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Les migrants face à la vague de froid en Europe

Reportage dans un entrepôt au coeur de la capitale serbe, Belgrade, où 2 000 migrants vivent dans des conditions extrêmement rudes sous - 16 degrés.
Tim Hume/VICE News

Dans les ténèbres d'un entrepôt abandonné, un Pakistanais au nom de Hayat Ali et au regard fatigué tremble sous une couverture, alors qu'il réconforte un ami malade allongé à ses côtés. À quelques mètres de là, des enfants d'une dizaine d'années se regroupent autour d'un feu. Leurs visages et vêtements sont sales. Dehors, le sol est couvert de neige. La température est tombée à près de -16 degrés ces derniers jours.

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Cette scène ne se passe pas dans une zone de guerre ou après un désastre naturel. Cela se passe dans le coeur d'une capitale européenne. Depuis 2015 et le début de la crise migratoire actuelle, des campements comme celui-ci ont vu le jour partout sur le continent, de la Grèce jusqu'en France. Ces camps se sont remplis de migrants désespérés qui doivent faire face à des conditions de vie très dures sur la route vers l'Europe, où ils s'attendent à trouver une vie meilleure.

Ce grand bidonville misérable contient près de 2 000 habitants dans le centre de Belgrade, en Serbie. Il a été construit dans un ensemble d'entrepôts appartenant aux compagnies ferroviaires. Ici, des centaines d'hommes et d'enfants dorment dans des conditions déplorables derrière le dépôt de bus de la ville.

Après avoir échoué à traverser la frontière vers l'Union européenne, les migrants sont coincés là, dans des conditions infernales. Leur situation alarmante a poussé les Nations unies à tirer la sonnette d'alarme : certains pourraient mourir en cas d'une vague de froid particulièrement brutale.

Les migrants chauffent de l'eau pour se laver dans un campement de fortune à Belgrade, en Serbie.

Les ONG humanitaires et les autorités serbes ont des discours divergents pour expliquer pourquoi les migrants dorment dans de telles conditions, au lieu d'être pris en charge dans l'un des centres d'hébergement du pays, gérés par le gouvernement et proches de leur capacité maximale. Selon le gouvernement, les migrants refusent systématiquement de l'aide par peur d'être expulsés. Les autorités disent que des lits chauds sont disponibles pour quiconque en veut un. Selon les membres des ONG, le risque d'expulsion est crédible, et des migrants ont été refusés dans les centres d'hébergement, qui seraient à leur capacité maximale.

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Les deux camps ne divergent pas sur un point : cette situation déplorable est le résultat de l'échec de toute l'Europe à répondre de manière adéquate à la crise migratoire. Et cela ne va probablement pas changer de sitôt, sauf si une solution politique est trouvée. Et vite.

Les températures ont plongé à -16 degrés la semaine dernière et ont fait surgir des cas sérieux de gelure. Les migrants dans les entrepôts sont également forcés à rester éveillés toute la nuit, à se regrouper autour des feux pour survivre jusqu'au matin.

Les feux constants — alimentés par des bouts de bois industriel trouvés dans les alentours — peuvent aider à résister au froid, mais ils ont aussi leurs effets pervers : la fumée cancérigène est responsable de centaines d'infections pulmonaires dans le camp, selon Momcilo Djurdjevic, docteur pour Médecins sans frontières (MSF).

« On crache du charbon. Nos nez sont remplis de carbone », dit Ali.

Il prend des antibiotiques pour soigner la même toux sèche et la même infection pulmonaire que son ami. Selon Djurdjevic, Sans eau courante et sans assainissement, les maladies se propagent facilement, les épidémies de poux ou de gale sont monnaie courante. Pour se laver dans le campement, les migrants doivent chauffer de l'eau dans un tonneau d'huile posé sur un feu allumé dans la neige. Ali ne s'est pas lavé depuis un mois.

Des migrants dorment sous des casiers de l'entrepôt abandonné.

Cet ancien professeur de 44 ans dit avoir décidé de laisser son épouse et leurs six enfants dans la province pakistanaise de Khyber Pakhtunkhwa après avoir reçu une menace de mort émanant des talibans. Ceux-ci ont affirmé qu'il n'était pas conforme à l'islam que son épouse, une professeure comme lui, travaille en dehors du foyer. Après avoir discuté avec sa femme, ils ont alors décidé qu'il devrait demander asile en Europe. Ali espère s'installer en Italie, bien qu'il n'y connaisse personne, car il a entendu que le pays accepterait sa demande plus facilement. Il pourrait ensuite ramener sa famille en Europe.

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Comme pour de nombreux migrants du campement, il est dur de vérifier l'histoire d'Ali : il dit ne pas avoir pas de papiers, car il dit n'avoir pas eu le temps de demander un passeport avant de s'enfuir.

« J'avais une vie de luxe au Pakistan. J'enseignais. On avait deux bons salaires — j'avais une voiture et une moto et beaucoup d'argent en poche », dit-il..

Il fait signe en direction de la petite portion de l'entrepôt où il dort depuis trois mois sous une couverture et sur le sol en béton. Il est à quelques mètres d'une zone qui fait office de toilettes. « Maintenant, j'ai les poches vides », dit-il.

Pourquoi la Serbie ?

La Serbie est sur la fameuse route des Balkans, qui est la principale voie de passage terrestre qu'ont empruntée des milliers de migrants venant du Moyen-Orient et de l'Asie et voulant atteindre l'Europe du nord. La Serbie, pays relativement pauvre par rapport aux standards européens, n'est pas un membre de l'Union européenne et est devenue un pays de transit très fréquenté : la plupart des migrants y arrivent avec l'intention de poursuivre leur route vers le nord-ouest.

La Serbie est sur la fameuse route des Balkans, la principale voie de passage terrestre par laquelle de milliers de migrants venant du Moyen-Orient et de l'Asie voulant atteindre l'Europe du nord.

« On est complètement conscients du fait que personne ne veut rester ici », a dit Ivan Miskovic, porte-parole pour le Commissariat serbe pour les réfugiés et la migration. Selon lui, sur la douzaine de migrants qui ont demandé et reçu l'asile en 2016, presque aucun n'est resté dans le pays.

Pendant les premières étapes de la crise, le flux de personnes a suvi son cours librement, grâce à la politique de la « vague qui passe », qui permettait aux migrants de traverser les frontières avec très peu de contrôles. Le campement de fortune de Belgrade a commencé à se former quand les gens ont commencé à être refoulés — parfois de manière violente, selon les migrants et humanitaires.

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La plupart de ceux qui tentent de partir sont refoulés par la Hongrie, au nord de la Serbie, où le gouvernement ultra-droitier de Viktor Orban a créé une immense clôture en barbelés pour démarquer la frontière. Dans l'entrepôt de Belgrade, Dawood Khan, un serveur de 26 ans de la province pakistanaise de Khyber Pakhtunkhwa, nous montre son pansement sur la main. Selon lui, il s'est blessé lorsque lui et 12 autres ont été refoulés après avoir essayé d'entrer illégalement en Hongrie à travers les barbelés, deux jours auparavant.

« Ils ont pulvérisé[du gaz poivré] sur mes yeux. Ils m'ont battu très durement », dit-il.

Selon Andrea Contenta, conseillère en affaires humanitaires pour Médecins sans frontières, son organisation a entendu des centaines de témoignages de violences à la frontière et voit régulièrement des migrants se présenter avec des blessures qui prouvent leurs soupçons : des bleus dus aux passages à tabac, des morsures de chien, des blessures de taser, des inflammations dues au gaz poivré.

Le gouvernement hongrois a déclaré « rejeter totalement » ces soupçons. « La police effectue son travail, de manière professionnelle et proportionnelle, et ils mettent particulièrement l'accent sur un traitement humain des migrants, avec le respect pour la dignité humaine », a déclaré dans un communiqué le cabinet du Premier ministre.

Malgré les dangers, les migrants continuent à arriver. Et le fait que l'Europe se concentre sur la fermeture de ses frontières a obligé les migrants à dépendre encore plus des passeurs ou à employer des méthodes très risquées, selon Contenta. En essayant de traverser les frontières illégalement, ils font des kilomètres à pieds dans des conditions très dures dans les forêts.

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La plupart des migrants échoués à Belgrade, à l'image de Khan, ont déjà été refoulés plusieurs fois. Ils retournent alors à chaque fois au bidonville — où ils peuvent rencontrer des passeurs plus facilement — pour planifier le prochain passage. Ali, lui, a déjà échoué 10 fois, selon lui. Il dit qu'il va continuer à essayer.

Pourquoi dorment-ils dans ces conditions ?

La Serbie a répondu au nombre croissant de migrants dans son territoire en mettant en place 16 centres d'hébergement pour accueillir jusqu'à 6 000 personnes partout dans le pays. Les abris sont pratiquement complets, certains sont même au-delà de leur capacité, selon l'agence de l'ONU pour les réfugiés. Selon cette dernière, il y a 7 200 migrants en Serbie, alors que les ONG estiment ce nombre plutôt à 8 000, un chiffre non-officiel.

Jusqu'à 2 000 d'entre eux n'ont pas été pris en charge par l'hébergement de l'État. Nombreux sont ceux à avoir refusé ce dernier par peur que les autorités serbes ne les déportent vers des pays plus au sud. D'autres disent qu'ils ont été refoulés des abris officiels car remplis.

Après la dernière vague de froid, les autorités serbes ont lancé une campagne pour encourager ces migrants à gagner les centres du gouvernement, où ils ont accès à des espaces chauffés, des installations pour l'hygiène ainsi que trois repas par jour. « On a fait tout ce qu'on pouvait pour persuader ces gens qu'ils devraient sortir de là », a dit Miskovic, porte-parole pour le Commissariat serbe pour les réfugiés et la migration.

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Les migrants font la queue pour avoir de la nourriture, dans des températures glaciales.

Bien que les centres affichent presque complet, Miskovic avance qu'il y a de la place pour ces sans-abri — dont le nombre est estimé à plus de 1 000, selon le gouvernement. « Si vous avez une cuisine, vous pouvez mettre des lits dedans, dit-il. S'il y a cinq personnes selon les règles, on pourrait installer sept ou huit lits dedans. Ce n'est pas le moment de suivre la procédure de façon stricte. »

Miskovic indique que suite à leurs efforts, 450 personnes de plus ont gagné les centres d'hébergement au cours de la semaine dernière, la plupart étant des femmes et enfants. Près de la moitié des mis à l'abri sont âgés de 18 ans ou moins, et 15 pour cent d'entre eux sont des femmes, selon l'ONU.

Nasir Ahmad, un enfant de neuf ans de la province afghane de Nangarhar, dort depuis un mois sur une pile de couvertures dans un coin de l'entrepôt. On lui a pourtant offert une place dans un centre d'hébergement. Son frère aîné, qui est son gardien, a refusé d'y aller par peur d'être expulsé.

Pas de retour possible

Tous ceux qui nous ont parlé ont une destination en tête, mais ils en savent tous très peu. Et ils disent tous que peu importe leurs conditions de vie actuelles ; ils préfèrent cette vie-là plutôt que de rentrer dans leurs pays, car ils ont l'espoir de retrouver une nouvelle vie en Europe. Bien qu'ils continuent à être repoussés vers Belgrade, ils disent qu'ils vont continuer à tenter de traverser vers l'ouest. Ils espèrent que les leaders européens vont décider d'ouvrir les frontières — une mesure qui semble s'éloigner au fur et à mesure du durcissement du climat politique.

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« Je vais continuer d'essayer, dit Tahrir Rafiqi, un Afghan de 17 ans originaire de la province de Logar, qui a été refoulé de la frontière hongroise sept fois au cours des trois derniers mois. En Afghanistan, les gens ont des problèmes, je ne peux pas rentrer. »

« Le fait est que personne ne veut de ces gens, dit Miskovic. Il y a un grand fardeau sur nos épaules. On fait du mieux qu'on peut… Vous pensez qu'ils seraient autorisés à ouvrir un campement de fortune dans le centre de Londres ou de Berlin, comme ils l'ont fait à Belgrade ? Vous voulez dire qu'on n'est pas tolérants ? »

Malgré les divergences d'opinions entre le gouvernement et les ONG sur la réponse apportée par Belgrade, ils sont tous d'accord pour dire que cette situation est le résultat de l'échec de toute l'Europe.

Entre-temps, malgré les promesses de lits au chaud, Ali se prépare pour passer une énième nuit à l'entrepôt. Il prévoit d'essayer de traverser la frontière une onzième fois dès que le climat le permettra. Mais il réfléchit à rentrer au Pakistan dans quelques mois si la chance ne lui sourit toujours pas. Et la météo prévoit encore plus de neige pour les prochains jours.


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