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VICE News

Pas de panique, le clavier AZERTY ne va pas disparaître

Plusieurs quotidiens français avaient annoncé la disparition de ce keymap sur décision ministérielle.
Pierre Longeray
Paris, FR

Si les processeurs, écrans, disques durs ou autres cartes graphiques ont sensiblement évolué au fil du temps, il y a bien un composant indispensable de nos ordinateurs qui n'a pas bougé depuis les débuts de l'informatique : le clavier et son keymap (c'est-à-dire la disposition des touches) — et cela est d'autant plus vrai pour le clavier utilisé en France, l'AZERTY.

Ce mercredi, plusieurs quotidiens français ont annoncé la disparition de ce keymap sur décision ministérielle, ce qui a obligé la ministre de la Culture à faire un démenti à la télévision le soir même. Le clavier des Français ne va pas changer, en revanche il va évoluer pour mieux coller aux particularités d'une langue qui fait la part belle aux accents, cédilles, et autres caractères spéciaux que l'on va souvent chercher d'un grand écart avec les doigts.

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En ce début de janvier 2016 — soit plus d'un siècle après l'apparition de l'AZERTY sur les machines à écrire — le gouvernement français réfléchit donc à faire évoluer ce clavier en suivant les recommandations faites la semaine dernière par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui dépend du ministère de la Culture et de la Communication.

Pour le ministère il y a urgence à faire évoluer le clavier AZERTY, puisque d'après l'institution « Il est presque impossible d'écrire en français correctement avec un clavier commercialisé en France. »

Ainsi, le ministère a pour projet de créer une norme française pour les claviers informatiques d'ici l'été 2016, en sollicitant l'aide de l'AFNOR (l'Association Française de Normalisation), qui sera chargée de réfléchir à des arrangements pour la disposition des touches actuelles. Grâce à ces changements, il sera alors possible de faire des majuscules accentuées ou de capitaliser un « C cédille » sans jouer au contorsionniste digital.

« Il y a des règles pour le français, mais nous n'avons pas à notre disposition les outils pour les respecter, » explique ce jeudi à VICE News, Philippe Magnabosco, chef de projet à l'AFNOR. « Cela peut être des choses très simples, comme les personnes qui ont un nom de famille qui se finit par « é » qui se trouve souvent remplacé par un simple « E » quand il est écrit en majuscules. »

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Dissiper les craintes

Ce mercredi, Le Parisien écrivait que le gouvernement réfléchissait « sérieusement à remiser ce clavier [l'AZERTY] », auquel tout le monde est habitué dans le pays, alors que Le Figaro titrait « Le clavier AZERTY pourrait être bientôt remplacé ». La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, s'est donc rendue sur le plateau d'iTélé en fin de journée afin de dissiper les inquiétudes et préciser son projet.

« Il n'est pas question évidemment de changer le clavier AZERTY comme j'ai pu le lire ici ou là, mais simplement d'améliorer quelques fonctionnalités » a assuré la ministre. « Il y a des travaux qui ont été engagés […] dans un certain nombre de pays francophones, pour combler un certain nombre de lacunes sur les claviers AZERTY. »

Par exemple en Belgique (seul autre pays où l'on utilise aussi l'AZERTY), les claviers possèdent les deux accents, grave et aigu, sur les deux dernières touches de droite de la troisième rangée en partant du bas — ce qui permet de les apposer sur n'importe quelle voyelle, comme c'est le cas pour l'accent circonflexe. Les Québécois de leur côté utilisent eux un clavier QWERTY, comme il est de coutume en Amérique du Nord, mais qu'ils ont adapté aux contraintes de la langue française. Il est notamment possible de faire facilement des majuscules accentuées ou des « Ç » capitalisés.

Un clavier canadien (via Wikimedia Commons)

Comme la ministre, Philippe Magnabosco se veut aussi rassurant, « Il ne s'agit pas de révolutionner le clavier AZERTY », mais simplement d'effectuer un changement à moindre coût. Il s'agirait par exemple de noter sur les touches comment il est possible de faire un « é » majuscule, « ce que la plupart des gens ne savent pas faire, » indique le chef de projet.

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L'idée du ministère avec cette évolution de l'AZERTY est aussi de permettre l'utilisation des « langues présentes sur notre territoire, que ce soit des langues régionales [NDLR, comme l'occitan, le catalan, les langues polynésiennes ou le breton], des langues étrangères, étant donné que ces langues comportent des spécificités qui devraient être prises en compte ».

En 2003, une association bretonne avait justement créé un clavier breton pour coller au mieux au vocable de cette langue régionale. Le clavier compte notamment la lettre « C'H » utilisée en breton, qui se prononce comme le « ch » allemand.

D'où viennent QWERTY, AZERTY, ZHJAY, Dvorak et BÉPO ?

On situe à la fin du XIXe siècle l'apparition de l'AZERTY, qui n'est autre qu'une adaptation du QWERTY (utilisé dans le monde anglo-saxon) breveté lui en 1873. À cette époque, point d'ordinateur mais des machines à écrire.

Les touches des premières machines à écrire suivaient l'ordre alphabétique. Mais l'inventeur de ces objets, Christopher Latham Sholes, décide ensuite d'organiser les touches différemment, pour éviter que les petits marteaux correspondant aux lettres ne se chevauchent quand on tape trop rapidement. Sholes décide alors d'éloigner le plus possible les lettres les plus utilisées de la langue anglaise — ce qui donne naissance au QWERTY.

La disposition AZERTY répond aux mêmes contraintes, mais pour la langue française. Ainsi, l'AZERTY devient un « standard par habitude » en France, selon Magnabosco, sans qu'une norme soit adoptée.

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Si la disposition des touches dépend uniquement d'un problème technique lié aux machines à écrire pourquoi a-t-on continué à utiliser ce plan de codage clavier (ou « keymap ») avec les ordinateurs ? Personne ne semble avoir vraiment trouvé de raison à cela, à part sans doute l'habitude.

En 1907, la commission Albert Navarre avait mis en place une norme de disposition de touches de clavier baptisée ZHJAY, qui permettrait de sortir de l'AZERTY. Mais personne ne s'est converti au ZHJAY, les secrétaires de l'époque étaient déjà trop habitués à l'AZERTY.

Dans les années 1930, August Dvorak et William Dealey tentent à leur tour de révolutionner le petit monde du clavier en proposant une alternative au QWERTY : ils appellent cette nouvelle disposition de touches, le Dvorak. Cette disposition est censée permettre d'offrir plus de confort à celui qui tape, après avoir étudié la fréquence d'apparition des lettres dans la langue anglaise.

Le Dvorak (via Wikimedia Commons)

Le Dvorak a par la suite été adapté pour répondre aux besoins de la langue française et a donné naissance au BÉPO, qui compte toujours aujourd'hui quelques aficionados. Le BÉPO permet notamment de se servir autant de sa main gauche que de la droite, d'être plus fluide et donc plus rapide selon le site bepo.fr.

Le chef de projet de l'AFNOR nous a dit que les créateurs du BÉPO participent à leur groupe de travail, mais il assure que le nouveau clavier ressemblera beaucoup au clavier AZERTY que l'on connaît. « Il s'agit simplement de donner aux gens des possibilités qu'ils n'ont pas, » explique Magnabosco. « On veut quelque chose qui marche, donc en quelque sorte un clavier AZERTY avec un petit plus. » Les premières pistes seront connues cet été.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray