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La « marée du siècle » menace un bidonville de migrants à Bordeaux

Reportage sur les bords de la Garonne, où une communauté de Sahraouis risque d’être inondée par les forts coefficients de marée de ce week-end.
Photo par Stéphane Puccini

Le thermomètre affiche quasiment 20 degrés ce 7 mars, à Bordeaux. Les premiers touristes anglais se mêlent aux promeneurs locaux et arpentent le pont de pierre, en dissertant sur l'arrivée précoce du printemps. À une centaine de mètres de là, un TGV traverse la Garonne et entre en gare Saint-Jean, via la passerelle Eiffel. Sous cette passerelle, Ali Salim, la trentaine, grimace au passage du train. « Il en arrive un toutes les dix minutes environ », précise-t-il avant de partir pour récupérer de la nourriture distribuée par les Restaurants du Coeur.

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Ce Sahraoui d'une trentaine d'années vit dans ce que les responsables de la Ligue des Droits de l'homme de Bordeaux décrivent comme un véritable bidonville. On ne peut pas leur donner tort lorsqu'on arrive à l'endroit où vit une centaine d'hommes, tous venus du Sahara Occidental, territoire peu connu au sud du Maroc qui s'en dispute le contrôle avec des indépendantistes sahraouis. Composé d'une quinzaine de baraquements de fortune fabriqués avec des matériaux récupérés dans une décharge publique située à seulement quelques mètres de là, le bidonville des Sahraouis est installé ici depuis dix mois. Beaucoup d'entre eux sont arrivés directement des camps de réfugiés situés à proximité de la ville de Tindouf, dans le sud de l'Algérie.

« Marée du siècle »

Attendue ce week-end, la « marée du siècle » risque de faire sortir la Garonne de son lit. Menacé d'inondation, le campement devait être évacué sur ordre de la préfecture le jeudi 19 mars. « Pour l'instant, on ne sait pas où iront les Sahraouis », expliquait une militante de la Ligue des Droits de l'homme à Bordeaux qui pensait à une solution provisoire d'urgence comme cela avait été fait début mars avec la mise à leur disposition d'un gymnase par la Mairie. Jeudi dernier la mise en sécurité a été effectuée rapporte Rue 89, pour prévenir les risques de submersion liés aux grandes marées de ce week-end. Ils ont été placés dans un gymnase réquisitionné pour quelques jours, le temps que l'épisode de la marée du siècle passe.

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Contactée par Vice News, Alexandra Siarri, adjointe au maire de Bordeaux, souhaite « désethniciser » la question des migrants Sahraouis et précise que l'État se doit de mettre à l'abri toute personne sans domicile fixe, « sans qu'il soit question de ses origines ».

Demandeurs d'asile pour la plupart, les Sahraouis attendent également la réponse de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou de la Plateforme d'accueil des demandeurs d'asile (PADA) pour pouvoir bénéficier d'un statut de réfugiés en France. Les plus chanceux d'entre eux ont déjà un passeport espagnol et peuvent, grâce aux accords de Schengen, vivre et travailler sur le territoire hexagonal. C'est le cas de Baba, 24 ans, inscrit à Pôle Emploi qui a quitté sa famille en Espagne pour venir travailler ici en tant qu'intérimaire. « Pour l'instant, personne ne m'a appelé », déplore-t-il.

Tensions intercommunautaires

Baba a fait son service militaire au sein du Front Polisario, la force armée indépendantiste du Sahara Occidental qui, après avoir lutté contre l'occupation espagnole dénonce aujourd'hui celle du Maroc qui en 1975 a pris le contrôle de 80 pour cent du territoire sahraoui. En 2012, Baba faisait les vendanges à Pauillac, dans le Médoc. « On était plusieurs Sahraouis à travailler là-bas comme saisonniers », raconte-t-il. Au même endroit, vit aussi une importante communauté marocaine. Un vendredi, à la mosquée, les choses dégénèrent entre les deux camps au sujet de la situation du Sahara Occidental. Résultat : deux jours d'affrontements à coups de barres de fer et de jets de pierres, 70 gendarmes mobilisés et plusieurs blessés légers. Contacté par Vice News, Omar Mansour, le représentant du Front Polisario en France se souvient avoir été appelé par le ministère de l'Intérieur à l'époque. « Ils m'ont demandé de trouver une solution car ils étaient complètement dépassés », confie-t-il. Finalement, en accord avec la sous-préfecture, le maire de Pauillac décide d'éloigner les Sahraouis de sa ville.

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Sur le campement de Bordeaux, la plupart des Sahraouis refusent d'évoquer la situation politique de leur pays qui, officiellement, n'est pas reconnu par la France. « La France soutient l'occupation du Sahara par le Maroc », rappelle Ali Salim. « Aujourd'hui, ce que nous demandons à l'État français, c'est de faire en sorte que nous ayons un toit sous lequel nous abriter et, si possible, un travail. La politique, on verra plus tard ».

Pour en savoir plus sur la vie de ces migrants et la question du Sahara Occidental, regardez ce reportage du Point Quotidien, l'émission de VICE et France 4.

Les Sahraouis de la Garonne

Le Point Quotidien, tous les soirs de la semaine sur France 4.

À revoir : Tous les épisodes du Point Quotidien sur VICE.

Suivez Pierre Marezcko sur Twitter @MareczkoP

Photos de Stéphane Puccini @StephanePuccini