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Crime

En photos : La neige est tombée sur la ligne de front ukrainienne

Le photographe Louis Dowse a passé trois semaines en décembre aux côtés des troupes de l’armée ukrainienne, sur la ligne de front est, à Schastive et Tr’okhizbenka.
Photo par Louis Dowse

Le long de la rivière de Seversky Donets court une ligne lourdement fortifiée. Elle coupe un territoire qui a changé de mains plusieurs fois ces six derniers mois, passant dans celles des forces ukrainiennes puis dans celles de la République populaire de Lougansk. La ligne de front, dans l'est de l'Ukraine, se trouve à 16 kilomètres de la ville de Lougansk. La région est habitée par la colère et la paranoïa.

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Les troupes cachent à l'ennemi du matériel et des armes lourdes, pour éviter de subir des tirs d'artillerie. Photos par Louis Dowse.

Ici, mis à part la petite minorité de civils qui n'ont pas pu fuir les combats, ne se trouvent que des femmes et des hommes qui tueront et mourront volontiers pour un salaire mensuel de 1000 hryvnias (52 euros). Les médias ont beaucoup parlé de portion stratégique de la ligne de front qui passe par la ville de Schastiye, ce qui veut dire « joie » en ukrainien ou en russe. Mais on parle moins de ce qui se passe dans des villages comme Tr'okhizbenka.

Un homme court pour se mettre à l'abri des tirs de snipers sur la première ligne de défense de Tr'okhizbenka.

Depuis son avant-poste avec vue sur les positions ennemies, un commando hétéroclite observe sa proie. Pour eux, les séparatistes sont des terroristes qu'il faut contrer avec force. Des divisions motorisées essaient de les intercepter dans une version mortelle de jeu du chat et de la souris.

Situé sur la ligne de front, le village de Tr'okhizbenka, pilonné lors d'échanges avec les tanks séparatistes.

Avant le cessez-le-feu, les bombardements commençaient généralement à 10 heures du matin. À la fin de l'après-midi, et avec les dernières lumières du jour, les missiles de type Grad entraient en jeu. Les nuits étaient emplies des bruits d'explosions. Incessants, faisant trembler la terre, martelant les alentours dans un tonnerre de poudre. Par moments, des boules de feu crevaient les ténèbres.

Un soldat, surnommé « Le communiste », dort entre les patrouilles.

Malgré une période de relative accalmie, que l'on dit due à une nouvelle tentative de mettre en place les accords de cessez-le-feu du mois de septembre, les membres du peloton stationné près de Tr'okhizbenka sont sans pitié, les conditions de vie sont spartiates et chiches. Il n'y a pas de deuxième chance ou de place pour les écarts de conduite. Le couvre-feu commence à 20 heures. Ceux qui se trouvent au delà du périmètre de l'avant-poste seront abattus, sans chercher à savoir s'ils sont amis ou ennemis. Les ordres sont simples : tuer d'abord, poser les questions le lendemain matin. Pas d'exception.

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Les portraits de Lenin servent de cibles pour l'entraînement au tir. Depuis le début de la guerre, le sentiment anti-russe est grandissant et avec le rejet des vestiges de l'Union soviétique.

Pour eux, le cessez-le-feu n'existe pas. À part des déclarations officielles stoppant la possibilité d'une offensive d'envergure, il n'y a pas eu de consigne de retenue. Tant qu'il n'y a pas de clarification quant à l'attitude à adopter, ils continueront de défendre farouchement leur terre.

Début de patrouille à Tr'okhizbenka.

Ces commandos ont été spécialement choisis pour leur capacité à remplir différentes fonctions et missions. Le chef est capable d'utiliser mitrailleuse lourde montée sur une tourelle; le mécanicien est un sniper; un soldat en entraîne d'autres aux techniques de combat à mains nues; il y a des médecins, des aumôniers, des experts en arts martiaux. Tous sont de très bons chasseurs.

Les commandos chassent souvent pour améliorer l'ordinaire.

Le bois pour le chauffage est empilé à côté des caisses de munition. Ce sont les deux éléments les plus vitaux sur le front. On veille dessus avec attention, à mesure que l'hiver s'installe et que le froid mordant saisit les os et les esprits.

Deux soldats s'entraînent au corps-à-corps.

Les soldats se relaient pour ramasser et débiter du bois. Tout le monde sait que, même si la température tombe déjà à -14 degrés la nuit, les conditions météo ne vont aller qu'en empirant.

« Bachar », « le jeune » en pachtoune, est un vétéran de l'invasion soviétique en Afghanistan. Avant de faire la guerre dans l'est de l'Ukraine, il a protégé des convois de l'OTAN en Afghanistan, dans la province de Kandahar.

Les sourires illuminent les visages alors qu'ils montrent fièrement leur équipement d'hiver. Ils ont accueilli avec joie des dons de vêtements, arrivés avec les rations de la semaine : des bottes venues du Canada, des vestes venues d'Allemagne, et des affaires envoyées par leurs familles. Sans ce soutien de leurs proches et d'innombrables foyers à travers toute l'Ukraine, ils ne survivraient pas à l'hiver.

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« Chornee » (qui signifie « noir ») vient de la ville de Lugansk. Sa maison est désormais occupée par des séparatistes. La ligne de front est aujourd'hui son foyer.

Ces six derniers mois, ces gens se sont battus ensemble, ils ont vécu, mangé, et pleuré comme un seul homme. Pendant les moments de calme, ils se sont occupés en faisant du sport, en jouant aux échecs et en poursuivant l'entraînement.

À Tr'okhizbenka,des soldats s'occupent en jouant au volley.

Une fois, que vous vous faites à la brutalité de leur guerre, que vous vous habituez au fait qu'ils gardent tous une grenade à portée de main — version d'Europe de l'Est de la ceinture d'explosif du djihad — une fois que vous dépassez votre peur d'aller aux toilettes alors que des obus de tanks sifflent au-dessus de vos têtes, eh bien vous devenez le témoin de l'expression d'une forme de tendresse que l'on ne soupçonne pas dans ces conditions.

L'entrée de la caserne de Tr'okhizbenka.

Ces soldats sont tout à fait humains. Ils aiment la bonne bouffe, rire et partager des histoires du pays. Le service du thé est un moment privilégié où l'on discute de l'avenir.

Des soldats dorment encore au petit matin à Tr'okhizbenka.

On trouve ici des vétérans de presque toutes les guerres depuis l'invasion soviétique de l'Afghanistan, des anciens de conflits plus proches, des hooligans de clubs de foot venus de l'ouest de l'Ukraine. Il y a aussi des sans-abris venus de l'est ravagé par la guerre.

« Fox » (renard) a rejoint le commando dès le début du conflit. Comme beaucoup d'autres son idée c'est de devenir mercenaire une fois que la paix sera revenue dans l'est de l'Ukraine.

Follow Louis Dowse on Twitter: @DwseL