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L’Europe lance les pistes de sa nouvelle politique migratoire

Alors que les migrants continuent de se noyer dans la Méditerranée, que les conflits dans le monde musclent la pression migratoire, la Commission européenne va accoucher d’une nouvelle stratégie migratoire plus tôt que prévu.
Calais, janvier 2015 Mélodie Bouchaud

Le premier débat d'orientation sur la migration de la Commission Européenne s'est tenu à Bruxelles ce mercredi, au lendemain du naufrage d'un bateau de migrants au large de la Sicile qui aurait fait au moins dix morts, d'après les gardes-côtes italiens. En moins de 24 heures, pas moins de sept opérations menées par ces même garde-côte ont permis de sauver 941 migrants en détresse dans le canal de Sicile.

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Le but de cette première réunion bruxelloise est d'entamer une réévaluation de la politique européenne en matière migratoire face à la pression grandissante des flux de candidats à l'entrée illégale en Europe, dopés par les conflits dans la région, en Syrie et en Libye notamment.

Dimitris Avramopoulos, commissaire européen pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, a tenu une conférence de presse après la réunion de ce mercredi matin. Il a débuté son intervention en parlant du naufrage de la nuit comme « des événements dramatiques », rappelant le besoin d'établir une politique européenne de l'immigration sur le long terme. La politique migratoire qui sera proposée à l'issue de ces travaux arrivera sur les tables à la mi-mai, deux mois plus tôt que la date prévue initialement.

Le commissaire a déclaré qu'il fallait « envisager la migration sous toutes ses dimensions, à l'heure de mettre sur pied un programme européen global en matière de migration : il ne s'agit pas de recourir à des solutions rapides et ponctuelles ; il s'agit plutôt de créer une Union européenne plus sûre, plus prospère et plus attrayante. »

Les travaux s'orientent autour de quatre points : une politique plus unifiée en matière de migration légale, une meilleure lutte contre la migration clandestine, notamment contre ceux qui la structurent et la sécurisation des frontières extérieures de l'Europe. Enfin, un régime d'asile commun « solide ». Dans le viseur de cette dernière piste, le règlement Dublin II, disposition qui fait prendre des risques aux migrants, alors même qu'ils sont arrivés au sein de l'Union européenne.

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Dublin II établit les critères des demandes d'asile faites par les migrants dans l'un des États membres. Le règlement dit notamment qu'un seul État membre est responsable de l'examen d'une demande d'asile. C'est à l'État membre dont les frontières ont été illégalement franchies que revient la responsabilité d'examiner la demande d'asile pour les clandestins. Concrètement, si vous pénétrez illégalement en Grèce et que vous êtes enregistré dans ce pays comme migrant illégal, vous ne pouvez pas faire votre demande d'asile ailleurs dans l'Europe dans les premiers mois de votre arrivée. Au vu des disparités en matière d'accueil des migrants au sein de l'U.E., certains migrants, épuisés par la traversée, préfèrent s'enfuir des centres d'accueil pour ne pas être enregistrés. Lors de notre dernier reportage à Calais, des histoires de migrants se brûlant les bouts des doigts pour ne pas être fichés nous avaient été rapportées par certains associatifs qui leur viennent en aide. Invérifiables, ces histoires témoignent du poids de Dublin II sur le quotidien des migrants.

Si Dublin II a été évoqué à plusieurs reprises ce matin comme un élément à améliorer, c'est surtout parce qu'il met en lumière l'absence d'harmonisation juridique entre les 27 pays de l'Union. Une volonté qui sera délicate à mettre en ?"uvre puisque les compétences en matière de migration ne sont que partiellement déléguées à l'Union Européenne.

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Le cadre juridique posé par Dublin II crée des inégalités entre les pays, puisque ce sont les pays en première ligne de la migration illégale, ceux de la rive nord de la Méditerranée — l'Italie, la Grèce et Malte notamment — qui doivent gérer la plus grande partie des demandes d'asile dans l'Union Européenne.

À voir : L'Europe ou la mort - Ép.2 : Les bateaux de la mort (1/2)

François Gemenne, chercheur en sciences politique à Sciences Po, et à l'université de Liège est spécialiste de la gouvernance des flux migratoires. Il explique à VICE News que Dublin II a été mis en place « pour éviter qu'il y ait une sorte de "shopping" de l'asile c'est-à-dire que des candidats à l'asile ne déposent plusieurs dossiers dans différents pays en même temps. »

« Il faut que la Commission réalise les très nombreux effets pervers que cette réglementation a entraînés, à savoir que ça fait peser un poids beaucoup trop grand sur les pays qui sont géographiquement les premiers pays traversés par les demandeurs d'asile. Il n'y a aucune solidarité européenne sur la question, » regrette le chercheur, qui juge qu'il faudrait mieux répartir les demandes d'asile entre les différents pays, et harmoniser les critères d'asile.

Concernent la lutte contre les passeurs, le renfort de Frontex est annoncé, c'est l'agence de surveillance des frontières européennes. Elle passera aussi par l'implication des pays d'origine des migrants ainsi que par une meilleure coopération des États membres, qui doivent « arrêter de se rendre mutuellement responsables », selon les termes du commissaire Avramopoulos.

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Au-delà d'une plus grande solidarité communautaire, la Commission a émis le souhait d'une meilleure coopération avec les pays d'origine et de transition des migrants dans la lutte contre les passeurs et les « navires poubelles ». La dernière étude de Frontex, à laquelle Le Figaro a eu accès ce mercredi nous apprend que l'immigration clandestine en Europe a augmenté de 180 pour cent en un an. 274 000 illégaux en 2014, contre 100 000 en 2013. Devant cette pression migratoire directement liée à l'intensification des conflits, notamment en Syrie, la Commission plaide ce matin en conférence de presse pour la création de « routes légales pour l'arrivée des migrants en toute sécurité » sur le sol européen.

François Gemenne déplore lui aussi le manque de voies légales d'immigration. Il explique que ce ne sont pas les politiques d'ouverture ou de fermeture des frontières qui ont un impact sur les flux migratoires, qui sont motivés par des causes structurelles, et explique qu'elles profitent en revanche aux passeurs : « Les passeurs sont avant tout la conséquence de la politique restrictive de l'Union Européenne en matière d'asile et d'immigration. Le business des passeurs est créé par l'Europe forteresse et par la fermeture des frontières européennes, » dénonce-t-il.

Dans son rapport, Frontex relève que, « disposant de peu de navires, les passeurs récupèrent souvent les bateaux des précédentes traversées laissés à la dérive, après le secours des passagers, pour ramener ces embarcations en Libye [le plus important point de départ des migrants d'après Frontex], et les réemployer. » Le rapport de l'agence obtenu par le Figaro révèle aussi que les candidats à la migration qui n'ont pas les moyens de se payer la traversée (1 500 euros par personnes) se voient demander par les passeurs « s'ils préfèrent être utilisés comme main-d'?"uvre ou donneurs d'organes » à l'arrivée. Le nombre de passeurs interpellés l'an passé a lui aussi augmenté, passant de 7 137 à 9 376 (plus de 31 pour cent d'augmentation).

À lire : « Mos Maiorum », début de l'enquête secrète de l'Europe sur les migrants clandestins

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter @meloboucho