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Mistral

Mistral : livrera, livrera pas ?

Si la France livre le porte-hélicoptères militaire attendu par la Russie, elle se mettra l'Otan à dos. Si elle ne le livre pas, elle se décrédibilise aux yeux des acteurs des marchés de l'armement.
Image via Wikimedia Commons / Un Mistral en rade de Toulon le 25 novembre 2006

La Russie est toujours officiellement invitée à recevoir ce vendredi 14 novembre le porte-hélicoptères de construction française et de type Mistral commandé en 2011, le Vladivostok. Du moins, c'est le scénario donné par la radio La Voix de la Russie, radio de l'État russe destinée aux pays étrangers. Dans les faits, le premier ministre français Manuel Valls a déclaré la semaine dernière que  « les conditions n'étaient pas réunies » pour que la France livre les Mistral à la Russie. Une déclaration qui tente de mettre fin à un feuilleton qui semble ne pas trouver d'épilogue.

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Négocié en 2008, et signé en 2011 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le contrat de vente des Mistral prévoit la construction et la livraison de deux navires porte-hélicoptères militaires à la Russie, ainsi qu'une formation des équipages russes et un transfert de technologies pour un montant de 1,2 milliard d'euros. La France a fini de construire le premier d'entre eux, le Vladivostok, et a formé 400 marins russes cet été au maniement des Mistral.

En juillet dernier, des sanctions sont prises contre la Russie à la suite de la crise ukrainienne. Parmi ces sanctions, un embargo est déclaré sur l'import et l'export d'armes en provenance et à destination de la Russie. La pression des alliés occidentaux sur la France pousse François Hollande à lier le sort des Mistral à celui de la situation en Ukraine, autrement dit suspendre la livraison des navires tant qu'un accord politique entre Kiev et Moscou n'est pas trouvé.

La question revient sur la scène médiatique et diplomatique le mercredi 29 octobre, lorsque le vice-président du gouvernement de Russie, Dmitri Rogozine, publie la photo d'une invitation envoyée par Pierre Legros, le numéro 2 du constructeur naval DCNS (l'entreprise française en charge de la construction des Mistral) à une cérémonie de livraison du premier de ces BPC (Bâtiment de Projection et de Commandement) à Saint-Nazaire, le 14 novembre. La date et les modalités de cette livraison sont alors démenties par l'Élysée.

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Marie Mendras, politologue au CNRS et au CERI, est professeur à Sciences Po où elle enseigne notamment la politique étrangère russe. Elle fait remarquer que « Le deuxième Mistral en construction doit s'appeler Sébastopol, ce qui est extrêmement polémique puisqu'il s'agit d'une ville prise par les armes et annexée par la Russie. »

Elle rappelle que le début des négociations des Mistral a eu lieu peu après la deuxième guerre d'Ossétie du Sud qui a opposé la Russie à la  Géorgie en 2008. Ainsi, « L'engagement de bâtir ce type de bâtiments militaires était de toute façon une erreur, » dit-elle à VICE News. « Je regrette le défaut d'anticipation du gouvernement français [au moment de la signature du contrat] sur le comportement de la Russie. » Elle estime que « Les autorités avaient les moyens d'anticiper la politique conflictuelle de Moscou en Ukraine aujourd'hui, qui remet en question les bases de la sécurité européenne. L'industrie nationale française ne peut pas passer avant les intérêts de la sécurité du continent. »

Isabelle Facon est maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes. Selon elle, il ne s'agit pas nécessairement d'un manque d'anticipation, mais cela correspond, au-delà des enjeux économiques bien compris, à la stratégie française qui consiste traditionnellement à ne pas isoler la Russie en matière de sécurité et de défense. « La France, comme d'autres pays européens estime que sur certains enjeux de sécurité, il y a des approches communes possibles avec la Russie, et qu'il ne peut pas y avoir de sécurité européenne sans relation de confiance entre la Russie et l'Europe, » explique-t-elle à VICE News.

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Pour Isabelle Facon, compte tenu des enjeux, la position de la France, de suspendre mais de ne pas annuler la livraison des navires semble être la moins pire des solutions pour un pays dans lequel les ventes d'armes représentent près du quart des exportations françaises : « C'est la seule solution qui n'est pas radicale, et qui permet de ménager nos intérêts comme fournisseur d'armement fiable, » analyse-t-elle. « Les acheteurs potentiels ne sont pas toujours de parfaites démocraties, et [la livraison des Mistral] pose la question de la fiabilité de la France. D'autres clients de la France sont sensibles à cette affaire, car ils se disent qu'un jour la question pourra être posée à leur égard. » Elle ajoute toutefois que cette attitude de la France brouille sa lisibilité tant vis-à-vis des alliés que de la Russie.

Si la France n'honore pas le contrat, elle devra rembourser les sommes déjà versées par la Russie, ainsi que les pénalités prévues par le contrat. « Nous exigerons alors un dédommagement. Mais cela ne contribuera pas positivement au futur développement de nos relations dans le domaine de la coopération technique et militaire » avait déclaré Vladimir Poutine en juin dernier.

À ce risque financier s'ajoute la question du sort des emplois créés par la construction du second navire (une annulation des contrats menacerait des centaines de salariés), et celle, plus générale, de l'avenir des chantiers navals, qui emploient entre 2 500 salariés et 4 000 sous-traitants. D'après Serguey Dmitriev, qui est journaliste pour l'antenne russe de RFI en France, « En Russie, l'opinion publique est persuadée que ce sont les États-Unis qui font pression sur la France qui elle aimerait vendre les Mistral car elle a besoin d'argent, » raconte-t-il à VICE News.

Le sort des Mistral reste suspendu pour le moment à une décision de la France. François Hollande doit préciser ses intentions courant novembre, avait indiqué fin octobre son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian.

Suivez Mélodie sur Twitter: @meloboucho

Image via Wikimedia Commons