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Crime

Pourquoi la tension est remontée dans le nord du Mali

Trois personnes ont été tuées mardi 25 janvier à Gao dans le nord du Mali, alors qu’un millier de manifestants faisait le siège d’une base militaire de la Minusma, la mission de maintien de la paix au Mali de l’ONU.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo de Malin Palm/Reuters

Trois personnes ont été tuées mardi 25 janvier à Gao dans le nord du Mali, alors qu'un millier de manifestants faisait le siège d'une base militaire de la Minusma (la mission de maintien de la paix au Mali de l'ONU). La population locale, présentée comme , accuse la Minusma de favoriser les Touaregs séparatistes, qui eux souhaitent créer un État indépendant au Nord-Mali. Des jeunes Maliens se seraient mobilisés suite à ce qui a été présenté comme une décision prise le weekend dernier par la Minusma, en collaboration avec les Touaregs, de créer une « zone temporaire de sécurité » à Tabankort, située à plus de 100 kilomètres de Gao. Cette décision obligerait les milices pro-Bamako à se désarmer.

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Lundi, une manifestation semblable avait déjà eu lieu, devant la base de la mission onusienne, sans faire de victimes. Le mardi, les protestataires ont commencé par jeter des cocktails Molotov et des pierres sur les hommes de la Minusma, en blessant deux d'entre eux. Après avoir fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser la foule, les casques bleus auraient tiré en l'air avant de paniquer et de faire feu sur la foule selon le scénario donné par une source militaire malienne citée par Reuters.

Contacté ce mercredi par VICE News, le porte-parole de la Minusma, Olivier Salgado, déclare que « selon nos informations, nos soldats n'ont pas tiré sur les manifestants. Nous cherchons à comprendre ce qui s'est passé. Pour cela nous avons déclenché une enquête dès hier soir. »

Un document de travail de la Minusma présenté comme accord définitif

Les heurts qui ont agité la ville de Gao mardi auraient été déclenchés par une information fausse selon laquelle un accord aurait été passé entre la Minusma et les Touaregs au cours du weekend, excluant les pro-gouvernement. Mardi 20 janvier, la Minusma a été prise pour cible dans la ville de Tabankort par les Touaregs. En réaction, la Minusma a bombardé un véhicule des forces rebelles pour mettre fin à l'attaque. Pour rétablir le calme dans la région, une négociation entre les différentes parties a été lancée par la Minusma. Une ébauche, a été présentée comme un document faisant état d'un accord officiel bilatéral entre Touaregs et la Minusma.

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« Il s'agissait donc d'un document de travail, non fini, que certains ont présenté comme un document officiel d'un accord définitif. Nous n'étions qu'au début du processus, donc loin d'un accord, » explique Olivier Salgado. Cet accord devait créer une zone temporaire de contrôle obligeant les milices armées présentes dans la régionà déposer les armes.

Le porte-parole de la Minusma assure que « les milices progouvernementales ont été consultées en premier lieu, avec les Touaregs, » pour trouver une solution et protéger les civils. « Ce document était en train de faire la navette diplomatique entre les différentes parties, avant d'être évalué par nos soins et ensuite être présenté au gouvernement, » détaille Salgado.

Ce vrai-faux accord aurait donc créé la confusion, laissant penser que la Minusma favorisait les Touaregs. Alain Antil, chercheur à l'Institut français des relations internationale (IFRI) et spécialiste du Sahel, doute de la « spontanéité » de la manifestation, laissant penser qu'une des parties a pu vouloir envoyer un message à la Minusma, exprimer un désaccord dans sa manière de mener les négociations. Salgado assure qu'il n'y avait « aucune intention de cacher quoi que ce soit à qui que ce soit. »

Un Nord-Mali sous pression

« Le nombre d'acteurs présents au Nord-Mali rend la situation très complexe, » nous confie Alain Antil. En 2012, des groupes islamistes — principalement AQMI et Ansar Dine — avaient réussi à prendre le contrôle de nombreuses villes dans la région avec pour but d'établir un État théocratique, ce qui avait entrainé le déploiement des forces françaises dans le cadre de l'opération Serval dès janvier 2013. Antil explique que « ces groupes salafistes islamistes sont encore présents dans le nord du Mali mais n'ont plus les capacités de prendre le pouvoir comme cela put être le cas en 2012, affaiblis par l'action française. »

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Les Touaregs prônent de leur côté l'indépendance de l'Azawad, le nom qu'ils donnent au Nord-Mali et sont établis surtout au nord de la ville de Tombouctou. L'armée malienne est « très fragile, elle est donc soutenue par trois milices progouvernementales que sont la Gatia, le MAA-Bamako et les CMFPR qui roulent clairement pour Bamako, » nous explique le spécialiste du Sahel. « Ces milices sont chargées de suppléer les faiblesses de l'armée régulière malienne, » conclut Antil.

Forces pro-Bamako et rebelles Touaregs s'affrontent régulièrement. Dans la nuit de mardi à mercredi, le Gatia a revendiqué une attaque à 200 kilomètres au nord de Gao qui aurait fait une dizaine de morts côté Touaregs.

La Minusma dans le viseur

La Minusma a récupéré la mission de maintien de l'ordre au Nord-Mali à la fin de l'opération Serval, lancée par la France en janvier 2013. En juillet 2014, un dispositif baptisé Barkhane qui couvre toute la région du Sahel donne suite à l'opération Serval, en réduisant le nombre de militaires français déployés au Mali. Alain Antil explique que la « Minusma est une opération classique de l'ONU dont la mission est principalement d'assurer la sécurité dans les villes et sur les grands axes. Elle n'a pas vocation à attaquer des positions, mais simplement répondre à des attaques pour se défendre. »

Alain Antil rappelle que « depuis quelques mois on reprochait, notamment côté français, à la Minusma de ne pas être assez proactive. Son rôle va s'affirmer de plus en plus, notamment parce que les forces françaises s'amenuisent sur place. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray