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Sport

L’espoir du foot féminin français joue au Kurdistan irakien

Nous avons rencontré Théa, 15 ans, une jeune française qui dribble à Erbil avec ses coéquipiers kurdes, arabes, yezidis et affronte des équipes de réfugiés de la région.
L'attaquante Théa lors d'un match à Erbil (Photo par Pierre-Simon Assouline)

« Mets la pression Théa ! Mets la pression ! » grogne en anglais Claudio, l'entraîneur. « He's big, coach ! » répond la jeune française. Les spectateurs, enfoncés dans leur fauteuil chicha à la main, sont des réfugiés et les miraculés de la guerre.

Nous sommes à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, au mois de février. Elle tente, Théa Malifarges, mais les gars autour d'elle la dépassent d'une tête. Sur tous les ballons, elle compense sa petite taille par un déploiement d'énergie décuplé, et tout un arsenal de gestes techniques. Et très souvent ça passe. Autour d'elle courent ses coéquipiers kurdes, arabes, yezidis. En face d'eux, on trouve l'équipe des réfugiés de Mossoul.

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Du kurde, de l'arabe, de l'anglais, du français, on entend beaucoup de langues sous les bâches du stade municipal d'Erbil, où se déroule ce match amical. Beaucoup de rescapés irakiens et syriens ont pris l'habitude d'y jouer

Théa est française, elle a 15 ans. Elle est arrivée à Erbil à la rentrée 2014, avec son père qui est proviseur et animateur culturel. Son coach, Claudio Moises, est un pasteur brésilien, qui grâce au football veut redonner un cadre aux jeunes déracinés.

La Brasilian Accademy

Ce soir l'équipe adverse vient du camp de réfugiés de Bartella. Ce sont des chrétiens irakiens originaires de Mossoul, dont l'organisation terroriste État islamique s'est emparée en juin 2014. L'équipe de Claudio, elle, est constituée de Kurdes, d'Arabes, de Yézidis, et de quelques expatriés.

Après 8 années passées en Égypte, Claudio Moses a débarqué avec sa femme professeure au Kurdistan irakien en 2012, et ouvert la Brasilian Accademy dans la foulée.

« Au début nous organisions deux saisons par an, de septembre à décembre, et de janvier à avril. Après il fait si chaud que c'est impossible de courir ». Les rapports avec le ministère des Sports étaient bons. Mais deux ans plus tard, l'État islamique lance une offensive dans la région, s'empare de Mossoul, oblige des milliers de gens à l'exil alors que les Peshmergas se mobilisent.

« Depuis on est plus dans le divertissement que la compétition. C'est dur d'organiser des rencontres sérieuses. Mais je veux me servir du jeu pour contribuer à la réconciliation ». Le rêve du pasteur : « créer une équipe kurdo-arabo-christiano-yezidie capable de se sélectionner pour les Jeux Olympiques sous le drapeau du Kurdistan ».

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Jouer comme un garçon

Avec son accent du sud-ouest venu de Castillonnès, elle est la seule footballeuse sur le terrain, peut-être de toute l'Irak.

Si Théa n'est la cible d'aucun regard de travers ou de moquerie, c'est qu'elle « joue au foot comme un garçon, et elle dribble très bien. Alors elle se fait naturellement respecter » affirme Claudio.

Le coach l'avait d'abord refusée dans son équipe : trop jeune, trop fragile, trop fille. Il se retrouve alors face à Théa, qui lui explique tranquillement que le lendemain elle se rendra quand même à l'entraînement. Et si après l'avoir vu jouer, il décidait de la refuser toujours… alors d'accord, elle accepterait. Habile négociatrice, courageuse sur le terrain,Théa est franche, obstinée mais pas égoïste : ce soir-là, ses passes décisives sont à l'origine de plusieurs buts.

« Hou-là, sûr, il y a de la volonté là-dedans », commente depuis la touche Bertrand Malifarges, son père, bonhomme joyeux et proviseur de l'école française Danielle Mitterrand d'Erbil. Le plus drôle c'est qu'elle s'est mise à jouer en Irak. Avant ça ne l'intéressait pas. Pourtant le foot dans la famille… Moi j'étais en division d'honneur dans un club de 2e division, et mon père est un mordu aussi».

Ça y est, c'est la mi-temps. Théa a déjà marqué deux buts du pied gauche.

«J'ai commencé à jouer après l'école » nous explique la jeune attaquante. Elle raconte avoir vite évolué en regardant « beaucoup de tutoriels. Et surtout les vidéos de Louise Necib, la n°14 d'équipe de France, et n°10 de l'Olympique lyonnais. C'est ma joueuse préférée. Moi, je suis fan de l'OL, des équipes féminine et masculine ».

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C'est son « papy qui était gardien de foot », qui l'a poussée sur le terrain. « On s'énerve tous les deux parce que lui est pour l'OM ». Quand elle rentre dans le sud-ouest, il est aux cages et Théa tire pendant des heures, sur le terrain qui est derrière la maison.

« Elle va cartonner »

Après s'être perfectionnée dans la cour de l'école avec deux amis, son père décide de l'emmener tous les samedis matin à Naz City, à quelques kilomètres d'Erbil. Là, des professeurs et des membres du personnel de l'UKH (University of Kurdistan) ont pris l'habitude de venir jouer. Elle s'intègre vite, mais Théa veut disputer des championnats.

On lui conseille donc la Brasilian Accademy de Claudio Moses, autre ovni du Kurdistan irakien. « Au début c'était difficile d'y entrer. J'avais 14 ans, Claudio ne voulait pas me prendre. Il m'a dit« à cet âge les filles et les garçons ne peuvent pas se toucher » ».

« Je lui ai dit : je viens quand même, je veux jouer avec les grands. Laisse-moi une chance, ok ? J'ai marqué deux buts. Un mois après j'étais titulaire ».

« Regarde, mais regarde, elle n'a pas peur du contact ! Elle tire des deux pieds. Elle a de bons réflexes» détaille un Claudio admiratif qui assure que « rentrée en France, si elle intègre une équipe féminine, elle va cartonner ». Un tel retour pourrait avoir lieu dans les mois à venir, en septembre prochain, ou l'année d'après.


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