Comment des groupes de supporters LGBT tentent de changer les mentalités en Angleterre

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Comment des groupes de supporters LGBT tentent de changer les mentalités en Angleterre

Si l'homophobie est encore un problème très présent dans le football, les supporters homosexuels, lesbiens, bis et trans anglais ont de quoi être optimistes.

En avril 2013, le groupe de supporters du club de Brighton, le Brighton and Hove Albion Supporters' Club (BHASC), s'est associé au réseau des supporters homosexuels de football, le Gay Football Supporters' Network, pour produire un rapport détaillé sur l'homophobie pendant les matches de leur club. La lecture de ce rapport était plutôt déprimante. Après avoir documenté la saison 2012-2013, le BHASC a révélé que les supporters de Brighton avaient été victimes d'injures homophobes par 72% de leurs adversaires au cours de leurs rencontres. C'était le cas dans 70% des matches joués à l'extérieur et au moins 57% des matches joués à domicile. Cela allait d'insultes individuelles à des chants, de l'intimidation et parfois des agressions physiques.

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Brighton est un cas à part : l'association de la ville avec la communauté gay - Brighton est considérée comme la capitale homosexuelle officieuse de la Grande-Bretagne - est source de moqueries de la part des supporters rivaux depuis plusieurs décennies. Néanmoins, ce qui rend ce rapport si déprimant, c'est le nombre important de supporters (qui ne comptent pas que les rivaux habituels de Brighton) qui peuvent prendre part à des chants homophobes les jours de match. Le rapport notifie chaque cas avec une précision méticuleuse. Les fans impliqués proviennent de différentes divisions.

Certaines rencontres sont pires que d'autres. Des matches de championnat contre Hull, Burnley, Leicester, Huddersfield, Bolton et Crystal Palace sont ainsi mentionnés, pour n'en citer que quelques-uns. De la même manière, la rencontre de FA Cup face à Arsenal en janvier 2013 a été marquée par des chants homophobes persistants. Cela a été particulièrement couvert par les médias - même si c'était loin d'être les pires injures entendues dans le stade de Brighton cette saison-là - et cela a surtout été une source de honte pour un club de Premier League qui avait largement communiqué par le passé sur son programme d'égalité et de diversité.

Un mois plus tard, en février 2013, les Gay Gooners ont été reconnus comme le premier groupe de supporters LGBT officiel d'Arsenal. Ils sont alors devenus la première organisation de ce type en Premier League.

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Ce n'est pas un pied-de-nez aux chants homophobes du match de Brighton, loin de là. Les Gay Gooners existent depuis des années de manière informelle, leurs membres assistant aux matches ensemble et organisant des sorties bien avant 2013. Néanmoins, après le match de Brighton, le besoin d'un groupe de supporters LGBT officiel est devenu clair. L'une de leurs premières priorités a été d'augmenter la visibilité des supporters lesbiens, gays, bis et trans, qu'il y ait quelque chose dans le stade rappelant que des personnes d'orientations sexuelles différentes sont présentes aux matches.

Quand j'ai discuté avec le président actuel des Gay Gooners, Dave Raval, il m'a fait comprendre qu'il y a eu beaucoup de difficultés dans les premiers mois qui ont suivi l'officialisation du groupe de supporters. « Nous avons participé à la London Pride ces trois dernières années, en 2013, 2014 et 2015. La première année, Arsenal a tweeté quelque chose comme « Bonne chance aux Gay Gooners à la Gay Pride demain ». Il y a eu beaucoup de tweets hostiles en réponse, il faut le dire. »

Dans le même genre, malgré l'encouragement et la compréhension de la majorité des fans, une minorité vocale a objecté au fait que les Gay Gooners aient leur propre banderole à l'Emirates. Beaucoup ne voyaient pas pourquoi ce groupe de supporters avait besoin d'être représenté de manière visible dans le stade.

Dave a une réponse toute préparée pour ce genre de questions : « On essaie juste de normaliser notre présence dans la culture du football. Nous sommes des gens, nous sommes des fans de foot, nous existons et nous sommes nombreux. »

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Plus que tout, il s'agit d'un point fondamental pour la visibilité des supporters LGBT. Une fois que les gens auront compris qu'ils se tiennent côte-à-côte dans les gradins avec des supporters aux orientations sexuelles différentes - comme ils l'ont toujours fait -, ils y réfléchiront peut-être à deux fois avant de les discriminer. La banderole des Gay Gooners est donc là en permanence à l'Emirates depuis ce temps-là et il semblerait qu'elle n'ait que des effets positifs.

Quand Arsenal et Brighton ont fait match nul en janvier 2015 en FA Cup, il aurait été compréhensible que des membres du groupe de supporters se sentent peu enclins à assister au match. Au lieu de cela, ils étaient déterminés à ne pas voir une redite du match de 2013 se dérouler. Dave me raconte ainsi que « quand on a vu que l'on rencontrait Brighton comme en 2013, on s'est dit : "Eh bien, tentons de stopper les comportements homophobes. Tentons d'être des modèles pour tous". »

« Dans le programme du match, le club avait écrit quelque chose comme "Bonne chance à Brighton, supportez l'équipe, mais nous n'accepterons aucune injure homophobe". Et il avait ensuite envoyé un mail à tous ceux qui avaient acheté un billet qui disait la même chose. Ils en ont parlé dans les bus de supporters qui allaient à Brighton. Dans le même temps, nous en discutions avec la police du Sussex et les stadiers de Brighton en leur disant : "Si quelqu'un le fait, arrêtez-le et virez-le sur le champ" ».

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« Et qu'est-ce qui s'est passé ? Je crois que deux ou trois personnes ont commencé à dire des trucs de manière individuelle avant de se faire tout de suite arrêter par la foule autour d'eux ou les stadiers, et c'est tout. On est passé de 2013 avec des centaines de supporters d'Arsenal chantant à l'unisson des chants homophobes à 2015 où personne n'a rien fait ou presque. »

« C'est un changement important, et cela prouve qu'on changer les choses. »

Cela reste une anecdote mais le contraste entre les deux matches de Brighton invite à l'optimisme. La visibilité des Gay Gooners, par l'effet cumulé de leur nom, d'avoir le soutien du club, et d'afficher leur banderole avec fierté, a été important. Mais il y a d'autres indicateurs qui laissent penser que les mentalités dans le football vont en s'améliorant.

Dans les années 1970, 1980 et 1990, l'homophobie virulente était chose commune sur de nombreux terrains de foot. Il faut se rappeler que Justin Fashanu - à cette date, le seul footballeur de première division anglaise qui ait fait son coming out durant sa carrière - était persécuté par les supporters, les entraîneurs et les joueurs après avoir révélé son homosexualité en 1990. Il y a des raisons qui expliquent qu'aucun joueur pro n'a fait son coming out depuis. La persécution subie par Fashanu - et plus tard, son suicide - sont imprimés durablement dans la mémoire collective du football anglais.

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Aujourd'hui, c'est différent. Si les Gay Gooners avaient bien quelques centaines de membres en 2013, ils sont désormais aujourd'hui près de 500. Beaucoup de monde vient aux événements qu'ils organisent, le club les supporte dans tout ce qu'ils font et ils sont apparemment en contact régulier avec la direction d'Arsenal. D'autres clubs ont même suivi l'initiative d'Arsenal en reconnaissant leurs groupes de supporters LGBT.

Norwich a ainsi les Proud Canaries. Tottenham a les Proud Lilywhites. Manchester City a les Canal Street Blues. Ce sont trois des groupes les plus établis - tous formés début 2014 - mais d'autres commencent à émerger. Le groupe Pride of Irons de West Ham ou les Proud Valiants de Charlton ont été officiellement reconnus plus récemment.

« Quand notre drapeau a été mis en place, il y a eu quelques réticences. Une rébellion. Les gens disaient : "Pourquoi ils ont droit à un drapeau et pas les autres ? Pourquoi sont-ils un groupe thématique et pas les autres ?" Le club leur a répondu, assez justement : "Tout le monde peut ouvrir son groupe de supporters et n'importe qui peut ramener son drapeau". »

« Ils l'ont jouée franco, et c'est ce qu'il fallait faire. On ne veut pas être vu comme un groupe de supporters différent des autres ou privilégié. Le truc, c'est que quand il y a une partie des supporters qui sont discriminés positivement, traditionnellement, dans le football, vous vous organisez autour de cette discrimination pour essayer de la contrebalancer. »

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« Mais on a quand même réussi à provoquer des changements ces deux dernières années. Ce n'est pas seulement nous : le monde a changé lui aussi. Beaucoup de choses se sont réglées en même temps. Il y a tellement de groupes LGBT aujourd'hui. »

Les Proud Lilywhites ont été actifs dans leur campagne contre les préjugés dans le football, travaillant avec Football v Homophobia et le club lui-même pour faire parvenir aux fans un message contre les discriminations. Avant le match à l'extérieur de Tottenham contre Manchester City en février dernier, les joueurs des deux équipes se sont échauffés avec des maillots d'entraînement Football v Homophobia. Le fait que les deux clubs se soient donnés autant de mal pour réaliser cela est fortement encourageant. Ajouté à cela une campagne de publicité ostensiblement disposée aux alentours de l'Etihad Stadium, l'importance de ce geste symbolique ne peut pas être minorée.

Chris me raconte : « Dans des grands matches comme celui-là, avec beaucoup d'exposition, c'était une très belle initiative en termes de visibilité. Avec la popularité de la Premier League à travers la planète, il faut que l'on dise au reste du monde : "L'homophobie est inacceptable en Premier League" ».

« Il y a tellement de pays avec des lois odieuses envers l'homosexualité et - même si je ne dis pas qu'on est en train de résoudre tous les problèmes du monde - cela fait de grandes différences quand vous êtes dans un pays où l'homosexualité est illégale et que, en tant que jeune gay ou lesbienne, vous voyez vos idoles en train de porter ces messages. »

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« Les gens autour de vous pourraient alors changer leur manière de penser sur ce que ça veut dire qu'être LGBT. »

Chris veut bien faire comprendre que les Proud Lilywhites n'essaient pas de révolutionner le football. Leurs messages sont plus simples. « Je ne veux pas que des gens soient éjectés des matches de foot, je ne veux incriminer personne », explique Chris.

« Mais il faut que les gens réalisent ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Ce n'est pas une question d'offenser qui que ce soit. Ce n'est pas une question d'offense envers ma personne. Il faut se rendre compte de l'impact des choses que l'on peut dire, il faut reconnaître quand on exclut les gens de quelque chose - quand vous excluez les gens des matches de foot par exemple. »

« Ce que nous voulons dire, c'est : "Si vous êtes un supporter des Spurs, vous êtes le bienvenu peu importe votre orientation sexuelle". C'est ce que veut dire le fait d'avoir notre drapeau accroché au stade. »

Malgré les améliorations de ces dernières années, il y a encore pas mal de chemin à parcourir pour les supporters LGBT. Bien que les Gay Gooners, les Proud Lilywhites et les autres semblent avoir beaucoup de soutien et être capables de se développer, il faut tout de même se rendre compte qu'une minorité des 92 clubs professionnels anglais ont officiellement reconnus des groupes de supporters LGBT. En parlant à Di Cunningham, organisateur du groupe des Proud Canaries, il est clair que les groupes qui existent déjà pensent qu'il faut qu'il y ait encore plus de choses qui soient faites.

Di insiste sur le fait que les comportements semblent être en train de s'améliorer. Les supporters de Norwich auraient dans tous les cas du mal à ignorer la discrimination envers la communauté LGBT vu le statut de légende qu'entretient Justin Fashanu au club. Mais elle pense que d'autres clubs devraient prendre leurs responsabilités. « Les groupes n'ont rien coûté. Il n'y a pas eu d'investissement financier de la part des clubs », explique-t-elle.

« On a encore beaucoup de chemin à faire. Il y a un bon nombre de groupes, mais ils ne sont pas tous en Premier League. Manchester United par exemple, n'a pas de groupe LGBT. Il faut que cela ait lieu dans tous les clubs. »

Au fond, tout revient au concept de visibilité. Quand chaque club aura son groupe de supporters LGBT, la sexualité ne sera plus une manière d'insulter d'autres équipes.