas seulement punis pour avoir refusé de faire la guerre en Irak, mais ils étaient punis pour ce qu'ils expliquaient publiquement ce qu'il se passait », a déclaré l'avocate Alyssa Manning, qui représente 15 résistants de guerre au Canada.

Les commandants aux États-Unis peuvent exercer un pouvoir discrétionnaire quand ils décident de la manière de se charger des déserteurs. Seulement une petite partie de ceux qui ont déserté de l'armée américaine de 2001 à 2014 — 1 932 sur 36 195 — ont été poursuivis. Cependant, lorsqu'il s'agit de ceux qui ont déserté et qui ont quitté le pays, ce chiffre bondit de 50 pour cent.

« Pour la plupart, ce sont des personnes, comme mes clients, qui ont été franches sur ce que les États-Unis faisaient là-bas, sur le sol irakien », a ajouté l'avocate.

L'hostilité envers les résistants à la guerre en Irak du précédent gouvernement canadien n'avait pas rendu non plus le Canada beaucoup plus accueillant.

Quand Rivera a été expulsé en 2012 et arrêté à la frontière, les députés conservateurs ont exulté de joie dans la Chambre des Communes.

Le résistant américain Rodney Watson, à gauche, écoute le député libéral canadien Gerard Kennedy pendant une conférence de presse en décembre 2009. (Darryl Dyck / CP)

Lors d'une étape de la campagne électorale l'année dernière à Winnipeg, Trudeau a désigné cette réaction comme « décevante » et « problématique ». Il a aussi désigné les résistants à la guerre au Vietnam comme « des personnes extraordinaires (…) qui contribuent à notre société, notre communauté ». Il a ajouté que le gouvernement conservateur, dirigé par le Premier ministre d'alors Stephen Harper, avait agi d'une manière qui « manquait de compassion et qui manquait de compréhension ».

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La femme de Key, Alexina, était dans la foule ce jour-là et elle a interrogé Trudeau à propos du cas de son mari.

« Je soutiens le principe d'autoriser les objecteurs de conscience à rester, et je m'engage à examiner son cas », a-t-il répondu.

En 2009, le ministre de l'Immigration d'alors, Jason Kenney, s'était irrité de la manière dont les résistants à la guerre en Irak étaient caractérisés et les a désignés comme des « demandeurs d'asile bidons » qui « obstruaient » le système d'immigration.

« Nous ne parlons pas de conscrits réfractaires, nous ne parlons pas de résistants », avait déclaré à l'époque Kenney à Canwest News. « Nous parlons de personnes qui se sont engagées pour servir dans les forces armées d'un pays démocratique et qui ont simplement changé d'avis et ont fui. Et c'est très bien, c'est la décision qu'ils ont prise, mais ce ne sont pas des réfugiés. »

En 2010, il a présenté l'« Operation Bulletin 202 », une directive à destination des agents d'immigration qui classe les résistants comme des criminels interdits de territoire et leur ordonne de signaler les cas au ministère de l'Immigration.

Robidoux a désigné le gouvernement Harper comme « particulièrement vindicatif » et a déclaré qu'elle et son équipe espèrent un changement de politique de la part de Trudeau. Les libéraux ont indiqué leur soutien aux résistants de guerre dans le passé, passant une motion non contraignante en 2008 pour leur permettre de rester et soutenant une loi qui aurait autorisé les étrangers qui ont quitté l'armée de leur pays ou qui ont refusé un service militaire obligatoire à éviter de participer à une guerre illégale. Ce projet de loi a été défait au Parlement.

Lors d'une conférence de presse tenue à Vancouver en juillet, le vétéran de l'armée américaine Rodney Watson, qui a passé les sept dernières années à vivre dans une église et qui a eu un fils avec une femme canadienne, s'est joint à Jenny Kwan, un député du second parti d'opposition canadien, le Nouveau Parti Démocratique, pour demander au gouvernement d'agir.

Il en a appelé directement au Premier ministre.

« Je vous implore (…) de faire le bon choix et de me permettre d'être libre d'être avec mon fils, né canadien », a-t-il déclaré. « De faire partie de sa vie, de lui être utile, d'être un excellent père, un excellent modèle. Je veux avoir un rôle positif au sein de la société. »


Suivez Tamara Khandaker sur Twitter : @anima_tk