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Crime

Les paris sportifs ruinent la jeunesse ougandaise

Une association dans un bidonville de la capitale a trouvé une solution pour sortir les joueurs du cercle vicieux du jeu.
Photo par Elizabeth McSheffrey

Le soleil du milieu d'après midi tape fort, haut dans le ciel de Kabalagala, un quartier de Kampala, capitale de l'Ouganda. Les rues sont en effervescence. Un match de football de première ligue vient de se terminer, et les bureaux de jeu d'argent se remplissent déjà, en prévision des matchs à venir.

Araphatt Promice se fraye un chemin à travers la foule du bureauTop Betting Spot. Il veut les pronostics. Il a perdu son dernier pari.

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« Dans le jeu, parfois on perd, parfois on gagne, » dit-il dans un haussement d'épaules tout en examinant les tableaux. « En général, je perds plus souvent que je ne gagne. »

Kabalagala est le coeur officieux du jeu à Kampala. Dans la rue principale, Kabalagala Road, des bureaux de jeu sont ouverts 24 heures sur 24. Les machines à sous brillent sous les yeux des passants.

Araphatt Promice ne compte pas l'argent qu'il perd, mais depuis des années, ces pertes l'ont endetté. L'homme de 26 ans travaille à mi-temps dans une salle de jeu, et a l'habitude de s'y adonner après son service.

« Je me console, » dit-il. « Je peux perdre dix fois, mais la onzième je gagnerai peut-être. »

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En 2012, l'ONG, ActionAid International Ouganda, a désigné les jeux d'argent comme le « nouveau vecteur de la pauvreté chronique » des jeunes. L'ONG Board of Uganda a rapporté que « Beaucoup de jeunes arrêtent de prendre part à des activités productives pour s'adonner au jeu, et surtout aux paris sportifs. »

Le jeu rapporte près de 5 millions de dollars d'impôts au gouvernement. Ça peut paraître pas grand-chose, mais près de 40 pour cent de la population ougandaise vit avec moins d'1,25 dollars par jour. En plus, il y a un nombre incalculable de salles de jeu illégales à travers le pays qui ne paient pas d'impôts sur ce qu'ils gagnent.

D'après le conseil national du jeu ougandais, il y a plus de 1 000 centres de jeu enregistrés en Ouganda qui sont possédés par moins de 50 entreprises de jeu. Leurs casinos, leurs salles de loterie, leurs billards, et leurs salles de paris sportifs sont ouverts 24 heures sur 24, attirant des centaines de milliers de gens tous les jours.

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« La seule limite, c'est votre capacité à faire rouler les dés, » dit Denis Wabwire, qui travaille au Ultimate Betting Company sur Kabalagala Road, alors qu'il se penche sur l'une des machines à sous dans la salle de jeu pleine à craquer. « On devrait faire quelque chose pour ça… On devrait faire des lois, mettre des limites sur l'argent que les gens peuvent parier. »

L'homme de trente ans, costaud, avait pour habitude de parier régulièrement aux dés, mais quand il a arrêté il s'est rendu compte qu'il dépensait plus de 80 pour cent de son salaire chaque jour.

Araphatt Promice regarde les pronostics. (Photo par Elizabeth McSheffrey)

En 2013, le conseil national du jeu a fait un pas pour contrôler l'industrie du jeu en doublant les frais de licences de jeu, qui montent à près de 3 500 dollars, et en interdisant les magasins près d'un bâtiment public, des églises, des marchés et des bureaux du gouvernement. Quand ces mesures ont échoué à ralentir les paris, le président du conseil national du jeu Manzi Tumubweine a lancé un avertissement à tous les jeunes adultes ougandais.

« Le jeu n'est pas une solution à la pauvreté, c'est un loisir, » a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse en janvier. « Le problème actuel de notre société, c'est le chômage de masse, vous ne pouvez pas vous faire de l'argent là où il n'y en a pas. »

Betty Basirika, conseillère professionnelle du réseau des familles de Kampala dit que la pauvreté et le chômage conduisent des milliers de jeunes ougandais entre 18 et 30 ans dans les salles de jeu. Elle voit plusieurs jeunes clients par semaine dans son bureau non loin de Kabalagala pour les conseiller quand ils traversent une « crise financière » à cause de dettes de jeu.

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Mais une petite association de jeu de Kampala a trouvé un moyen de transformer ces paris en une forme d'investissement solide.

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Comme partout ailleurs, la maison est toujours gagnante à l'association Namuwongo Bukasa Games. La différence, c'est que les parieurs font aussi partie de la maison.

« Pour nous, ce n'est pas du jeu, » dit Christopher Othieno, le président de l'association qui en est membre depuis 17 ans. « Les parieurs vont aux machines ou vous pouvez dépenser des millions de shillings (la monnaie ougandaise) en quelques minutes… On vient ici pour jouer, et c'est comme ça qu'on peut épargner notre petite paie. »

Tous les jours, les membres se retrouvent dans une cahute jaune à la périphérie du bidonville de Namuwongo. Là, ils jouent aux cartes et à un jeu de dés qui s'appelle Ludo. Les mises sont à moins de deux dollars par partie — un taux plutôt faible pour les habitants de Kampala. (Les Ougandais des centres urbains sont plus riches que les ruraux.) Ce qui veut dire que personne ne prend le risque de parier un mois de salaire, de perdre des bourses d'école ou de s'endetter.

Le gagnant de chaque jeu emporte les mises, moins 20 pour cent. Cette somme est bloquée dans un fonds d'épargne de la communauté, et il est distribué aux membres à la fin de l'année. Othieno ne veut pas dire où et comment il est gardé. Il a peur d'attirer les voleurs.

En 2013, l'association a accumulé près de 6 300 dollars, et à la fin de l'année, chacun de ses membres a reçu 105 dollars. D'après une récente étude du bureau national de statistiques ougandais, c'est l'équivalent d'un mois de salaire pour un Ougandais moyen.

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« C'est une façon intelligente de parier parce qu'on reçoit un peu d'argent de nos jeux ici, et à la fin de l'année, on le redistribue entre nous, » dit le président. « Quand l'un des membres a un problème, on fait en sorte de payer ce qu'il faut pour le résoudre. »

L'association a vu le jour il y a plus de 30 ans à Naumuwongo, avec moins de 15 membres qui payaient 17 pour cent par partie gagnée. Depuis, elle s'est étendue à plus de 50 membres, et de nouveaux participants s'inscrivent au début de chaque année. Il y a quatre ans, l'association a été enregistrée au Kampala Capital City Authority (KCCA), ce qui en a fait une association légale et officielle.

Parmi les règles d'adhésion, le fait d'être originaire de Namuwongo est requis. Les membres doivent aussi être sobres, et avoir un emploi. Les règles sont destinées à empêcher les membres de parier pour avoir un revenu plutôt que par plaisir, et pour empêcher les jeunes adultes de parier de façon irresponsable.

Les membres de la Namuwongo Bukasa Games Association jouent au Ludo. (Photo par Elizabeth McSheffrey)

En plus des gains de la fin de l'année, l'association choisit un membre qui sera le bénéficiaire de l'argent supplémentaire. Ce versement est destiné à un individu qui a connu une tragédie personnelle ou familiale, et qui a besoin d'argent pour des traitements médicaux, pour le transport ou des funérailles.

En 2005, cette personne c'était Samuel Asiimwe, qui a perdu son père, mort soudainement d'un cancer. Il a reçu 17, 50 dollars pour rentrer dans son village et être aux côtés de sa famille — cet argent a permis de financer ces dépenses non prévues.

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« C'était le jour le plus triste de ma vie, » dit-il en s'asseyant sur un banc près du jeu de Ludo. « Mais dans ce groupe, nous sommes comme des frères. »

L'association fournit la somme nécessaire pour gérer les malheurs, pas plus. Ça permet un gain plus important à ses membres, et ça permet au groupe d'avoir plus d'argent disponible au cas où il y a une urgence.

Asiimwe attrape une coupelle orange qui contient les dés de Ludo et les fait rouler sur la table. Aujourd'hui, il remporte 5,60 dollars qu'il a gagnés au jeu.

« Dans les quatre ou cinq années qui viennent, on n'aura pas de membre pauvre, » dit Othieno en regardant le jeu. « Il n'y a pas d'homme qui lancera d'appel au secours. » Les femmes sont autorisées dans le groupe, dit-il, mais aucune ne s'est inscrite jusqu'à présent.

À terme, l'objectif de l'association est que tous ses membres soient en sécurité financière ; elle offre aussi des prêts sans intérêts à ceux qui ont des problèmes d'argents. Une petite partie des fonds est prélevée chaque semaine pour l'entretien des cartes et de la table de Ludo, mais le reste est conservé dans le pot pour la distribution de la fin décembre.

Othieno et les autres membres de la direction n'ont pas de salaires. Pendant ses dix-sept ans dans l'association, il dit qu'il n'y a jamais eu de problème avec un membre qui soit un voleur.

« Vous pouvez voir que ce sont tous des gentlemen, » dit Othieno. « On ne laisse pas les gens que l'on ne connaît pas rejoindre notre association. Vous ne pouvez pas venir ici et faire les poches des gens. »

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Autant qu'Othieno sache, l'association Namuwongo Bukasa Games est la seule du genre à Kampala, malgré des centaines de groupes de parieurs informels qui opèrent dans l'ombre des casinos et des salles de jeu.

L'association a conscience des problèmes que le jeu pose à la jeunesse du pays, dit Othieno qui surveille de près tous les membres de moins de trente ans. En plus de leur demander d'être employés, lui et d'autres membres seniors surveillent leurs finances pour s'assurer qu'ils peuvent se permettre de parier.

Le modèle fonctionne depuis plus de 30 ans, et le président est surpris que d'autres groupes officieux de paris n'aient pas adopté un modèle semblable. Il pense que peu de gens ont entendu parler de l'association Namuwongo Bukasa Games en dehors du bidonville, mais il espère que l'information se diffusera à Kampala.

« Nous sommes la meilleure des associations, » dit Othieno. « Si d'autres personnes essayent d'apprendre de nous, nous les accueilleront. »

Autour de lui, les joueurs acquiescent, puis reprennent leur partie.

Suivez Elizabeth McSheffrey sur Twitter: @emcsheff