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VICE News

L'expulsion permanente

Un terrain de la région parisienne où vivait une centaine de familles roms a été évacué par les forces de l’ordre mardi après-midi.

Mardi, 6 heures du matin. Mihaiela Cirpaciu est prête à partir. La jeune femme est sortie du bidonville, sa fille à la main. Elle pousse un caddie rempli de valises pleines de couvertures et d'habits. Elle est prête à partir, dès l'arrivée de la police. Comme elle, une dizaine d'habitants des Coquetiers, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), ont rejoint les quelques militants et membres d'associations qui attendent les forces de l'ordre dans le froid automnal.

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Mihaiela Cirpaciu, mardi matin.

C'est finalement en milieu de journée, sous une pluie battante, que les Roms - dont la plupart sont originaires de Roumanie ou de Bulgarie - sont expulsés. La veille, les habitants avaient été prévenus par la préfecture de Seine-Saint-Denis que l'endroit serait évacué « dans les quarante-huit heures ». Sans plus de précisions. Beaucoup d'entre eux avaient déjà quitté le terrain quand la police est arrivée. Si la plupart ont rejoint des hôtels et des foyers d'accueil en région parisienne, des logements décents ont été attribués à quelques familles.

L'entrée du bidonville, mardi après-midi.

Véronique Decker est la directrice de l'école primaire Marie-Curie de Bobigny, où beaucoup des enfants des Coquetiers sont scolarisés. Très investie pour la cause rom, elle était présente dès l'aube. « Les enfants vont devoir dormir dehors, alors qu'ils sont tout petits. Il y en a un qui a à peine un mois », explique-t-elle à VICE News.

Les enfants des Coquetiers en âge d'aller à l'école sont tous scolarisés, assurent les associations, qui craignent qu'une nouvelle expulsion contribue à marginaliser encore un peu plus les jeunes Roms.

Le bidonville existe depuis 2008, sans eau courante ni électricité et avec seulement deux toilettes à la disposition de la centaine de familles qu'il abrite. L'attention avait été portée sur l'insalubrité du lieu lorsqu'en février dernier un incendie avait emporté Melisa, une petite fille de sept ans.

Contacté par téléphone, Nityananda Doressamy, directeur général des services de l'administration de la mairie de Bobigny, a expliqué à VICE News que c'est ce fait divers tragique qui a conduit à la décision de fermer le site : « On a une problématique de sécurité sur ce terrain, ce qui crée un danger pour ses habitants. C'est de la responsabilité du maire de les protéger. »

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L'évacuation fait donc suite à un arrêté municipal invoquant l'insalubrité des lieux, déposé par Stéphane De Paoli, récemment élu maire UDI de Bobigny. Deux référés destinés à bloquer cet arrêté avaient été rejetés, fin août pour le dernier. Depuis, les habitants faisaient face à une possibilité d'expulsion permanente.

Lundi, un rassemblement de militants et d'habitants des Coquetiers avait eu lieu devant la préfecture pour demander des solutions de relogement adaptées à chaque famille, à la veille de l'évacuation du terrain ordonnée par la préfecture. Seules quelques familles ont obtenu un logement social dans le département. Plus tard dans l'après-midi, l'Adoma (la société qui gère les foyers d'insertion) a annoncé au reste des habitants des Coquetiers leur affectation.

« On ne défend pas le bidonville en soi, […] mais on demande que ce bidonville soit vivable en attendant de trouver des solutions durables. On veut qu'il soit gardé comme situation temporaire », a précisé à VICE News Andrea Caizzi, de Romeurope 93, un collectif de défense des Roms qui dénonce une « évacuation hâtive » et « irresponsable ».

Des habitants du bidonville bloquent un carrefour de Bobigny pour protester contre leur expulsion.

Le préfet délégué pour l'égalité des chances de Seine Saint-Denis, Didier Leschi, se défend de toute précipitation. Il a déclaré au quotidien Libération avoir fourni un « effort logistique et budgétaire considérable » pour mettre en place le « diagnostic social » rendu obligatoire par la circulaire du 26 août 2012. Celle-ci demande que des solutions d'hébergement ou de relogement soient trouvées avant de procéder à l'évacuation des occupants. Cette circulaire recommande notamment l'accompagnement personnalisé pour éviter le décrochage scolaire et médical des familles.

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Mais d'après Libération, les habitants des Coquetiers n'ont pas été prévenus qu'un « diagnostic social » allait être mené. Une partie des habitants n'était donc pas présente quand il a été conduit. Didier Leschi a expliqué au journal qu'il était parfois difficile de recenser tout le monde en raison des « mouvements » des Roms. Une analyse qui a le don d'exaspérer Véronique Decker, qui ironise « Il est vrai que ces gens-là ont des moeurs différentes : le 5 août, certains étaient absents. Comme ils ont scolarisé leurs enfants, ils avaient profité des vacances scolaires pour rentrer dans leur pays d'origine, comme tout le monde. »

La scolarisation des enfants est la seule garantie d'une véritable intégration, d'après les défenseurs des Roms. Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France, avait fait le déplacement lundi pour afficher son soutien. Elle a déclaré à VICE News : « On demande qu'ils soient relogés dans un logement digne pour ne pas couper les liens avec l'école. […] Le taux de scolarité ici est très élevé. Beaucoup ont suivi des formations. Ils parlent français ; ils veulent s'intégrer. Il faut se battre sur ce campement des Coquetiers pour faire avancer la situation des Roms en France. »

La solution présentée lundi à de nombreuses familles ne garantit pas un suivi de scolarité pour ces enfants : le parc immobilier d'Île-de-France étant complet, un déplacement dans des centres pour travailleurs immigrés dans d'autres villes de France - Belfort, Besançon ou encore Le Havre - a été proposé. Cela les obligerait ainsi à changer d'école, d'équipe pédagogique, de copains de classe.

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Lundi, la directrice d'école avait amené des ballons pour que les enfants puissent jouer sur le parvis de la préfecture. « Beaucoup d'enfants roms ont déjà eu une enfance difficile. Il n'y a pas de garantie qu'ils aient des places dans des écoles adaptées. Et ensuite, on va nous expliquer que les Roms refusent de s'adapter […]. Mais ici, les habitants de ce terrain ne sont pas désocialisés ; ce ne sont pas des voyous », s'énerve-t-elle.

Manuel, 15 ans, habite aux Coquetiers depuis deux ans et en France depuis 2002. Il y vit avec toute sa famille, ses neuf frères et soeurs, dont trois sont mariés. Il fait ses études dans un collège technique, en classe de troisième. Il raconte à VICE News avoir peur de perdre son stage en mécanique si sa famille était déplacée.

Les adultes, eux, ont peur de perdre leur emploi. Gabriel, 28 ans, père d'une petite fille de trois ans a décroché un CDI au parc des expositions de Villepinte. Il n'est pas attaché à son hébergement insalubre, mais tient à son emploi : « On n'a pas d'eau sur le terrain ; on ne peut pas laver nos enfants, alors quand on les envoie à l'école ils sentent mauvais. C'est pas la peine qu'on reste dans la merde, mais pas pour aller loin, sinon je vais perdre mon emploi, et c'est dur à trouver, un CDI », a-t-il raconté à VICE News.

Gabriel.

Mardi matin, Gabriel était l'un des premiers devant le campement. La veille, on lui a annoncé que s'il mettait de l'ordre dans ses feuilles d'impôt, il obtiendrait un appartement à Montfermeil, dans le 94. En attendant, il est logé à l'hôtel. « Quand je suis arrivé, on finissait de repeindre ma chambre », raconte-t-il en riant.

Pourtant, quand on lui demande ce qu'il fait au Coquetiers ce matin, son visage s'assombrit. Sa mère de 44 ans, qui vit elle aussi dans le bidonville, n'est fixée ni sur son sort ni sur celui de ses deux fils de 10 et 17 ans. « Pour moi, Adoma a fait quelque chose de bien, mais je ne vais pas laisser les autres et ma famille dans la rue. Je suis le plus vieux, c'est moi le responsable. »

L'après-midi, quand les forces de l'ordre sont intervenues pour procéder à l'expulsion, Gabriel et sa famille étaient déjà partis. Dans un dernier baroud d'honneur, la dizaine de familles roms évacuées par la police se sont assises en travers de la route de sorte à bloquer la circulation. Ils se sont ensuite dirigés en métro dans le centre de Paris, vers la place de la République : « On va attendre, et on va sans doute finir la journée en appelant le 115 [le numéro d'hébergement d'urgence] pour placer les gens », explique Marion Fillonneau, activiste au sein de l'organisation European Roma Rights Centre (ERRC) pour le droit des Roms.

Avec l'ERRC, elle a porté le cas du terrain des Coquetiers devant la Cour européenne des droits de l'homme. Elle reconnaît que la procédure prendra du temps et ne viendra sans doute pas directement en aide à ceux qui dormiront dehors cette nuit, mais espère qu'une condamnation de la France pour « torture, traitement inhumain et dégradant » fera avancer la cause rom dans son ensemble.

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho