Les Marxistes de Gaza se battent pour un État laïc
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Les Marxistes de Gaza se battent pour un État laïc

« Le paradis est dans cette vie, pas dans la suivante. »

Dans un café sur la côte de Gaza embué par la fumée, le Docteur Tholfikar Swairjo, le porte-parole officiel de la branche gazaouie du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), s'est assis avec VICE News pour une interview. À peine assis, il est accueilli par un cigare de bienvenue. « Qui m'offre ça ? » demande Swairjo.

« Le propriétaire, » répond le serveur.

L'organisation que Swairjo représente est laïque, un groupe marxiste qui a été une force politique de premier ordre au sein de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Au cours des dernières décennies, l'influence du FPLP s'est étiolée, notamment à cause de l'importance prise par la religion en Palestine et la disparition de son principal créancier, l'Union soviétique. La vie de marxiste à Gaza n'est pas simple, nous confie Swairjo.

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« Je ne peux pas dire de but en blanc, "Je suis communiste", » explique Swairjo alors qu'il allume son cigare. « On ne peut pas la jouer comme ça. »

Cela n'a pas toujours été le cas. Le FPLP était à une époque le deuxième groupe le plus populaire de Palestine. Ils ont rendu les détournements d'avions tristement célèbres dans les années 1970, et se sont attiré le soutien d'Européens et de Japonais. Le 17 octobre 2001, avec l'assassinat de Rehavam Ze'evi — ministre israélien d'extrême droite — le groupe est devenu le seul de Palestine à avoir tué un ministre israélien.

Swairjo a fait des études supérieures en Grèce, et utilise aujourd'hui sa connaissance du grec pour repérer des origines grecques dans des mots du Coran, que les musulmans considèrent comme exclusivement d'origine arabe, pour changer leur regard sur le livre saint. Remettre en cause l'omniprésence de la religion à Gaza est une des méthodes utilisées par le FPLP pour encourager ses compatriotes palestiniens à observer sous un autre angle le conflit qui les oppose à Israël depuis des dizaines d'années.

Le Docteur Tholfikar Swairjo, le porte-parole officiel de la branche gazaouie du FPLP, pose pour une photo à son bureau dans les locaux du FPLP de la Bande de Gaza.

Cette résistance à la foi est un axe fort des activités du FPLP. Swairjo a cinq filles, et ses amis et collègues disent souvent qu'il devrait prendre une deuxième femme pour enfin avoir un garçon. « Ce qu'ils ne savent pas, c'est que si je prenais une deuxième femme, je serais expulsé du comité exécutif du FPLP, » dit-il, faisant référence à l'organe central de l'organisation dans la Bande de Gaza. « Les choses comme ça ne sont pas permises. »

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Le chef du bureau politique du FPLP de Gaza, Docteur Rabah Mohanna, 66 ans, revient sur cette séparation claire avec le religieux. « Demain, j'ai un rendez-vous avec des représentants du Hamas et du Jihad Islamique [palestinien], » dit-il. « Quand ils vont prier, je reste en retrait. Ils me disent qu'ils veulent m'amener au paradis, mais je dis souvent que le paradis est dans cette vie, pas la suivante. En privé, ils respectent ma décision, mais en public ils n'oseront jamais. »

La relation entre le Hamas — l'organisation islamiste qui gouverne la Bande de Gaza — et le FPLP laïc, est, au mieux, tendue. Quand on l'emmène sur ce sujet, Mohanna se souvient d'un temps où les Frères musulmans, le groupe qui a remporté les premières élections démocratiques en Égypte, pour finalement être débarqué en 2013 à la faveur d'un coup d'État, avait essayé de l'éliminer. « En 1986, une bande de partisans des Frères musulmans m'a sorti de ma voiture. Ils m'ont tiré à l'extérieur et essayé de m'étrangler avec un câble, » se remémore un Mohanna toujours calme. Ses gardes du corps ont réussi à faire échouer cette tentative d'assassinat.

« Ceux qui me préféraient mort à l'époque sont [maintenant] à la tête du Hamas, » explique Mohanna. « Aucun des deux camps n'a oublié ça. »

S'exprimant sur le rôle d'un FPLP diminué, Mohanna explique que le groupe « joue un rôle raisonnable, à la hauteur de nos moyens. » 8 000 individus feraient partie du FPLP à Gaza et près de 40 000 personnes se reconnaîtraient dans l'idéologie du groupe.

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Le FPLP a toujours rejeté la solution bi-étatique, lui préférant un État unique pour toutes les populations vivant entre la mer Méditerranée et le Jourdain — tant que cela ne s'appelle pas « Israël. » La religion n'a jamais été un facteur distinctif de leur philosophie. En 1993, quand Yassar Arafat signe les Accords d'Oslo, le marché passé entre Israël et l'OLP devait conduire à la création d'un État palestinien indépendant. Le FPLP ne l'aurait pas reconnu.

« On a pas mal souffert depuis cette époque-là. C'était juste au même moment que la fin de l'Union soviétique, et l'OLP ne voulait pas nous financer, » raconte Mohannna. Quand on demande à Mohanna comment un FPLP aux abois financièrement s'en sort pour renflouer ses caisses, il répond du tac au tac, « Je vais vous répondre honnêtement, l'Iran nous finance, du mieux qu'ils peuvent. On reçoit aussi de l'argent de riches Palestiniens, ceux qui n'ont pas abandonné l'idée deleur droit au retour. » Le droit au retour est la notion, qui s'appuie sur la Résolution 194 de l'ONU, selon laquelle tous les Palestiniens réfugiés à l'étranger à cause du conflit israélo-palestinien doivent pouvoir retourner dans leur maison ou être dédommagés pour leurs pertes.

Le FPLP refuse aussi d'abandonner la lutte armée, ce qui limite aussi les sources de donations possibles. Le FPLP partage le même point de vue qu'une autre organisation marxiste, le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP). Le FDLP s'est séparé du FPLP en 1969 en raison de divergences d'opinions sur l'importance à accorder à l'aspect militaire et civil de l'organisation. Ces dernières années les deux Fronts se sont à nouveau rapprochés notamment à cause de l'isolation toujours plus grande dont souffre Gaza. Swairjo explique à VICE News que les groupes sont en contact permanent sur des questions d'importance nationale, et qu'il « doit y avoir sûrement, aussi, le même niveau de coordination entre les branches armées de nos groupes. »

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Des membres de la branche armée du FDLP, les Brigades de la résistance nationale, quittent une conférence de presse qui dénonçait une décision de justice rendue par une cour égyptienne qui range le bras armé du Hamas — les brigades Al-Qassam — dans la catégorie « organisation terroriste ».

Dans un champ d'oliviers à l'extérieur de la ville de Gaza, des membres des Brigades de la résistance nationale du FDLP ont autorisé VICE News à assister à l'une de leurs sessions d'entraînement. Près d'une douzaine d'hommes masqués, leurs fronts barrés de bandeaux rouges paradent dans le verger. Ils répètent diverses formations de combat alors que le soleil atteint son zénith. Cela permet de rendre inopérants les drones israéliens équipés de radars thermiques qui survolent la zone. La nuit, les corps seraient trop chauds par rapport au sol et seraient tout de suite repérés.

Des membres de la Brigade se préparent pour leur entraînement.

Le groupe défile avec Kalashnikovs, fusils à lunettes, AK-47 avec leurs chargeurs, grenades à main et ce qui ressemble à des obus perforants pour des armes plus lourdes. Les coups et égratignures confirment que les armes ont bien été utilisées sur le champ de bataille, et la facilité avec laquelle le commandant arrivait à manier ses hommes avec de subtils mouvements de main prouve leur expérience du terrain. Les snipers se sont mis en position couchée, à plat ventre, pour stabiliser leur visée. Les hommes qui portent des fusils d'assaut ont fixé des points de ralliements pour ensuite suivre leur chef. Ceux avec des armes plus lourdes sont restés en retrait pour couvrir les autres.

Abu Khaled, un des chefs des Brigades de la résistance nationale (qui porte la combinaison camouflage) guide ses hommes pendant un entraînement tactique dans un champ de la Bande de Gaza.

À la fin de la session, Abu Khaled, un des chefs des Brigades de la résistance nationale s'est installé pour une rapide interview. « Oui, on a perdu quelques hommes, vous perdez des camarades dans chaque conflit, » avoue-t-il, faisant référence à l'opération Bordure protectrice, pendant la guerre à Gaza pendant l'été 2014. « Mais la résistance est à nouveau puissante, en pleine mesure de ses capacités…Et notre boussole est pointée vers Jérusalem. »

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Le terrain d'entraînement est choisi pour leurrer les radars thermo-sensibles des drones israéliens.

Quand on lui demande si un groupe laïc a toujours sa place dans une région agitée par un conflit de plus en plus motivé par des raisons religieuses, ce chef de la branche armée du FDLP répond, « La résistance palestinienne ne se mêle pas des autres problèmes arabes; notre seul ennemi est l'occupation israélienne. »

Des membres de la Brigade discutent des tactiques militaires pendant la session d'entraînement.

Quelques jours plus tard, VICE News a rencontré Abu Ghassan, un homme de 42 ans et membre des Brigades Abu Ali Mustafa, le bras armé du FPLP, pour discuter de ce qui motive le FPLP à continuer le combat armé.

« On ne choisit pas de combattre, on n'aime pas mourir, mais on doit le faire, » commence Abu Ghassan. « On n'a même pas accès au minimum vital. On ne se bat pas juste par goût du sang, mais contre l'oppression. »

Les combattants font une petite pause pendant l'entraînement.

Abu Ghassan a rejoint le FPLP pendant la première Intifada qui a débuté fin 1987. « J'ai décidé de rejoindre le FPLP parce que j'avais le sentiment que c'était ce qui me convenait le mieux, d'un point de vue idéologique. Ce sont les plus courageux et les plus honnêtes par rapport à leurs idées, » explique le combattant.

Les Brigades Abu Ali Mustafa ont été actives dans la plupart des grandes batailles lors de l'opération Bordure protectrice de l'été dernier, notamment dans les villes de Khuzaa, Rafah, et Beit Hanoun. Abu Ghassan ne veut pas entrer dans les détails concernant les zones de combat sur lesquelles il a été déployé. Quand il part de chez lui pour aller au combat, il ne dit jamais adieu à ses enfants et à sa femme. « Ce qui me donne de l'espoir c'est ma femme. Le fait qu'elle soit là, et qu'elle va être à nouveau là, me réconforte. Je lui dois tout. »

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Le combattant marxiste révèle que, bien qu'il ne ramène pas l'idéologie du FPLP à la maison — « Mes enfants sont jeunes, je ne m'attends pas à ce qu'ils aient la même mentalité que moi » — il range les « instruments de travail » cités plus haut dans et autour de sa maison. Quand il a ouvert la porte de sa cuisine, on tombe nez à nez avec un lance-grenades.

La femme d'Abu Ghassan a découvert que son mari était un combattant quand une grenade fumigène qu'il avait cachée sous la maison, a explosé. La fumée a rapidement inquiété sa femme qui a tout de suite compris de quoi il s'agissait.

Abu Ghassan aurait préféré annoncer la nouvelle différemment à sa femme. Personne de sa famille n'a été blessé. « Heureusement je gardais les grenades fumigènes à l'écart des autres outils de travail que j'ai en stock ici, » dit-il.

« Quand je vais chercher des affaires pour mon travail, je les porte avec d'autres choses, comme les courses, ensuite je les mets au sous-sol, » explique Abu Ghassan. Le regard un peu perdu, Abu Ghassan avoue être un peu tiraillé. « Je ne veux pas que mes enfants vivent anxieux, ou que quoique ce soit leur cause du souci. »

Cependant, il continue de jongler entre sa vie de famille et son « travail » particulier, refusant de laisser tomber les idées du FPLP. « La vie c'est résister, » conclut-il.

De retour au café, Mohanna reste persuadé que le marxisme était la réponse. Il voit dans le récent regain de popularité des partis de gauche dans une Europe frappée par l'austérité, et dans les gouvernements de gauche installés depuis plusieurs années en Amérique du Sud, comme autant de signes que le marxisme fait toujours sens sur la scène politique.

« Je ne le verrai pas de mon vivant, » finit-il, optimiste « mais le futur est à nous. »

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