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Charlie Hebdo

Liberté d’expression : ce que dit la loi en France

Dans l’après-attentat de Charlie Hebdo, l’hommage laisse la place au débat autour de la liberté d’expression et notamment de la question du blasphème.
Etienne Rouillon / VICE News

La liberté d'expression en France est un droit consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. C'est aussi le premier amendement de la Constitution des États-Unis. Le concept apparaît comme fondateur dans de nombreuses démocraties modernes.

En France, elle est encadrée par plusieurs textes, dont la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et la convention européenne des droits de l'homme. Elle concerne toutes les publications sur tous supports, et englobe donc la liberté de la presse, régie par la loi du 29 juillet 1881.

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Plusieurs amendements à cette loi en définissent le cadre. Si la liberté d'expression est presque absolue, des abus sont déterminés par le droit. La diffamation, l'injure, l'incitation à la haine et à la discrimination, l'atteinte à la vie privée et l'apologie du terrorisme (qui, depuis la loi du 14 novembre sur la lutte contre le terrorisme, fait également partie du Code pénal) sont considérés comme des délits, des abus de liberté d'expression, ils sont en conséquence visés par la loi.

Interrogé par VICE News, Maître Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris spécialiste de la liberté d'expression, concède que les nombreux amendements à la loi de 1881 composent « un mille-feuille fait de textes de loi qui contredisent un principe d'origine qu'on a un peu perdu de vue. »

Le droit au blasphème

D'après l'avocat, c'est à cause de cet amoncellement d'amendements que « certains ne comprennent pas la possibilité de faire des caricatures de Mahomet. […] Le délit de blasphème a été aboli en 1789, la France permet la critique par le dessin, y compris par les caricatures. Cela fait partie de la liberté d'expression. Ce n'est répréhensible que dans le cas où l'on ne s'en prend plus à Dieu, mais aux croyants. C'est là toute la nuance. Charlie Hebdo, en faisant des dessins des caricatures de Mahomet s'en prend à une idéologie. »

La loi l'a rappelé en 2007, lorsque le journal satirique avait dû répondre de la publication de caricatures du prophète Mahomet dans ses pages : « Dans une société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions, quelles qu'elles soient », avaient alors affirmé les juges.

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S'exprimant juste après la marche républicaine de dimanche dernier, qui a rendu hommage aux victimes des attentats des 7, 8 et 9 janvier et qui entendait montrer l'attachement des citoyens français à la liberté d'expression, Christophe Deloire, le directeur général de Reporters sans Frontières (RSF), a suggéré une charte affirmant solennellement le droit au blasphème en France, signée par les autorités religieuses.

Contacté par VICE News, le responsable de cette ONG dont la mission est de défendre la liberté d'expression et d'information à travers le monde a précisé son idée : « Ce que je voulais c'est que tous les responsables directs des lieux de culte reconnaissent que la liberté d'expression n'a pas de religion, qu'ils peuvent avoir leur sacré, mais qu'ils n'ont pas à l'imposer à autrui, et qu'autrui […] n'a pas l'obligation de respecter ce sacré. »

La loi française réprouve donc les attaques contre les personnes, et non contre les croyances, elle protège les religieux et non les religions.

Le droit à l'humour

Le Monde rapporte que depuis 1992, 48 procès ont été intentés à Charlie Hebdo. En tout, le journal a été condamné 9 fois, essentiellement pour injure, comme lorsqu'en 1995 le journal avait qualifié la candidate du FN Marie-Caroline Le Pen de « chienne de Buchenwald », ou encore après que le chanteur Renaud, qui a été chroniqueur pour Charlie Hebdo à ses débuts, avait écrit à propos d'une journaliste du Monde que c'était une « crétine d'idiote de nulle ». Avec le temps, les procès se sont espacés et les verdicts ont été globalement favorables au journal.

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Pour Emmanuel Pierrat, en France « Il y a une espèce de droit à l'humour, qui n'est pas inscrite dans la loi, mais qui fait que quand vous êtes un humoriste, vous pouvez dire des choses un peu scandaleuses. C'est un peu problématique juridiquement, » estime-t-il.

Deux poids, deux mesures ?

Le cas de Dieudonné illustre toute la subtilité des rapports entre justice, liberté d'expression et humour. Mercredi 14 janvier, le polémiste a été mis en garde à vue pour avoir publiquement publié sur son compte Facebook « Je me sens Charlie Coulibaly », en rentrant de la grande marche républicaine. On peut remarquer que l'ancien humoriste, déjà entendu par le passé dans des affaires d'antisémitisme, fait un jeu de mots l'associant au terroriste [Amedy] Coulibaly qui s'en est pris à la communauté juive, plutôt qu'aux frères Kouachi qui sont responsables de l'attentat à Charlie Hebdo.

Dieudonné passera prochainement devant le tribunal correctionnel pour « apologie du terrorisme », une infraction passible de 5 à 7 ans. En septembre dernier, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, après la diffusion sur YouTube d'une vidéo intitulée « Feu Folley », dans laquelle il compare la décapitation du journaliste américain James Folley à la mort du colonel Kadhafi en Libye ou de Saddam Hussein en Irak — la vidéo a été retirée par l'hébergeur.

La justice devra décider si cette dernière déclaration sur Facebook constitue un abus de la liberté d'expression, en rentrant dans le cadre de l'apologie du terrorisme.

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L'un des avocats, David de Stefano a ironisé mercredi : « Nous sommes dans le pays de la liberté d'expression ? Ce matin, le gouvernement vient d'en fournir la démonstration. » Sur les réseaux sociaux, le hashtag #jesuisdieudonne est apparu en réaction, et beaucoup d'internautes dénoncent « deux poids, deux mesures », sous-entendant que la liberté d'expression est défendue quand il s'agit de Charlie Hebdo, bafouée quand il s'agit de l'humoriste controversé.

L'avocat Emmanuel Pierrat s'étonne de cette comparaison : « J'ai la sensation qu'on a oublié que Dieudonné n'est pas seulement un humoriste. Il a un parti politique, il se présente à des élections. On n'est plus face à un humoriste, mais face à quelqu'un au service d'une cause contre les juifs, les américains. »

De plus, la dernière couverture de Charlie Hebdo si elle peut être considérée comme blasphématoire, ne sort pas du cadre défini par les abus de l'usage de la liberté d'expression en France.

Aux États-Unis, certains, comme le journaliste d'investigation Glenn Greenwald ont également soulevé ce paradoxe apparent dans l'application de la liberté d'expression— défense de Charlie Hebdo face à la garde à vue de Dieudonné. C'est, sans doute, qu'il y a une relativité de la liberté d'expression de chaque côté de l'Atlantique, comme le souligne Christophe Deloire qui remarque « qu'il y a une vision parfois plus large de la liberté d'expression aux États-Unis s'agissant de propos violents, en revanche il y a une plus grande réserve sur les pensées. »

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter @melobouchaud