Santé

Des hommes nous parlent de la dernière fois où ils ont pleuré

« Les hommes de la prochaine génération pleureront à leur aise ; ils sauront communiquer correctement et n’auront pas honte de se donner la main. »
Quatre des jeunes hommes interviewés
Toutes les photos sont de l'auteure.

Le taux de suicide chez les jeunes européens est absolument inquiétant depuis plusieurs années. L’an dernier, au Royaume-Uni, l’Office national des statistiques a révélé que le nombre de suicides parmi les 10-24 ans était le plus élevé de ces 19 dernières années. Aux Pays-Bas, la situation est aussi critique. Une étude publiée récemment a révélé que le suicide est la première cause de décès parmi les jeunes néerlandais âgés entre 10 et 30 ans.

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Et une triste tendance semble se vérifier si l’on croise plusieurs statistiques autour du suicide : les garçons sont plus touchés que les filles. Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer cela. Certains avancent que les hommes sont plus enclins que les femmes à prendre des décisions radicales. Mais il y a également un aspect social à prendre en compte : les hommes ne s’ouvrent pas aussi facilement que les femmes sur leurs problèmes. Ils ont plus de difficultés à montrer leurs émotions ou à demander de l’aide lorsqu’ils en ont besoin. Pourtant, des études ont montré qu’un plus grand soutien émotionnel de la part des proches est l’un des meilleurs moyens de prévenir le suicide chez les hommes. 

Donc, pour en savoir plus sur la façon dont les jeunes hommes d’aujourd’hui gèrent leurs sentiments, j’ai décidé d’aller faire un tour dans la rue et de réunir quelques données empiriques. Je leur ai demandé de but en blanc : quand est-ce que vous avez cédé à vos émotions et que vous avez pleuré pour la dernière fois ?

Ash, Ben, Abdullah et Daniel, 28 ans tous les quatre

De gauche à droite : Ash, Ben, Abdullah et Daniel.

De gauche à droite : Ash, Ben, Abdullah et Daniel.

VICE : Quand est-ce que vous avez pleuré pour la dernière fois ?
Ash :
Ça doit être lorsque mon grand-père est décédé, il y a à peu près un an et demi. Il avait 75 ans et il vivait assez loin, mais on s’entendait vraiment bien. Il avait une tumeur maligne incurable qui le faisait souffrir, et c’était vraiment terrible de le voir comme ça.
Daniel : J’ai pleuré à la mort de mon chien. Je n’ai pas pleuré sur le coup, mais le lendemain, j’ai été emporté par l’émotion et je me suis effondré.
Ben : Dernièrement, c’est à la naissance de ma sœur. Mais c’était des larmes de joie.

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Quand vous pleurez, est-ce que vous vous autorisez consciemment à le faire ?
Ash :
Non, je n’y pense pas. Je ne vais pas essayer de me retenir. Mais je me retrouve rarement dans des situations où j’ai besoin de pleurer. Les femmes pleurent pour tout un tas de raisons, mais les hommes ne pleurent que pour des trucs importants. 

Tu ne pleures pas quand tu es déprimé ?
Ash :
C’est vraiment rare que je me sente déprimé. Mais quand je ne me sens pas bien, je ne ressens pas le besoin de pleurer. Je bouffe des cochonneries ou je passe un moment sur ma Xbox. En général, j’essaie de rester positif. Mais quand j’ai quelque chose qui ne passe pas, je vais plutôt en parler avec mes amis. Moins avec la famille. 

Tu penses que la société véhicule un état d’esprit qui pourrait empêcher les hommes de montrer leurs émotions ?
Abdullah :
Les hommes sont trop fiers pour montrer leurs émotions. C’est comme ça. Et clairement, ça ne ferait pas de mal que ça change.

Que devrait-il se passer ?
Abdullah :
Je crois qu’il faut du temps, mais que ça changera. On le voit déjà aujourd’hui. Regarde la communauté LGBTQ, par exemple. Les choses sont très différentes si on compare à ce que c’était quand on était petits. Je pense que les hommes de la prochaine génération pleureront à leur aise ; ils sauront communiquer correctement et n’auront pas honte de se donner la main.

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Tijmen et Daan, 18 ans tous les deux

De gauche à droite : Tijmen et Daan.

De gauche à droite : Tijmen et Daan.

VICE : Quand est-ce que vous avez pleuré pour la dernière fois ?
Tijmen :
Il y a deux semaines environ. J’étais avec mon père et on a reçu un coup de fil de l’école. Je ne vais pas pouvoir aller au bout de l’année scolaire. On se doutait que ça allait arriver. La charge de travail est vraiment importante et pas vraiment en adéquation avec mes capacités. Mais là, lorsque les choses ont été annoncées, qu’on a vraiment su que c’était mort, j’ai commencé à pleurer. Tout le travail que j’avais fourni, tout l’argent durement gagné que mon père avait mis là-dedans, tout ça pour rien…
Daan : Je discutais avec ma mère, il y a quelques semaines. C’était une conversation normale, je lui disais que j’avais l’impression qu’elle me traitait différemment de mon frère et ma sœur. Au bout du compte, on a pu avoir une véritable discussion sur le sujet, mais plus ça devenait profond, plus les émotions montaient, et finalement, j’ai versé une larme. Ça s’est arrêté aussi vite que ça a commencé. Et sur le coup, ma mère a vraiment apprécié que je montre mes émotions. Pour une fois. 

Vous vous sentez suffisamment en confiance avec vos amis pour leur dire ce que vous ressentez ?
Tijmen :
Je crois que oui, mais ça arrive rarement. Quand on est avec les copains, on veut s’amuser, passer des bons moments, et pas ressasser des trucs difficiles. On peut évoquer nos problèmes, mais après, c’est souvent : « Bon, on va boire un coup, ça ira mieux. » 

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Tu pleures avec qui, alors ?
Daan :
Je pleure tout seul. Ou avec ma copine, mais c’est rare. Je suis plutôt du genre à garder mes émotions pour moi.

Est-ce qu’il y a un endroit où tu peux parler de tes idées noires ?
Daan :
Non. Ou peut-être quand je les ai dépassées. Mais pas quand je bataille avec. Je ne veux pas faire chier les gens avec mes problèmes. Je veux les résoudre par moi-même, tout seul, et ne pas me mettre dans une position de vulnérabilité où j’aurais besoin des autres.

Jeremy, 24 ans

Jeremy

Jeremy

VICE : Quand est-ce que tu as pleuré pour la dernière fois ?
Il y a deux ans, j’ai quitté Singapour pour aller à la fac à Melbourne, en Australie. Du coup, j’ai dû quitter ma famille. Ils m’ont amené à l’aéroport, et pendant qu’on s’embrassait pour se dire au revoir, j’ai senti les larmes qui montaient. Alors j’ai serré les dents et j’ai attendu d’être tout seul. Après avoir passé les douanes, je me suis autorisé à pleurer.

Tu crois que c’est ce qu’on attendait de toi à cet instant ?
C’est peut-être lié à la culture asiatique, mais montrer ses émotions devant ses parents n’est pas considéré comme quelque chose de normal dans ma famille. Je sais que beaucoup de mes amis s’isolent quand ils veulent pleurer. Et moi aussi, je fais ça. Quand je suis triste, je m’isole et j’essaie de garder mes émotions sous contrôle. Ou alors je vais parler avec une personne de confiance, quelqu’un dont je sais qu’il ne me trahira pas.

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Et d’après toi, pourquoi tu agis comme ça ?
Je n’ai jamais vu mon père pleurer. Même pas aux enterrements. Ça vient peut-être de là.

Qu’est-ce que tu attends de la prochaine génération ?
Je crois que les gens acceptent de plus en plus le fait d’être vulnérables. Et la prochaine génération trouvera sans doute plus normal de voir un homme pleurer. Mais on n’y est pas encore. Certains de mes amis auront plus de facilités à partager un moment avec un étranger rencontré dans un café, ou ils iront chercher de l’aide sur le net plutôt que de se tourner vers un proche. Ils essaient de trouver un lieu sûr, où on ne va pas les juger.

Ajay, 22 ans

Ajay

Ajay

Quand est-ce que tu as pleuré pour la dernière fois ?
Il y a environ six mois. J’étais allé rendre visite à mon père, à New York. Il vit là-bas avec ma petite sœur qui a 18 ans. On a eu quelques petits soucis familiaux à cette période et, finalement, j’ai dû rentrer à la maison. C’était très dur pour moi de laisser ma sœur là-bas. Je me suis senti coupable parce que je suis son grand frère, et je ne peux pas prendre soin d’elle quand elle est si loin.

En général, tu as le sentiment que tu peux pleurer si tu en as besoin ?
Oui, mais je garde tout à l’intérieur quand je suis en famille. Quand je suis chez mon père à New York, par exemple, au moment de partir, quand on est sur le pas de la porte, je sens bien que d’une seconde à l’autre, quelqu’un peut commencer à pleurer. Comme je suis le grand frère, je ne veux pas être le premier à pleurer, parce que je sais que les autres suivront.

C’est une grosse responsabilité…
Ouais, mais c’est ça d’être le grand frère. Tu n’as pas envie d’être celui qui va ouvrir les vannes et commencer à pleurer devant tout le monde. C’est un rôle que j’ai décidé d’assumer parce que je veux protéger ma sœur.

Penses-tu qu’il y a une stigmatisation des hommes qui pleurent ?
Clairement. Mais j’ai aussi l’impression que c’est en train de changer. Le taux de suicide très élevé chez les hommes d’aujourd’hui est un véritable problème. Si les hommes peuvent s’ouvrir et exprimer leurs émotions, peut-être que ça permettra de lutter contre ce fléau. 

Tu crois qu’il devrait y avoir plus de lieux où l’on peut exprimer librement nos émotions ?
Ah oui. Bien sûr. Mais je crois aussi que chacun a ses lieux, ses espaces particuliers dans lesquels il se sent à l’aise pour exprimer ce qu’il ressent. Quand je me balade en caisse avec mes potes, c’est un moment où j’ai le sentiment de pouvoir rentrer dans des trucs plus personnels par rapport à des problèmes ou des souffrances que je ressens. En fait, je crois que les hommes n’ont pas de problème à exprimer leurs émotions s’ils sont avec des personnes en qui ils ont confiance. Mais personne n’a envie d’être celui qui pleure tout le temps. Si notre société, c’est-à-dire nous, veut supprimer cette stigmatisation des hommes qui pleurent, il faut montrer aux gens pourquoi c’est important. Et on doit aussi aider nos petits mecs, les jeunes garçons d’aujourd’hui, à comprendre leurs propres émotions.

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