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Police partout

Avec la police des bonnes manières

Depuis que la brigade anti-incivilités est passée devant chez Vice pour coller 68 euros d’amende à un fumeur ayant jeté son mégot dans la rue, on s’est demandé à quoi ressemblait leur quotidien.
Eric Feferberg / AFP 

Sur l’échelle des métiers les plus détestés de France, ils pourraient se retrouver tout en haut, entre les huissiers de justice et les cols blancs du CAC 40. Il faut dire que les agents de la brigade anti-incivilité de Paris sont chargés d’une mission qui a le don d’irriter les fumeurs de la capitale : coller 68 euros d’amende pour un mégot jeté dans la rue. Le genre d’intervention qui peut potentiellement transformer un honnête citoyen en un volcan de haine en fusion… Alors, à quoi ressemble le quotidien de cette « Police des bonnes manières » qui s’occupe aussi, des crachats, des dépôts d’ordures et des pipis sauvages ? Pour le savoir, on a passé un après-midi avec eux.

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La chasse aux mégots commence rue des poissonniers, dans le XVIIIe arrondissement, aux côtés d’Hamidou, Teddy et Clément. Uniforme bleu, matraque et menottes à la ceinture, ils ont toute la panoplie du policier… mais sans l’être. S’ils sont assermentés – donc habilités à distribuer des prunes – ils ne travaillent pas pour la grande Maison, mais pour la mairie de Paris, et plus précisément la DPSP (Direction de la prévention, de la sécurité et de la protection). Depuis la mise en place des amendes pour jets de mégots, en octobre 2015, les trois agents ont noté une évolution des mentalités parisiennes : « au début, les gens étaient surpris. Aujourd’hui, ils sont au courant de l’interdiction. À la différence des provinciaux ou des étrangers qui, eux, ne comprennent pas toujours », raconte Hamidou. Il faut dire qu’avant d’attaquer le Parisien au porte-monnaie, la mairie a longuement préparé le terrain en multipliant les opérations de sensibilisation.

« Une verbalisation réussie est une verbalisation qui dit merci »

Côté offensive, la mairie a tout de même mis le paquet : de 1 000 agents en 2016, les effectifs de la brigade sont désormais passés à 3 200. Et les verbalisations s’en ressentent : pas moins de 108 000 PV ont été rédigés en 2017 (toutes incivilités confondues) – soit une augmentation de 150 % en quelques mois.

Pour éviter les conflits avec les usagers, Hamidou, Teddy et Clément ont appris à faire preuve de diplomatie. Certes, ils « planquent » près des bouches de métro pour débusquer les fumeurs pollueurs, mais ils ne verbalisent pas forcément. « On est un plutôt dans une démarche d’accompagnement », assure Teddy, qui a d’ailleurs suivi une formation spécifique en gestion pacifique du Parisien furibard. D’ailleurs, à la DPSP, dont dépend la brigade des bonnes manières, on a inventé une expression d’une candeur presque touchante : « Une verbalisation réussie est une verbalisation qui dit merci ». Rien que ça !

Mais aujourd’hui, pas encore de « merci » alors que les trois agents remontent le boulevard Rochechouart en direction du métro Blanche. Sur place, un vendeur de marrons chauds se fait épingler. Il reçoit une prune pour avoir utilisé son caddie et son réchaud sur la voie publique – mais pas pour vente à la sauvette. « C’est un délit. C’est à la police de le sanctionner pour cela. Idem pour les vendeurs de cigarettes et les pickpockets », prévient Teddy. Juste avant de repartir, un jeune homme est pris en flag de jet de mégot. La discussion s’engage… sans déboucher sur une amende. Et si le kid repart en ricanant (pas peu fier d’avoir échappé au PV), les trois agents demeurent confiants. « C’est une question d’approche. L’essentiel n’est pas l’amende, mais le message que l’on veut faire passer. Évidemment, ça ne marcherait pas si on arrivait en bombant le torse et en exigeant de voir les papiers d’identité », pose Hamidou de retour au volant de la voiture.

« L’essentiel n’est pas l’amende, mais le message que l’on veut faire passer »

Retour dans les environs de Barbès, au métro Château-Rouge, cette fois. Les vendeuses à la sauvette ont déjà repéré les uniformes et leurs étals sont rangés lorsque Teddy, Hamidou et Clément arpentent la rue Poulet. C’est dans ce quartier populaire et métissé qu’on prend conscience de la dimension « sociale » de leur métier, pour rependre l’expression de Teddy. Oui, ils traquent les incivilités, et verbalisent, mais la grande partie de leur journée est consacrée à l’information de la population.

Reste que rue Doudeauvile, le patron d’un magasin de produits africains prend son PV de 68 euros pour avoir étalé ses palettes de bananes sur un emplacement « Livraison ». Mais là encore, pas d’agressivité – ni d’un côté, ni de l’autre. « On connaît les règles du jeu », précise même le patron du magasin, dans un sourire entendu. En fin de journée, le trio alpague un étudiant qui a jeté son mégot juste avant de s’engouffrer dans la bouche du métro. Surprise, là encore, le jeune homme est poli, courtois, presque souriant malgré les 68 euros dont il doit s’acquitter. Hamidou en est persuadé : tout est une question d’attitude. « J’ai grandi dans les quartiers entre Noisy et Aubervilliers, je connais les zones sensibles et les populations qui y vivent. Ce n’est pas parce qu’on a l’uniforme qu’on joue les cow-boys ». Un état d’esprit qui tranche avec la façon dont les véritables policiers ont pris l’habitude de se comporter. Hier encore, mardi 3 avril, un jeune photographe a été violemment matraqué par des policiers lors de la manifestation parisienne des cheminots. Alors que les violences policières se multiplient ces dernières années, la « brigade des bonnes manières », elle, montre l’exemple.