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Crime

« Morenazis » : des jeunes mexicains nostalgiques du Troisième Reich ?

Un spectacle de danse sur le thème des nazis a eu lieu à Guadalajara fin mai, une ville déjà marquée par des démonstrations de sympathie des jeunes envers le nazisme et le fascisme.
Screenshot via YouTube

Les svastikas affichées de chaque côté de la scène ont fait office d'avertissement : le public n'allait pas assister à un banal spectacle de danse collective. Les jeunes danseurs, tenues noires et brassards rouges, sont entrés sur scène sur un air de musique classique menaçant et sur fond d'enregistrements d'Adolph Hitler diffusés par les haut-parleurs.

Entrecoupée de quelques saluts nazis, leur chorégraphie agressive alternait avec celle, plus calme, d'un autre groupe de jeunes danseurs vêtus de blanc, symbolisant les victimes du génocide nazi.

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Le numéro de trois minutes a culminé quand les danseurs ont brandi un énorme drapeau nazi au-dessus de leurs têtes, sous les applaudissements du public de l'auditorium principal de l'Université de Guadalajara, la deuxième ville du Mexique.

C'était le 31 mai. D'abord, peu de gens ont prêté attention à ce spectacle, organisé dans le cadre du concours de danse collective ACMX. Puis une vidéo publiée sur YouTube le 10 juin est devenue virale, et la polémique s'est propagée dans tout le Mexique.

De nombreux utilisateurs de Twitter ont critiqué l'Université de Guadalajara, un établissement public, pour avoir autorisé la tenue d'un tel spectacle dans l'auditorium « Coliseo Olimpico ».

« WTF !!! Comment l'Université de Guadalajara peut permettre l'utilisation de symboles nazis dans ses locaux ? » a commenté une écrivaine et peintre locale, Carmen Libertad Vera.

Dans une réponse, l'Université de Guadalajara a expliqué qu'elle a simplement loué la salle et n'a pris « aucune responsabilité pour l'événement organisé par le Championnat d'été ACMX ».

L'organisateur de la compétition, Enrique Casas, a dit que le spectacle n'avait pas pour but d'être offensant. Il a dénoncé la « diabolisation » des participants habillés en nazis, qu'il a refusé d'identifier car ils étaient tous âgés de 16 ans ou moins.

Les thèmes des 192 spectacles de danse qui ont eu lieu dans cette compétition ont été choisis par les équipes elles-mêmes, a ajouté Casas. Il a promis que les organisateurs ont annoncé qu'ils seraient plus vigilants à l'avenir, « pour ne pas heurter la sensibilité des gens ».

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Des « morenazis » ? 

Rossana Reguillo est une professeure d'anthropologie sociale à l'Institut technologique d'études supérieures occidental (ITESO), une université jésuite de Guadalajara. Cette spécialiste des pratiques culturelles des jeunes, contactée par VICE News, nous a dit que le spectacle incriminé a dû être encouragé par des « adultes qui sont très irresponsables, ou qui dépassent vraiment les limites de la décence. »

Il n'y a aucune preuve que ce spectacle soit le résultat d'autre chose qu'une sombre erreur de jugement. Mais il a relancé les débats liés au nazisme à Guadalajara, une région à l'Ouest de Mexico, familière de ce genre d'incidents.

Le 7 juin dernier, quelques jours avant le début de la polémique sur le spectacle de danse, une utilisatrice de Twitter a publié des photos d'un homme habillé en uniforme nazi, svastika compris, qui auraient été prises dans la municipalité de Zapopan, en banlieue de Guadalajara. Blanc et barbu, l'homme aurait été vu alors qu'il faisait la queue pour aller voter lors des élections législatives. Il n'a jamais été identifié depuis, mais l'incident a rappelé une précédente controverse liée à un groupe nazi local.

Gente se confianza qué opinan de esto en una casilla en zapopan son fotos exclusivas — Javi M Dibene (@gialorosi)June 7, 2015

Le « Mouvement nationaliste mexicain du travail », basé à Guadalajara, avait fait la une de certains médias en juin 2014, quand ceux-ci avaient publié des images polémiques, provenant de pages de réseaux sociaux du groupe, qui a été dissout depuis.

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Les photos montraient des membres du groupe en train de faire de saluts nazis, ou habillés en uniformes nazis, ou encore en train de célébrer le 125ème anniversaire de la naissance d'Hitler. Leurs objectifs avoués étaient de « protéger les familles traditionnelles, la religion chrétienne-catholique, les micros, petites ou moyennes entreprises et réécrire l'histoire par le révisionnisme ».

L'organisation s'est également opposée au mariage homosexuel et aux « idéologies sioniste, anarchiste, communiste, capitaliste, maçonnique et juive ».

Le Parti de l'Action nationale (PAN), une formation mexicaine de centre-droit, s'est trouvé embarrassée quand il s'est avéré que plusieurs membres du groupe néo-nazi mentionné précédemment appartenaient à la branche jeunesse du PAN, Acción Juvenil (« Action des jeunes »).

Avec une série de « memes », des utilisateurs de réseaux sociaux ont moqué l'organisation fasciste, dans un Mexique principalement peuplé de métis hispano-amérindiens. Ces moqueries désignaient les fascistes non-aryens de « morenazis », contraction de « moreno » (à la peau mate) et « nazi ».

« Mais où sont les parents de ces enfants idiots ? » s'est demandé l'éditorialiste Eduardo Solorzano, estimant que de telles opinions découlent de traumatismes subis pendant l'enfance ou l'adolescence.

Dans une déclaration à l'époque, le PAN a affirmé qu'il « condamne catégoriquement et se sépare de tout groupe ou action qui viole la dignité humaine ou nos valeurs et principes. »

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La fin du spectacle du 31 mai à Guadalajara. (Screenshot via YouTube)

Juan Barrera Espinosa, qui a co-fondé le groupe néonazi, dit avoir reçu des menaces de mort et s'est excusé plus tard pour « certaines actions qui pouvaient être considérées comme fascistes ».

Contacté par VICE News ce mois-ci, Juan Barrera Espinosa a refusé de discuter de son passé de sympathisant nazi, mais disait n'avoir « rien à cacher ».

Il a révélé qu'il a perdu son emploi de conseiller pour les questions étudiantes à Acción Juvenil après le scandale de l'année dernière. Il travaille désormais dans la branche jeunesse d'un parti conservateur beaucoup plus petit, Encuentro social (« Rencontre sociale ») et nous a dit qu'il est « un centriste, pas un sympathisant de droite ».

La professeure d'anthropologie sociale Rossana Reguillo a qualifié cette série d'incidents d' « expressions sporadiques » de fascisme. Elle estime que ces incidents sont nourris par un degré d'ignorance dans la société mexicaine sur ce que signifie le nazisme. Ils tendent également, selon elle, à contribuer à une « certaine atmosphère, certes minime, qui encourage ces actions offensantes ».

À lire : Des lycéens tunisiens font des banderoles à l'effigie d'Hitler, pas parce qu'ils sont nazis, mais parce qu'ils sont désespérés

Dans ce cas précis, trois des quatre fondateurs du groupe fasciste lié au PAN ont étudié à l'Université autonome de Guadalajara (UAG), une institution privée connue pour ses liens historiques avec le fascisme.

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Le site de l'UAG dit que l'université a été fondée en 1935 par Carlos Cuesta Gallardo et les frères Ángel et Antonio Leaño Álvarez del Castillo. Les liens de ces trois personnes avec le nazisme ont été « amplement documentés », estime Rossana Reguillo.

Antonio Leaño a, selon certaines sources, été un soutien de nombreux dictateurs fascistes d'Amérique latine, alors que Cuesta Gallardo aurait été un agent nazi au Mexique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ayant agi parfois sous le pseudonyme de Traian Romanescu, Cuesta Gallardo aurait voyagé en Allemagne nazie, où il a reçu des fonds pour entraîner des groupes paramilitaires mexicains afin de planifier un assaut sur la frontière américaine. Le projet a été abandonné après la guerre, mais l'UAG est resté un bastion de l'extrême droite pendant des décennies.

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