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Crime

L’ONU a failli dans sa gestion des accusations d'abus sexuels sur des enfants centrafricains

Un nouveau rapport révèle que la gestion par l’ONU des accusations de viols sur des enfants par des soldats français et africains en RCA a été « entachée de graves défauts ».
Handout/EPA

Un groupe d'experts indépendants, nommés par le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, révèle que la gestion par l'ONU des accusations d'abus sexuels sur des enfants par des soldats français et africains en République centrafricaine (RCA) a été « entachée de graves défauts ».

Le scandale avait d'abord été relayé par la presse au printemps. Il est question de viols perpétrés entre fin 2013 et début 2014 par des soldats responsables du maintien de la paix dans le pays, mais pas des membres des Casques bleus. Des employés de la Minusca (la mission de maintien de la paix de l'ONU en RCA), ainsi qu'un employé de l'UNICEF, ont interviewé 6 enfants centrafricains entre mai et juin 2014.

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Les jeunes garçons leur ont dit, n'omettant aucun détail, que des soldats étrangers — principalement des membres de la mission française Sangaris (de maintien de la paix en RCA) — les ont abusés sexuellement dans la capitale, Bangui. En échange, les garçons disent avoir reçu de la nourriture ou un peu d'argent.

À lire : Un rapport confidentiel de l'ONU mettrait en cause des soldats français dans une affaire de violences sexuelle sur mineurs en Centrafrique

Le comité d'experts indépendants, dirigé par la juriste canadienne Marie Deschamps, s'est attaché à enquêter sur la manière dont l'ONU a réagi en apprenant ces accusations verbalisées par les 6 enfants interrogés. Pour le comité, la réaction onusienne a été tristement inadéquate. Le chef de la Minusca à l'époque, Babacar Gaye, « n'a pris aucune mesure pour s'assurer qu'un suivi soit effectué, » bien qu'il ait été mis au courant des accusations à multiples reprises, note le comité.

Le département Droits de l'Homme de la Minusca a « délibérément décidé de ne pas rapporter rapidement les accusations au Haut-Commissariat pour les Droits de l'Homme des Nations unies à Genève, » ce que le comité estime totalement inapproprié compte tenu de la « gravité des accusations ». Quand il était fait référence aux abus sexuels, les « accusations étaient incluses dans un contexte bien plus large de rapports thématiques et généraux sur les violations d'autres soldats étrangers. »

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À l'ONU, « les informations sur ces accusations sont passées de bureau en bureau […] personne ne voulant prendre la responsabilité de traiter ces graves violations des droits de l'homme, » peut-on lire dans le rapport.

Après que les autorités françaises ont été mises au courant du scandale, l'ONU a repoussé certaines tentatives des Français qui voulaient en apprendre plus sur l'affaire, et a refusé la demande française d'interroger les employés de l'ONU qui avaient découvert ces incidents. L'enquête française est encore en cours, et personne de la mission Sangaris n'a été arrêté pour le moment.

Le comité a découvert que parmi les employés de l'ONU en charge de l'affaire, nombre d'entre eux estimaient que le cadre de défense des droits de l'homme de l'organisation « ne s'appliquait pas aux accusations de violences sexuelles perpétrées par des soldats de maintien de la paix, » et pensaient donc que cela devait être géré ailleurs.

« C'est le résultat, en partie, d'une perception erronée du staff onusien quant aux obligations de l'ONU à répondre aux violences sexuelles des soldats de maintien de la paix, » explique le rapport.

Si aucun des soldats français ou africains impliqués dans le scandale ne servait sous le contrôle de l'ONU à l'époque, les officiels qui avaient accès aux rapports des abus sexuels avaient la même obligation de les faire remonter à leur hiérarchie, et de « signaler » ces accusations, comme Deschamps l'a expliqué lors d'une conférence de presse tenue ce jeudi.

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Au lieu de ça, la réaction de l'ONU donne l'impression, toujours selon Deschamps, que « répondre aux accusations de violences sexuelles relève de la responsabilité de beaucoup de monde, mais de personne en particulier. » Elle ajoute que les accusations « ont été largement ignorées par ceux qui lisaient les rapports ».

C'est seulement après la révélation par le Guardian en avril des accusations et d'un rapport d'une enquête interne à l'ONU, que l'ONU a commencé à prendre au sérieux les accusations, explique le rapport. Le Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme, Zeid Ra'ad al Hussein, était lui resté bloqué sur Anders Kompass (un employé de du Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme, le HCDH), qui avait fourni le rapport intitulé « Abus sexuels sur des enfants par les forces armées internationales » au quotidien britannique. Alors que plusieurs employés du HCDH estimaient que Kompass avait révélé ces accusations pour favoriser sa carrière politique (potentiellement hors de l'ONU), le rapport blanchit totalement Kompass.

Dans un communiqué diffusé après la publication du rapport du comité indépendant, Zeid Ra'ad al Hussein déclare que les « enquêtes pour abus sexuels doivent devenir systématiques et plus efficaces. Ceux qui sont responsables du pire des crimes doivent être punis. »

Dans un autre communiqué, le Secrétaire général Ban Ki-moon déclare accepter « les grandes lignes du rapport, » et qu'il « va prendre rapidement des mesures pour déterminer quelles suites sont nécessaires ». En août, Ban Ki-moon avait poussé à la démission le chef de la Minusca, Babacar Gaye, alors que des accusations de viols faisaient cette fois-ci mention de Casques bleus. Le rapport estime que Gaye, et deux autres officiels onusiens — dont l'un d'eux a aussi quitté l'organisation — ont abusé de leur autorité.

L'UNICEF, l'agence à l'origine de la découverte du scandale, est aussi citée dans le rapport pour ne pas avoir offert un soutien suffisant aux victimes, qui faisaient partie des milliers de familles réfugiées sur le tarmac de l'aéroport de Bangui. Pour unique aide, l'UNICEF a fourni aux victimes une séance de conseil qui a duré seulement deux heures — et a été réalisée par une autre organisation.

« L'ONU va devoir appliquer ces recommandations. Elle va aussi devoir traiter avec le plus grand sérieux les futurs cas d'abus sexuels, si l'organisation souhaite restaurer sa crédibilité parmi les gens qu'elle doit protéger, » déclare Richard Bennet, le directeur du bureau onusien d'Amnesty International. « Ce rapport est avant tout un rappel brutal que l'ONU devrait faire passer la protection des droits des victimes d'abus sexuels avant sa politique interne. »

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