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Crime

« On va mettre le feu dans tout le pays » : l’histoire de l’incendie qui a mené à la création de la milice armée de l’Oregon

L'occupation d'un refuge de l'Oregon par des miliciens armés a été déclenchée par une affaire qui remonte à 2001, quand deux éleveurs ont mis le feu à 56 hectares de forêt.
Ammon Bundy, après s'être adressé aux médias au Malheur National Wildlife Refuge près de Burns dans l'Oregon. (Photo de Jim Urquhart/Reuters)

Depuis quatre jours, des miliciens armés occupent un parc naturel de l'État de l'Oregon, au nord-ouest des États-Unis. L'occupation du parc a commencé comme une manifestation de soutien à deux éleveurs de la région, inculpés dans une affaire vieille de presque quinze ans.

Dwight Hammond et son fils Steven sont accusés d'avoir déclenché en 2001 un incendie qui a ravagé environ 60 hectares de terres fédérales. Depuis ce lundi, ces deux éleveurs sont derrière les barreaux d'une prison fédérale.

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Selon le Département de la Justice américain, le père et le fils se seraient attirés les foudres du gouvernement pour des activités de braconnages sur des terres fédérales en bordure de leur propriété, dans une zone reculée de l'est de l'Oregon. Dwight et Steven Hammond se seraient adonnés à « une partie de chasse illégale, » durant laquelle ils auraient « illégalement abattu plusieurs cerfs. »

Selon un document officiel, déposé par le gouvernement auprès de la Cour Suprême en février 2014, un responsable régional du Bureau de Gestion du Territoire (Bureau of Land Management — BLM) aurait tenté de signaler l'infraction au fils, qui se serait alors « jeté dans la broussaille pour se cacher. »

Le responsable régional a également affirmé être par la suite tombé nez à nez avec quatre hommes armés de fusils de chasse. « Troublé » par la situation — à ses yeux dangereuse — il aurait été forcé de rebrousser chemin.

C'est alors que Steven, le fils Hammond, aurait distribué des boîtes d'allumettes à ses amis chasseurs. « On va mettre le feu à tout le pays, » aurait dit l'éleveur, qui est aujourd'hui âgé de 46 ans. Il aurait même donné une boîte d'allumettes à son neveu, Dusty Hammond, alors âgé de 13 ans.

Steven aurait dit à Dusty de déposer des allumettes allumées le long de la clôture séparant les terres fédérales de la propriété Hammond, et ce, jusqu'à ce qu'il « n'y en ait plus. »

Dusty a raconté aux enquêteurs qu'il avait obéi aux ordres de son oncle, et laissé une traînée d'allumettes incandescentes dans l'herbe. Encerclé par des flammes de deux à trois mètres de haut, l'adolescent a craint d'être « brûlé vif. » Si Dusty a finalement réussi à s'échapper, l'incendie a ravagé environ 60 hectares de terres.

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Steven Hammond & Father Dwight Charged As TERRORISTS To 5 YEARS Prisonhttps://t.co/8wWWPslQGt#OregonUnderAttack pic.twitter.com/jYQcx3ySyy

— Ministry Of Truth ?? (@USABillOfRights) January 3, 2016

En 2012, père et fils ont été reconnus coupables de l'incendie ainsi que d'un autre feu de brousse déclenché en 2006 dans le Malheur Wildlife Refuge — un parc naturel de l'Oregon. Estimant la peine minimale obligatoire de cinq ans trop sévère, le juge a condamné Steven à un an de prison. Son père Dwight, alors âgé de 73 ans, a écopé de 3 mois d'emprisonnement.

Mais une cour d'appel en a décidé autrement, et ce lundi, père et fils ont dû se présenter à une prison fédérale de Californie pour purger le reste de leur peine, conformément à la loi.

Alan Schroeder, l'avocat des Hammond, n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien.

Ammon et Ryan Bundy entrent en scène

C'est alors qu'entrent en scène Ammon et Ryan Bundy, les fils de Cliven Bundy, un agriculteur du Nevada voisin qui refuse depuis 20 ans de verser des droits de pâturage au gouvernement américain et qui mène son propre combat obstiné contre le BLM. En 2014, Bundy et une milice armée de ses sympathisants ont affronté les forces de l'ordre dans le Nevada.

Pour les fils Bundy, la famille Hammond est elle aussi victime de l'ingérence gouvernementale. En novembre, Ammon aurait écrit dans un email que la famille Hammond avait été « malmenée et maltraitée par le gouvernement fédéral » au cours des dix dernières années. « Aujourd'hui, on les accuse de terrorisme et ils ont été condamnés à cinq ans de prison. Pourquoi ? Pour avoir utilisé leur ranch, » poursuit-il.

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Le conflit, qui oppose aujourd'hui la puissante famille Hammond (qui possède près de 5 000 hectares de terres d'élevage dans la région) et les agents du BLM, a commencé il y a près de 30 ans, lorsque les éleveurs ont envoyé leur bétail en pâture sur la réserve naturelle de Malheur.

Certains éleveurs estiment qu'ils ont le droit d'utiliser les terres fédérales comme pâturage — une revendication qui a donné naissance à un mouvement contestataire nommé « rébellion du Sagebrush. »

En 1994, Dwight et Steven Hammond avaient tous deux été reconnus coupables d'avoir « perturbé et interféré » avec la mission des employés gouvernementaux, après avoir tenté de freiner la construction d'une clôture autour de la réserve naturelle. Selon le journal High Country News, le père aurait menacé de mort le responsable de la réserve naturelle à quatre reprises entre 1986 et 1994.

Mais après une campagne de soutien aux deux éleveurs — dont une lettre adressée au Secrétaire de l'Intérieur par un membre du Congrès — le chef d'inculpation a été réduit à celui de simple « délit ».

Ammon Bundy a décrit le parc naturel comme « un outil de tyrannie » utilisé pour asservir la famille Hammond. Il a également appelé tous « les patriotes » à rejoindre l'occupation et à « se tenir prêts. » En effet, depuis quatre jours, des hommes armés de fusils d'assauts et vêtus de tenues militaires occupent les locaux du siège du parc.

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Si l'attention des médias s'est surtout portée sur l'occupation — qui a débuté samedi à la suite d'une manifestation dans la ville de Burns — il est important de comprendre les ramifications de l'affaire. Accusés d'avoir déclenché plusieurs incendies criminels, les Hammond prétendent avoir allumé les feux pour empêcher la propagation des mauvaises herbes et des plantes invasives sur leurs terres.

Mais les procureurs fédéraux décrivent une version assez différente des faits. Selon eux, les éleveurs ont tenté à plusieurs reprises de dissimuler leurs activités criminelles, qui ont mis en danger non seulement les pompiers et les fonctionnaires de la région, mais également les habitants.

Lorsque Dusty est rentré au ranch, ses oncles Dwight et Steven lui auraient dit de « tenir sa langue » au sujet des feux. Plus tard, Steven a appelé le BLM pour signaler un « brûlage dirigé » des terres à des fins préventives. Ils ont par la suite prétendu n'avoir aucun lien avec l'incendie, avant de se rétracter et d'affirmer qu'ils avaient reçu l'autorisation officielle nécessaire pour procéder au brûlage.

Selon la revue spécialisée Tri-State Livestock News, Susan Hammond, la femme de Dwight, a expliqué qu'avant tout brûlage, la famille contacte « le service inter-agence responsable des feux […] afin de s'assurer que personne n'est dans la zone et que les conditions météorologiques sont favorables. »

« Ils ont appelé et on leur a donné la permission d'allumer le feu, » a dit Susan, ajoutant que le BLM aurait signalé à son fils qu'un autre brûlage dirigé aurait lieu ce jour-là. Selon le Tri-State Livestock News, le procès-verbal d'enquête confirme que cette conversation téléphonique a bel et bien eu lieu.

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Un autre départ de feu en 2006

Le père et fils Hammond ont également été reconnus coupables d'avoir déclenché en août 2006 un incendie sur des terres fédérales près de leur ranch. Selon la police, l'un des pompiers aurait remarqué une rangée de trois petits brasiers, « ce qui n'est pas caractéristique d'un feu de brousse. » L'incendie s'est propagé rapidement et a fini par détruire un demi-hectare de végétation.

Steven Hammond aurait alors admis au responsable du BLM qu'il avait allumé les feux « afin de protéger sa propriété contre les feux de brousse. » Lorsque le responsable a expliqué au fils Hammond qu'il n'avait pas le droit de procéder de la sorte et qu'il avait mis en danger la vie des pompiers, Steven se serait « énervé » et aurait dit au responsable du BLM « de se casser. »

Dwight and Steve Hammond walk into federal prison — Richard Winton (@LAcrimes)January 4, 2016

Le lendemain, deux pompiers auraient repéré Steven en train de conduire sur les terres fédérales. Quelques instants plus tard, ils ont trouvé plusieurs « feux suspects » dans les environs, et ont vu Dwight Hammond s'éloigner d'un feu qui avait l'air d'avoir été tout juste allumé. Le père Hammond aurait alors tenté de fuir avant d'être rattrapé par un responsable du parc, qui lui aurait indiqué que la montagne « grouillait de monde » qu'il « finirait par tuer quelqu'un. » Le responsable du parc a finalement été forcé de quitter les lieux devant l'avancée des flammes. Par la suite, il aurait subi des pressions de la part des éleveurs pour ne pas rapporter l'incident.

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Dans un entretien avec le Tri-State Livestock News, Susan Hammond affirme que Steven a allumé un feu en 2006 pour protéger la propriété contre le feu de brousse qui faisait rage dans le parc. « Ils étaient entourés de feux qui auraient brûlé notre maison et tous nos arbres et tout, » explique-t-elle. « Ils ont eu l'opportunité de créer un retour de flammes et ça a marché. Ça a protégé une grande partie des terres contre l'incendie. »

Les Hammond auraient joué avec le feu à maintes reprises. Ils auraient notamment déclenché un incendie majeur surnommé « le grand-père » qui a dévasté près de 20 000 hectares de terres. Accusés au départ d'incendies criminels, de complot et d'avoir soudoyé des témoins, les deux éleveurs ont finalement reconnu leur implication dans deux incendies seulement, après que le jury ne parvienne pas à se mettre d'accord sur un verdict.

Au moment de prononcer la condamnation, le juge a dit que la peine de 5 ans était « choquante » et qu'elle « ne répondait pas à son idée de la justice. »

De nombreux sympathisants de la famille Hammond — y compris les frères Bundy — se sont indignés du fait que les deux éleveurs aient été inculpés en vertu de la loi sur l'antiterrorisme et sur la peine de mort, introduite en 1996.

La question terroriste

La question terroriste a également soulevé une vive polémique sur les réseaux sociaux. En effet, de nombreux internautes ont appelé les médias à qualifier de terroristes les miliciens de la bande à Bundy.

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D'autres ont accusé le BLM de provoquer lui-même des incendies ayant touché des propriétés privées, et ont rappelé que le brûlage contrôlé est une pratique répandue et efficace pour empêcher les feux de brousse.

Mais la guerre entre les éleveurs et le gouvernement ne manque pas d'arguments et ne s'en tient pas qu'aux incendies. Le droit au pâturage est également une revendication majeure pour les éleveurs du camp Bundy.

Les frères Bundy et leurs associés accusent le gouvernement d'avoir une attitude surprotectrice pour ce qui est des terres fédérales, et estiment que s'acharner injustement contre la famille Hammond est injuste.

Ammon Bundy a affirmé récemment que l'occupation continuerait jusqu'à ce que le gouvernement rende la forêt aux éleveurs, aux bûcherons et aux mineurs pour une exploitation commerciale.

« Nous prévoyons de rester ici des années, absolument, » a-t-il déclaré ce week-end au quotidien The Oregonian. « Ce n'est pas une décision de dernière minute. » Bundy aurait également dit être prêt à « tuer ou être tué » si le gouvernement essaye de leur faire quitter les locaux par la force.

Mais malgré ces menaces, la confrontation ne semble pas prête à basculer de sitôt dans la violence. Environ 20 militants occupent actuellement le bâtiment, et pour l'instant, la police semble laisser circuler les manifestants à leur guise.

L'avocat de la famille Hammond a rappelé au shérif du coin que les Bundy ne sont en aucun cas les porte-paroles de ses clients. Il aurait également fait savoir que ses clients ont prévu de demander au président Barack Obama de les gracier.

Suivez Keegan Hamilton sur Twitter : @keegan_hamilton