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Trump, un an après

Trump a-t-il changé la France ?

« L’opinion française a redécouvert des États-Unis conservateurs, à majorité blanche et très religieux »
Pierre Longeray
Paris, FR
Une sculpture représentant Donald Trump en prévision du Carnaval de Nice, le 26 janvier 2017. REUTERS/Eric Gaillard

Voilà un an que Donald Trump a placé sa petite main sur les deux bibles tenues par sa femme Melania, sous le ciel laiteux de Washington D.C., pour devenir le 45e président des États-Unis. À l’heure d’un premier bilan, il est le président qui a le plus tweeté et joué au golf, mais aussi le plus impopulaire. Grâce à d’innombrables sorties nauséabondes, l’ancien magnat de l’immobilier et star de téléréalité, a réussi à se brouiller avec une bonne partie de ses concitoyens et de la planète. Pour constater l'étendue des dégâts, on vous conseille d'ailleurs le visionnage du documentaire « America First », diffusé sur la chaîne Viceland.

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En tout cas, depuis la France, son élection a été vécue comme un choc – laissant craindre le pire avec les présidentielles françaises qui arrivaient à grands pas. Qu’en est-il un an plus tard ? Retour sur une année Trump vue de France avec Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaine et auteur de plusieurs notes sur la présidence Trump pour le compte de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

VICE : Après l’élection de Donald Trump, quelles ont été les conséquences concrètes sur la politique française ?
Corentin Sellin : Pour cela, il faut distinguer deux périodes de l’année. Lors du premier trimestre, on a bien senti l’élan de l’élection surprise de Trump, porté par un discours anti-système et anti-élites, qui semblait triomphant après le Brexit. À l’époque, Marine Le Pen avait fait le choix de l’imitation de Trump, notamment en mêlant les questions identitaires et économiques. Comme Trump, la candidate du Front national essayait de défendre la classe ouvrière blanche en la présentant comme victime d’une mondialisation dérégulée.

Mais l’échec de Le Pen a coupé net cette stratégie en milieu d’année. Cela a montré que la méthode Trump était très difficile à dupliquer à cause de la dimension religieuse, qui n’existe pas en France, pays beaucoup plus sécularisé. Dans une certaine mesure, l’échec de Le Pen, comme les difficultés du Brexit, montrent qu’il est très compliqué d’imiter et d’importer la méthode Trump. Il y a toujours cette tentation dans le discours – anti-médias et anti-élites – mais sur les mesures concrètes, il est très compliqué de le transposer dans un autre pays.

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Sur le plan diplomatique, comment ont évolué les relations franco-américaines depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?
Sur les aspects fondamentaux, on ne peut pas dire que la relation franco états-unienne a beaucoup changé. En revanche, elle a été remodelée dans la forme, du fait des relations qu’entretiennent Trump et Macron. On voit bien comment le président Macron a cherché à jouer la différenciation à l’échelle internationale par rapport à Trump. Cela s’est ressenti lors de la visite officielle du président américain à Paris, pour le 14 juillet. Le président Macron a marqué sa différence en présence de Trump sur les dossiers globaux – notamment sur la question du climat – mais dans une ambiance plutôt détendue et chaleureuse.

Les relations entre les deux pays n’en ont pas pâti. Il s’agit là bien d’une stratégie française. Le jeune président Macron a cherché à se faire connaître sur la scène internationale en disant « Moi je suis tout ce que Trump n’est pas : je suis jeune, je suis dans la globalisation et je m’oppose à lui. » On peut dire qu’il s’est servi de Trump comme d’un marchepied médiatique pour se faire connaître à l’étranger.

On pouvait pourtant s’attendre au pire avec les déclarations de Trump sur l’avenir de l’OTAN lors de la campagne américaine…
En effet, certains craignaient que l’arrivée de Donald Trump affecte l’OTAN, l’organisation de défense menée par les États-Unis, qui assume depuis la Guerre froide une grande partie de la défense européenne. Pendant la campagne, Trump disait que l’OTAN coûtait cher et était une organisation obsolète. S’il avait mis en application ses menaces, cela aurait pu affecter durablement la relation franco-américaine. Mais le président américain a depuis déclaré que l’OTAN était une organisation fondamentale dans la stratégie américaine. Donc, la France continue dans sa lancée, à savoir : être le meilleur second des États-Unis dans l’OTAN, à la place du Royaume-Uni.

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Et sur le plan économique, l’arrivée de Trump eu un impact ?
C’est « business as usual ». Il n’y a pas de raison que les relations entre les entreprises françaises et états-uniennes changent en fonction du président. Trump n’a modifié en rien le fonctionnement du capitalisme américain – bien au contraire même, puisqu’il cherche à le déréguler de plus en plus.

Avec l’élection de Trump, est-ce que les Français ne découvrent pas simplement une autre composante des États-Unis ?
Bien sûr. Ils découvrent une Amérique qui est moins reliée au monde, plus rurale, et qui a élu Trump. L’opinion française a redécouvert des États-Unis conservateurs, à majorité blanche, très religieux et qui ne correspondent pas à l’image qu’on se fait de l’Amérique en France. De manière très renforcée, on retrouve ce qu’on avait connu au moment de la présidence Bush et de la fâcherie sur l’Irak. À cette époque, l’incompréhension était surtout du côté de l’opinion américaine, qui estimait que les Français avaient lâché les États-Unis. Aujourd’hui, c’est plutôt du côté français qu’on retrouve cette incompréhension. On avait l’image des États-Unis champions de la mondialisation heureuse incarnée par Obama, dans un monde métissé et pluriethnique. Puis tout à coup, on se retrouve avec un président nationaliste, identitaire, ce qui crée une incompréhension forte de la majorité de l’opinion française.

Début janvier, Trump s’est brouillé avec un bon nombre de pays en les qualifiant de « pays de merde ». S’il venait à s'en prendre à la France, est-ce que les relations pourraient se dégrader ?
Il faut se souvenir qu’il l’a déjà fait pendant la campagne, notamment sur la question du terrorisme. Mais étrangement depuis qu’il est président, il n’a pas recommencé. Il n’a pas remis en cause l’attitude de la France face à l’immigration et son supposé laxisme sécuritaire pour expliquer les attentats. En revanche, il s’en est pris à un pays : la Grande-Bretagne, là aussi à propos du terrorisme. Et cela a eu des effets concrets, cela a terni la relation entre les deux pays, menant même à l’annulation d’une visite officielle. Si Trump semble mieux s’entendre avec Macron qu’avec Theresa May, la Première ministre britannique, nous ne sommes pas à l’abri de vivre nous aussi ce type de scénario.

America First, documentaire diffusé les 22 et 23 janvier 2018, sur la chaîne Viceland, disponible dans les offres Canal.