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L’étonnant marché des réfugiés de Ngam

On est allés au Cameroun, pour trouver un exemple de coopération positive entre migrants et populations locales.
Diaffarou Nana prie derrière sa boutique, au marché des réfugiés. Ngam, Cameroun. (Adrienne Surprenant).

Ngam est un village camerounais, près de la frontière avec la République centrafricaine. Entre juillet 2014 et juillet 2016, sa population a été multipliée par huit, passant de 1 200 habitants à près de 10 000, conséquence de l'afflux de réfugiés ayant fui la violence en Centrafrique. L'explosion démographique et l'arrivée d'organisations humanitaires ont bousculé la vie du village. Portrait d'une cohabitation forcée.

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Toutes les photos sont d'Adrienne Surprenant.


Aujourd'hui, c'est jour de marché à Ngam, dans le camp des réfugiés.

Assis dans un abri attenant à sa boutique, Diaffarou regarde la pluie s'abattre sur les étals. À travers l'encadrement de la porte, des femmes bâchent leurs marchandises, des enfants courent, des chèvres évitent les gouttes. Au chaud, dans la fumée d'un braséro, les rescapés de l'orage se brûlent les doigts en grignotant leur maïs. Ils échangent quelques mots dans un mélange de français, de fulfuldé et de sango. Une multitude d'origines et de trajectoires entassées dans 9 mètres carrés de briques de terre. Ils ne se comprennent pas forcément. Quelle importance ? Ils se respectent. Ils cohabitent.

Un troupeau de boeufs, non loin de Ngam. (Adrienne Surprenant)

Le fulfuldé, c'est la langue de Diaffarou. C'est dans le calme de cet abri, avec ses mots, avant que l'orage n'arrive et que chaque mètre carré ne soit envahi, qu'il raconte son histoire. Sa vie en Centrafrique, sa boutique, ses bœufs, sa maison, sa vie de famille. Il raconte les coupeurs de route, les voyous, le jour de l'attaque, les grenades, les coups de feu, les heures passées terré sous un buisson avec la peur au ventre. Il raconte les sanglots de son voisin de tanière, la certitude que sa famille a été décimée, puis le silence. Il sort, avance vers sa maison. Ils sont là, tous, vivants. Terrorisés mais vivants. Pour lui c'est terminé. Il faut partir, tout quitter, maintenant. Ne plus attendre. Abandonner sa maison. Abandonner sa boutique. Abandonner cette terre qui l'a vu naître. Abandonner sa vie en Centrafrique, et tout recommencer.

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Diaffarou Nana, 36 ans. (Adrienne Surprenant)

À cent kilomètres au nord-ouest du village que Diaffarou a quitté — de l'autre côté de la frontière, cette ligne abstraite qui sépare la guerre de la paix, et la République centrafricaine (RCA) du Cameroun — se trouve Ngam, un bourg de 1 200 âmes, dans la région de l'Adamaoua.

Un semblant de chez eux, pour Diaffarou et les siens. À 36 ans, il doit reconstruire sa vie, dans un camp de réfugiés. Un bidonville surgi de nulle part qui déforme la face du village. Une excroissance faitede bâches et de huttes, d'allées boueuses tirées au cordeau.

En juillet 2014, le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) tentait de contenir l'arrivée ininterrompue de Centrafricains qui fuyaient les balles et les coups de machette, dans un pays en proie à la déstabilisation politique et aux violences intercommunautaires. Borgop, le premier camp construit dans la région, était déjà saturé après seulement cinq mois d'existence. Il fallait trouver un nouveau site. Ngam s'est porté volontaire.

Ouvert le 14 juillet 2014, le site du HCR à Ngam accueille 6 403 réfugiés centrafricains (mars 2016) alors que le village compte seulement 1 250 habitants.

Diaffarou est peul. Et comme la plupart des membres de cette ethnie, il possède des bœufs. C'est à ces bêtes qu'il doit son seul salut, aux quelques têtes de bétail qu'il a réussi à embarquer dans sa fuite. Arrivé au Cameroun, il revend les revend à un autre réfugié pour 500 000 francs CFA, 760 euros. Il achète une friche à mi-chemin entre le camp et le village, quelques marchandises et relance un petit commerce. « À cette époque-là, l'herbe m'arrivait jusqu'aux hanches, sourit-il. Quand je défrichais, ceux qui passaient faisaient semblant de m'encourager. Je crois qu'ils me prenaient pour un fou. Mais d'autres me remerciaient. Ils disaient que c'est comme ça que le développement commence. »

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Saliou était du même avis. Dans sa gandoura écrue, il en impose. C'est le chef du village. Cet ancien fonctionnaire est aujourd'hui à la tête de près de 10 000 administrés. 1 250 autochtones et 8 000 réfugiés. 6 408, selon le dernier recensement de mars 2016. Mais dans le camp on parle plutôt de 8 000. « Il en arrive encore tous les jours », affirment les humanitaires sur place.

L'emplacement du marché, c'était l'idée de Saliou. « Je l'ai implanté là-bas parce qu'il n'y avait pas suffisamment de place ici [dans le village] et pour qu'il y ait plus de cohabitation entre eux et nous. Et grâce à eux, on a maintenant un grand marché. » En deux ans, le hangar de branches et de paille qui a vu les débuts de Diaffarou a fait des petits. Sa boutique, aujourd'hui en dur, est encerclée de bouchers, de cafétérias, d'échoppes de tissus et de vendeuses d'arachides. Camerounais de Ngam ou d'ailleurs, anciens réfugiés, nouveaux réfugiés, tous se pressent les lundis aux aurores pour avoir un emplacement. Le « marché des réfugiés » a supplanté tous les autres.

Le marché des réfugiés à Ngam.

« On vient de tous les villages autour pour faire le marché ici, parce qu'ici ça donne ! » s'exclame Bouba. Lui est camerounais et vient en bus pour vendre ses casseroles en aluminium et ses tissus. « Les réfugiés achètent beaucoup, se réjouit-il. On n'a pas de problème avec eux et on parle la même langue. Ici, on travaille ensemble. » Il se retourne vers une jeune femme. « 7 500 francs le pull. Oui, celui-là, en laine rouge. »

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Un peu plus loin, Julienne Kéza, travailleuse humanitaire à la Lutheran Word Federation (LWF), s'arrête net. Pointant du doigt une baraque de branchages, elle s'extasie. « Encore une nouvelle boutique de marmites ! C'est nouveau, avant elle n'était pas là. » Elle passe pourtant toutes ses journées à quadriller le secteur, entre le camp et le village. Le rôle de cette petite femme joviale, qu'ici tout le monde appelle Maman Julienne, est d'encadrer les activités qui mènent à l'autonomisation des réfugiés. Sa tâche est ardue. L'objectif du HCR est d'arriver à 100 pour cent d'autonomie alimentaire d'ici 2018. La route est encore longue, et pour y arriver cette instance des Nations unies basée à Genève s'est lancé dans le micro-crédit.

Saliou, chef du village de Ngam.

Dans la région de l'Adamaoua, c'est LWF qui gère ces prêts pour le compte du HCR. Cette fondation protestante, basée à Genève, s'occupe d'identifier les réfugiés les plus motivés, de distribuer l'argent et de le récupérer, si possible. Aucune mesure coercitive n'est prévue par le règlement mais Maman Julienne tient à préciser que chaque jour elle le leur rappelle.

« On leur a bien dit qu'avec leur remboursement nous pourrons ensuite financer d'autres réfugiés. » Mairama Mama en est l'une des bénéficiaires. Comme Diaffarou, elle a fui son village le jour d'une attaque et se bat aujourd'hui sur le marché pour améliorer le quotidien de ses enfants. Il y a huit mois, elle a bénéficié d'un prêt de 80 000 F CFA (environ. 122 €) pour acheter un moulin broyeur et un stock d'arachides. Elle n'a pu rembourser que 40 pour cent du prêt, et il ne lui reste que trois mois. « Ma première pensée c'est qu'il faut que je finisse de tout rembourser. Je ne veux pas la honte. Je dois être un bon exemple. »

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Aujourd'hui elle a des liens forts avec les « Ngamoises ». « Quand j'ai commencé à faire le petit commerce au marché, j'allais là-bas chaque jour. C'est comme ça que les amitiés se sont vraiment tissées. » Au milieu des bassines de manioc et des feuilles de gombo, elles ne font pas que se raconter leur vie. Elles épargnent, elles coopèrent. Elles ne s'encombrent pas des questions d'ethnie ou de nationalité. Après chaque marché, elles se réunissent à dix autour d'une table et y jettent chacune un billet de 500 F CFA. Une d'entre elles ramasse le tout et part souriante avec ses 5 000 francs. Lundi prochain, une autre femme empochera la mise. Et ainsi de suite jusqu'au tour de Mairama. Ce jour-là, elle ira voir Maman Julienne dans son QG de bâches siglées UNHCR. Elle déposera les quelques billets froissés sur son bureau. Et Maman Julienne notera consciencieusement la somme versée dans son grand registre des micro-crédits.

Des femmes au marché de Ngam financent leur caisse commune.

Coopérer avec les réfugiés, Assana Bosco en a fait son adage. Cet imam espiègle passe son temps à rire et à cultiver la terre avec ses nouveaux voisins. Ne lui demandez pas son âge, il répondra simplement que ce n'est pas celui qui est marqué sur sa carte d'identité. Bêtise de jeunesse, il aurait falsifié son acte de naissance pour entrer dans l'armée avant l'âge. Finalement, il n'a jamais porté l'uniforme mais dit ne plus se rappeler l'année exacte de sa naissance.

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À 70 ans passés, il manie la bêche comme un jeune homme. Pour lui, il était naturel de venir en aide aux Centrafricains :

« Je n'avais pas le père, je n'avais pas la mère. Je suis orphelin. C'est le Blanc, le nommé Larche qui m'a pris. Qui m'a fait grandir. Et quand j'ai vu ces gens-là, chassés par la guerre, ça m'a rendu triste. J'ai dit aux travailleurs, venez ! Venez ! Mais je ne vous donne pas la terre pour que vous me donniez l'argent. Celui qui cultive, il vient. On va cultiver ensemble. Il trouve à manger, moi aussi je trouve à manger. C'est là où on va oublier tous les problèmes. Quand on travaille avec les mains on oublie tout. »

En plus des deux hectares qu'il leur a donnés, il les forme aux techniques agricoles. Ces anciens éleveurs ou commerçants, qui pour la plupart n'avaient jamais planté un pied de manioc, maîtrisent maintenant la rotation des cultures et les associations de plantes. Mais les bénéfices apportés par cette cohabitation ne sont pas à sens unique.

Assana dit ne pas pouvoir citer tout ce que l'arrivée des réfugiés a apporté aux villageois. « Certains ont pu tôler leur maison, d'autres ont acheté des moutons grâce au commerce sur le marché. » Et le chef Saliou de renchérir : « avant leur arrivée, il n'y avait pas l'eau ici. On buvait l'eau au marigot. Maintenant il y a des forages dans tous les quartiers. On n'avait pas la lumière. Maintenant il y a la plaque solaire au-dessus de ma chefferie. Et l'hôpital, et les dons de semences, et le hangar, etc. »

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Le chef fait allusion a tout ce que les ONG internationales ont donné à Ngam pour favoriser ce qu'ils appellent, dans leur jargon, la cohésion sociale et la cohabitation pacifique. La règle du HCR veut que 30 pour cent des aides non alimentaires, des formations et des micro-crédits soient attribués aux populations hôtes. Le chef n'a pas l'habitude d'attendre un mouvement de son gouvernement pour développer son bourg. Alors il répète en boucle qu' « il faut qu'ils viennent. Il faut qu'ils viennent. Le terrain est là. Il faut qu'ils viennent. On va les accueillir. »

Maïrama Mama, 45 ans.

Tout n'a pas toujours été rose entre les deux communautés. Les bœufs qui ont survécu à l'exil ont par exemple dévasté les plantations du village. Assis dans sa cour, derrière la mosquée, Assana Bosco préfère en rire. « Les premiers qui sont arrivés là, non ! Ce n'était pas facile. Parce que tout notre manioc, ils ont tout gâté. Les éleveurs [réfugiés] disaient que ce sont les blancs qui les ont amenés ici. On leur a répondu que les blancs sont loin de nous. Ils nous ont dit alors d'aller voir Paul Biya [le président]. Nous sommes restés calmes. On n'a rien dit. Qui peut aller voir Paul Biya ? Hahaha ! Et qui peut aller voir les blancs ? Hein ? Certains n'arrivent même pas à Meiganga [NDLR, la préfecture du département, à 3 heures de bus]. On a supporté et on a réussi. Maintenant nous sommes devenus les frères et les sœurs. »

Parce que la «guerre » n'est pas finie en Centrafrique. Parce que les élections présidentielle et législatives de 2016 n'ont rien changé, ou presque. Parce que Diaffarou sait que chez lui on tue encore, il ne rentrera pas. Diaffarou ne rentrera pas. Jamais. « Même si on me dit de rentrer en Centrafrique, ce sera difficile. J'aimerais rester ici, avoir du travail, envoyer mes enfants à l'école pour qu'ils soient comme les Camerounais. Dans nos habitudes, la richesse c'est avoir les troupeaux de bœufs. Mais ici, j'ai découvert que la plus grande richesse c'est d'emmener ses enfants à l'école. »


Texte par Alexis Huguet

Photos par Adrienne Surprenant

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