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Crime

L’histoire de la secte indienne qui a construit un micro-État secret dans un parc public

Ils ont comme idole un allié des Nazis et jusqu’à tout récemment, ils géraient un micro-état secret, doté de son propre système judiciaire, de prisons et d’une armée — le tout dans un parc public d’une ville au nord de l’Inde.
Photo par Rajat Gupta/EPA

Ils ont comme idole un allié des Nazis et jusqu'à tout récemment, ils géraient un micro-état secret, doté de son propre système judiciaire, de prisons et d'une armée — le tout dans un parc public d'une ville au nord de l'Inde.

Leurs revendications : de l'essence très bon marché, une nouvelle devise pour remplacer la roupie, et la suppression du processus électoral en Inde.

La secte religieuse Azad Bharat Vidhik Vaicharik Kranti Satyagrahi — dont les membres sont aussi connus sous le nom de Free India Legal Ideas Revolutionary Protesters — a fait les unes internationales début juin lorsque la police a mis fin à son occupation d'un grand parc public dans la ville de Mathura, dans l'État d'Uttar Pradesh.

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L'occupation du parc a débuté en 2014. Au cours des deux dernières années, la secte a établi un pseudo-gouvernement et accumulé un véritable arsenal d'armes.

L'évacuation du parc il y a quelques jours par les forces de l'ordre a entraîné des affrontements qui se sont soldés par la mort de 29 personnes, dont deux policiers. Environ 40 personnes ont été blessées et les autorités ont arrêté des centaines de personnes. Les membres de la secte ont attaqué la police à l'aide d'épées, de grenades et de fusils. En plus d'une fusillade, le parc a été le théâtre d'explosions de bouteilles de gaz de cuisine.

Ram Vriksh Yadav, le dernier dirigeant de la secte, est mort dans les heurts.

Juste avant l'évacuation, la secte a publié une liste de revendications qui, malgré certaines demandes farfelues, reflète la grogne publique contre les élites au pouvoir en Inde.

Après les heurts entre la police et les membres d'une secte dans la ville de Mathura, en Inde. (Photo de Rajat Gupta/EPA)

Karine Schomer, ancienne professeure d'Études sud-asiatiques à l'Université de Californie, à Berkeley, travaille aujourd'hui comme consultante auprès d'entreprises indiennes et américaines. Pour Schomer, la colère des groupes religieux comme Azad Bharat soulève des défis considérables pour les élus indiens.

« En Inde, la religion c'est comme ici aux États-Unis — si vous y touchez, c'est à vos risques et périls. La religion, c'est sacré, » explique-t-elle. « Il y a beaucoup de choses auxquelles on ne touche pas à cause de la religion. [Les autorités] ont peur de frapper trop dur ou trop vite parce que c'est [une situation] très explosive. Souvent, le gouvernement ne sais pas comment réagir avant que cela ne prenne trop d'ampleur."

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De nombreux manifestants de Mathura font partie de la caste des Yadava, dont les membres vivent de l'élevage. Les Yadava — qui sont un peu plus haut sur l'échelle des castes que les « intouchables » — sont en colère contre les mesures de discrimination positive adoptées à l'égard des intouchables. Ils sont également très critiques des grosses compagnies qui les ont expulsés de leurs terres pour faire de la place aux projets industriels qui favorisent le renouveau économique de l'Inde.

Les Indiens vivant dans la pauvreté se sentent abandonnés malgré la croissance effrénée de l'économie et considèrent que ceux au pouvoir sont déconnectés de la réalité et ne s'intéressent plus à leurs problèmes.

Et dans certains cas, ils n'ont pas tout à fait tort.

Hema Malini, une actrice de Bollywood qui représente également Mathura au Parlement, a été vivement critiquée début juin pour avoir publié un Tweet sur son dernier tournage au même moment que les heurts. Elle a par la suite présenté ses condoléances aux familles des défunts, et a dit qu'elle n'était pas au courant des affrontements. Le Ministre en chef de l'Uttar Pradesh, Akhilesh Yadav rencontrait des ambassadeurs indiens lorsque la fusillade a commencé. Il a rejeté la responsabilité de la violence sur la police.

« Il y a eu des failles. La police aurait dû être complètement préparée, et même après avoir tenu des pourparlers, n'avait aucune information [suggérant] qu'ils auraient autant d'armes et de munitions," a dit Yadav lors d'un entretien avec l'Economic Times.

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Cette explication n'a guère impressionné les adversaires politiques des Yadava, qui ont fait remarquer que les membres de la secte occupaient le parc depuis déjà deux ans. Le ministre en chef avait même donné aux manifestants un ultimatum en avril, mais n'avait pas imposé de sanctions une fois l'expiration du délai de 48 heures.

« Le parti au pouvoir s'est déjà fait voler 280 hectares par ces criminels », a dit Shrikant Sharma, un cadre du parti Bharatiya Janata, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, lors d'un entretien avec le Times of India.

La secte du parc avait auparavant été dirigée par Baba Jai Gurudev, un personnage public qui possédait de vastes terres et plus de 250 voitures de luxe à sa mort en 2012 — soi-disant à l'âge de 116 ans.

Jai Gurudev prônait une philosophie spirituelle égalitaire connue sous le nom de « sant mat », qui refuse la hiérarchisation du système traditionnel des castes. Il se faisait appeler un "sant" — ou homme saint. Selon Schomer, Jai Gurudev était également un « godman », un terme indien qui est l'équivalent du télé-évangéliste américain.

« Qui est un sant ? Il n'y a pas de papauté, alors il suffit de dire qu'on est un godman pour en être un », explique Schomer. « Si les gens pensent qu'on est un sant, alors on est un sant. Il faut considérer la chose comme la plupart des Indiens modernes et éduqués : il y a un énorme racket des godman. Ils recrutent leurs disciples en faisant appel à un certain nombre de thèmes et d'idées spirituelles et en rejetant le monde moderne et parce qu'ils ont de vraies revendications sociales. »

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Gurudev prétendait s'inspirer de Subhas Chandra Bose, un nationaliste indien qui a collaboré avec l'Allemagne nazie et avec le Japon Impérial pour renverser le Raj Britannique. Beaucoup des disciples de Gurudev souhaitent perpétuer l'héritage controversé de Bose — symbole de la croisade anti-coloniale, pour certains — en s'élevant contre le Congrès National Indien, l'un des principaux partis d'Inde.

Les manifestants expulsés de Mathura demandent aux autorités qu'elles rendent public des documents sur la mort de Bose. Schomer explique que les membres de la secte doutent de la version officielle sur sa mort.

« Certains pensent qu'il n'est pas mort dans un accident d'avion au large de Taiwan en 1945, mais qu'il est parti en Russie, et qu'il est mort en Russie et le gouvernement du Congrès a voulu cacher [la vérité] », explique Schomer.

Les manifestants souhaitent également remplacer la roupie indienne avec une nouvelle devise, l'Azad Hind Fauj — une référence au gouvernement provisoire indien établi à Singapour pendant la Seconde Guerre mondiale, avec l'appui de l'empire du Japon et de l'Allemagne nazie.

Les membres de la secte veulent également abroger le système électoral indien, et réclament une baisse importante du coût de l'essence. Ces revendications justifient leurs recours au 'dharna,' un type de sit-in qui consiste à occuper un espace jusqu'à ce que justice soit faite.

Personne ne sait vraiment comment la secte a réussi à amasser un tel arsenal d'armes sans attirer l'attention des autorités, surtout parce que le théâtre des affrontements est à deux pas de plusieurs bâtiments de la police et du gouvernement.

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Yadav, le ministre en chef de l'Uttar Pradesh, a dit que la police avait été prise de court par les membres de la secte. Après les heurts, Yadav a transféré deux cadres de la police vers d'autres commissariats, en dehors de Mathura.

Pour certains, l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Modi a exacerbé les tensions et l'extrémisme religieux en Inde.

Élu en 2014 sur un programme d'aide aux entreprises, Modi a été vivement critiqué pour s'être allié avec certains nationalistes hindous qui affirment, entre autres, que leurs ancêtres ont inventé les navettes spatiales.

Modi a également été critiqué pour ne pas avoir condamné le lynchage de Musulmans accusés à tort d'avoir consommé du bœuf — pratique interdite chez les Hindous, qui considèrent que la vache est un animal sacré.

Avant même d'être élu, Modi s'est vu reprocher de n'avoir pas su contrôler les émeutes anti-musulmans qui ont tué 1 000 personnes dans son État du Gujarat en 2002.

Selon Schomer, la politique pro-hindoue de Modi a provoqué l'augmentation des tensions religieuses au sein de pays.

« Cela a créé une atmosphère où des idées qui étaient auparavant considérées marginales et qui étaient contrôlées, sont aujourd'hui en surface », explique-t-elle.


Suivre John Dyer sur Twitter : @johnjdyerjr