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Crime

Les talibans demandent à l’organisation État islamique de ne pas toucher à l’Afghanistan

Dans une lettre adressée au chef du groupe État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi et à ses partisans, les talibans expliquent que les deux organisations feraient mieux de s’entendre.
Photo par Ghulamullah Habibi/EPA

Dans la bataille des allégeances extrémistes que se livrent les talibans d'Afghanistan et le groupe État islamique (EI), la dernière salve a été tirée sous la forme d'un courrier publié ce mardi.

Dans une mise en garde adressée à l'EI, les talibans incitent le groupe djihadiste à ne pas s'implanter en Afghanistan. Ils écrivent que si les deux organisations deviennent rivales dans le pays, les décennies passées par les talibans à combattre des puissances étrangères et le gouvernement afghan pourraient être gâchées.

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Ce mercredi, le Pentagone indiquait que l'EI est dans une « phase initiale d'exploration » en Afghanistan, confirmant la présence de l'organisation d'Al-Baghdadi dans le pays. Le rapport rendu par les services américains montre « quelques indications d'efforts de recrutement limité » de la part de l'EI.

« Le djihad contre les envahisseurs américains et leurs marionnettes devrait être mené sous une même bannière, une même direction, un même ordre, » lit-on dans la lettre signée par le numéro deux des talibans, le mollah Akhtar Mohammad Mansour et adressée au leader de l'EI, Abou Bakr al-Baghdadi et à ses partisans.

La lettre, publiée ce mardi dans plusieurs langues, explique à Baghdadi qu'il ne devrait pas « prendre de telles décisions d'aussi loin ». Ces décisions mettraient en péril l'intégrité de l' « Émirat islamique », le nom que les talibans donnent à leur territoire.

Les talibans menacent ensuite de « montrer leur réaction contre » l'EI, s'il ne tient pas compte du message des talibans.

Bien que des experts affirment que les moyens déployés par l'EI en Afghanistan sont inconnus, le groupe djihadiste a déclaré que le pays, tout comme le Pakistan, fait partie de sa province du « Khorosan », incitant des djihadistes des deux pays à prêter allégeance au Califat autoproclamé de l'EI et à conduire des attaques en son nom.

En mars, l'envoyé spécial de l'ONU en Afghanistan a déclaré devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies que la présence de l'EI sur place « est préoccupante, mais son importance ne se mesure pas forcément par ses capacités intrinsèques, mais plus par sa force d'attraction — plusieurs groupes d'insurgés afghans isolés pourraient en effet choisir de rallier l'EI. »

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Depuis cette déclaration, des combats entre les talibans et des combattants de l'EI auraient eu lieu dans plusieurs parties de l'Afghanistan. En mai, un camion chargé d'explosifs a sauté dans la province de Zabul lors d'affrontements entre les deux camps — faisant 11 victimes. Début juin, l'armée afghane a annoncé que l'EI avait décapité 10 Talibans, que l'EI avait faits prisonniers lors d'une bataille. Les combats continuent dans Jalalabad et ses alentours — dans la province de Nangarhar. Le gouverneur de la province, un « taliban de l'ombre, » a été assassiné au Pakistan la semaine passée.

La montée des tensions coïncide aussi avec des attaques contre des minorités religieuses des deux côtés de la frontière. Ces minorités sont des cibles faciles. En février, peu après avoir annoncé leur récente allégeance à l'EI, deux ex-commandants talibans ont planifié le kidnapping d'une trentaine d'hommes et garçons issus de la communauté afghane des Hazaras (une minorité chiite).

Pour certains experts, l'EI est une force encore relativement mineure en Afghanistan, mais l'EI semble être engagé dans un mécanisme d'insurrection à l'intérieur même de l'insurrection des Talibans, qui court depuis des décennies dans le pays. L'EI réclame aussi une certaine autorité idéologique.

« Je pense que les talibans sont un peu frustrés, parce qu'ils ont fait 99 pour cent du travail pendant des décennies, » explique à VICE News, Patrick Skinner, le directeur des programmes spéciaux du Soufan Group, qui suit les groupes extrémistes.

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À regarder : Le documentaire de VICE News "L'État islamique"

Les talibans ont longtemps été les alliés d'Al-Qaïda, l'organisation majeure du terrorisme au niveau international, avant la montée en puissance fulgurante de l'EI en 2014. Autre problème de taille pour les talibans, leur commandement est de plus en plus fracturé — ce qui en fait une cible pour l'EI. Le groupe d'Al Baghdadi est habile pour combattre à échelle mondiale et maîtrise parfaitement les codes des réseaux sociaux.

« Les gens veulent rejoindre l'EI parce qu'ils sont à la mode en ce moment, » explique Skinner. « Les talibans sont dans une situation diamétralement opposée. Ils contrôlent simplement des provinces ou des villages. » L'EI pourrait « voler leur feu sacré » au moment où les soldats de l'OTAN quittent l'Afghanistan.

En avril, les talibans ont diffusé une biographie en l'honneur de leur leader historique, le Mollah Omar — une initiative que beaucoup ont reliée à l'influence grandissante de l'EI. La biographie montre à quel point le Mollah Omar est soutenu et vu comme un intermédiaire très crédible pour les leaders religieux. Dans la lettre de ce mardi, les Talibans en ont remis une couche, notant qu'Omar et les talibans « ont fait d'innombrables sacrifices pour libérer l'Afghanistan de l'occupation des envahisseurs et affirmer la loi islamique. »

Néanmoins, Omar n'a pas été vu en public depuis plus de 10 ans, et des doutes courent, même parmi les membres des talibans, sur sa possible mort. Ceux qui ont décidé de rejoindre l'EI en Afghanistan seraient des talibans frustrés à la longue par leur leadership.

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Contrairement à l'EI qui contrôle de larges pans de territoires en Irak et Syrie — et a reçu l'allégeance de partisans issus d'une dizaine de pays différents — les talibans se sont toujours concentrés sur l'Afghanistan et les zones frontalières avec le Pakistan. Alors que les Talibans discutent accord de paix avec le gouvernement afghan, l'EI offre un autre but derrière son drapeau — celui de l'expansion.

Dans le courrier adressé à Baghdadi, les talibans ont essayé de montrer qu'eux aussi avaient un dessein global.

« L'Émirat islamique a été ferme sur sa position depuis le premier jour, et a toujours reçu la sympathie des musulmans du monde, » apprend-on dans la lettre. « De fait, il n'y a pas nécéssité, selon la charia, d'établir un équivalent en Afghanistan. »

Les talibans peuvent aussi souhaiter éviter d'attirer l'attention de la communauté internationale, qui est pour le moment bien centrée par l'EI.

« Ils préfèrent combattre l'armée et la police nationale afghanes, » explique Skinner. « Mais si l'EI commence à s'activer réellement, cela va alors attirer l'attention du monde entier, et les talibans n'en veulent pas. Pour le moment la présence de l'EI en Afghanistan se fait plutôt sur le terrain de l'ambition et de la propagande. Il ne s'agit pas d'une présence actionnable. Mais cela ne veut pas dire que cela ne peut pas changer. »

Suivez Samuel Oakford syr Twitter : @samueloakford