FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

À la conférence de l'ONU sur les drogues : les drôles de stands des pays les plus sévères en matière de stupéfiants

Cette semaine, se tenait à Vienne la conférence annuelle de l'ONU sur les stupéfiants, où l'Iran, la Russie ou encore l'Arabie saoudite faisaient une démonstration de leurs politiques rigoristes pour lutter contre la drogue.
Des photos du stand russe. (Photo de Samuel Oakford/VICE News)

Les pays avec les lois les plus sévères en matière de lutte contre la drogue font cette semaine une grande démonstration de leurs politiques antidrogue, à Vienne, dans le cadre de la conférence annuelle des Nations unies sur les stupéfiants.

Plusieurs nations connues pour exécuter à tour de bras des trafiquants de drogue ont installé leurs stands dans un grand hall circulaire, au milieu duquel les conférenciers de la Commission onusienne sur les stupéfiants sont obligés de passer pour se rendre en session.

Publicité

On y trouve des photos de montagnes de drogue qui partent en fumée, mais aussi des petites enceintes portatives qui diffusent des messages antidrogue. Au milieu du hall, trône une tente, où les invités sirotent du café tout en discutant de l'importance de tuer les trafiquants de drogue.

Le stand de l'Iran met en avant ses méthodes pour faire baisser les trafics et la consommation de drogue, sans mentionner les exécutions de trafiquants. Un fascicule clame que plus de 420 000 Iraniens ont reçu en 2015 un traitement à base de méthadone (un substitut pour les accros aux opioïdes). 76 000 autres auraient reçu un traitement à la buprenorphine (un autre substitut) et 40 000 Iraniens ont suivi un programme de désintoxication. L'Iran est l'un des pays avec le plus fort taux de consommateurs de drogue rapporté à la population totale. L'opium et l'héroïne y sont largement consommées. Des experts estiment que les options thérapeutiques proposées dans le pays sont en avance sur le reste de la région, mais déplorent les massacres à visée politique de centaines de trafiquants de drogue. Ceux-ci sont souvent issus de milieux défavorisés et n'ont donc pas les moyens de se défendre sur le terrain juridique.

Cette semaine on pouvait croiser Farhad Jalali sur le stand de l'Iran. Jalali travaille pour une agence gouvernementale iranienne qui s'occupe d'accros à la drogue et de prisonniers. Il admet que certains trafiquants n'auraient pas dû être exécutés. « En réalité, en Iran, tout est lié à la politique, » se lamente Jalali, qui ajoute que les exécutions font oublier à la communauté internationale que l'Iran est pleinement impliqué dans les programmes de désintoxication.

Publicité

L'ONU a financé pendant de nombreuses années les efforts du pays pour faire baisser la consommation et les trafics de drogue. Récemment, l'ONU et l'Iran ont signé un deal pour 20 millions de dollars. Mais les États membres hésitent désormais à fournir ces financements — de peur d'être associés aux exécutions iraniennes.

En passant dans le hall, Jalali s'arrête sur la tente centrale qui a été montée par le Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont l'Arabie saoudite fait partie. L'Iran et l'Arabie saoudite sont les deux grands adversaires du Moyen-Orient. Près de la tente du CCG, on peut voir des photos d'impressionnantes saisies de Captagon par les autorités saoudiennes. « En Arabie saoudite, ils ont la même loi, » fait remarquer Jalali, ajoutant que les politiques antidrogue iraniennes sont meilleures parce qu'elles intègrent la désintoxication — contrairement aux pays du Golfe.

La tente du Conseil de Coopération du Golfe, où les invités peuvent boire un café en discutant de l'importance d'exécuter les trafiquants de drogue. (Photo de Samuel Oakford/VICE News)

À l'intérieur de la tente du CCG, on retrouve assis sur une banquette Saeed Musleh, un officiel du Centre d'Information Criminelle contre le Trafic de Drogue du CCG, basé à Doha. Alors que les invités entrent dans la tente, Musleh leur propose d'appétissantes dattes disposées sur une table. Autour d'un café, Musleh (qui est originaire du Bahreïn) défend la peine de mort. « Si vous enlevez la peine de mort, qui gagne ? » demande-t-il de manière rhétorique. « Ce sont les trafiquants qui gagnent ! »

« Si on les met en prison, nous allons dépenser tout cet argent pour lui [le trafiquant de drogue], » explique Musleh, alors qu'un employé de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) jetait un coup d'oeil dans la tente. (L'ONUODC vend un logiciel au CCG pour pister les criminels.) « Ils tuent nos jeunes, » ajoute Musleh.

Publicité

Avec la tente du CCG, le stand de Singapour sort aussi du lot dans le hall viennois. Lors de son allocution devant les États membres, le représentant de Singapour s'est déclaré contre les programmes de réductions des risques ("harm-reduction"). Sur le stand, de souriants officiels distribuaient des cartes sonores qui répétaient à l'envi « Dites non à la drogue ». On peut aussi trouver sur le stand un ensemble de 6 cartes postales qui apparaissaient joyeuses au premier abord. « Fiona le Caméléon pouvait changer de couleur en fonction de son environnement, » commence l'une des cartes. « Mais une fois qu'elle a commencé à prendre de la « ice », sa vie pleine de couleur était finie, » conclut la carte, faisant référence à la meth.

D'autres animaux connaissent le même sort sur les autres cartes. La mère de Kenny le Kangourou lui avait dit que « le cannabis est très mauvais ». Mais, « Kenny ne l'a pas écouté. Et maintenant, il n'est pas content. » Nash le Chat a ruiné sa vie en fumant de la weed, pendant que JoAnn la Poule a mis sa vie en l'air à cause de la meth, comme Fiona. Mark le Lapin et Rick le Rat n'ont pas réussi à arrêter la dope, et la police « a emmené le rat ». Sur un écran de télé, est diffusé le portrait dramatique d'une jeune fille. Elle se dispute avec ses parents, claque la porte de sa chambre, puis se tourne vers la drogue.

Singapour est un des pays avec les lois antidrogue les plus strictes au monde. La ville État asiatique est connue pour exécuter nombre d'individus qui violent la réglementation en matière de drogue — même si depuis quelques années, les peines sont souvent un peu moins sévères. Francisco Junior Rockey, un membre du ministère de l'Intérieur singapourien explique que la peine de mort « fait partie d'une approche plus large ». Leur campagne contre l'usage de stupéfiants met en avant l'acteur Jackie Chan, qui est devenu un ambassadeur antidrogue suite à l'emprisonnement de son fils en Chine — coupable d'avoir de la drogue sur lui.

Publicité

La Thaïlande et le Pakistan, qui exécutent ceux qui violent leurs lois antidrogue, sont aussi représentés dans le hall. Le seul stand qui ne met pas en avant sa politique antidrogue est celui du Pérou. Les Péruviens ont eux fait le choix de promouvoir leurs industries locales comme le celles du chocolat et du café — deux cultures qui sont présentées comme une alternative à la culture de la coca.

L'acteur Jackie Chan est devenu un ambassadeur antidrogue suite à l'emprisonnement de son fils en Chine — coupable d'avoir de la drogue sur lui. (Photo de Samuel Oakford/VICE News)

Le stand de la Russie est l'un des plus modestes. Personne ne se presse pour observer les photos illustrant leur guerre contre la drogue. Mais si les officiels russes ne sont pas présents sur le stand, ils cravachent dans les salles de négociations — où ils s'acharnent à « bloquer toute avancée » d'après un diplomate.

Le diplomate fait référence aux négociations sur un texte que l'Assemblé Générale de l'ONU doit voter le mois prochain lors d'une rencontre spéciale sur les drogues, l'UNGASS. Il s'agit du premier meeting de la sorte depuis 1998, et les réformistes espèrent qu'ils mettront fin à la Guerre contre la drogue. Des partisans du texte ont poussé pour inclure des références à la décriminalisation, à la réduction des risques, et à l'échec de la Guerre contre la drogue. Ce document doit permettre de façonner la politique mondiale de lutte contre la drogue pour les années à venir.

Mais ces espoirs ont été réduits à néant à Vienne. Au début de la semaine, près de 200 groupes de la société civile ont dénoncé la manière dont sont menées les négociations, ce qui pourrait représenter « une faillite systémique du système onusien. » Lorsque l'on demande aux diplomates quel est le pays qui bloque les avancées, le coupable est vite trouvé : la Russie.

Publicité

Ayant endossé la cape du soldat en chef de la lutte contre la drogue au niveau mondial, les Russes ne font rien pour parvenir à un compromis. Ils ont refusé toute mention du terme « réduction des préjudices » dans le texte et ont bloqué la mention d'une référence au Naxoline, un médicament qui permet de traiter rapidement les overdoses aux opioïdes (un traitement largement utilisé aux États-Unis). L' « esprit de Vienne » qui a été tant loué (comprendre la recherche du consensus) pourrait bien aboutir à une victoire des Russes et des quelques-uns de leurs alliés isolés.

Les photos exposées dans le stand russe montrent une chambre remplie de plants de marijuana, des soldats en tenue de combat s'abritant derrière un pick-up. D'autres photos montrent le chef de l'UNODC en Russie serrant la main de leaders mondiaux connus pour leurs méthodes musclées concernant la lutte antidrogue. On peut aussi voir des policiers ouvrir un paquet de drogues et forcément une photo de substances illicites en flammes. Si la Russie et les pays du Golfe ne s'entendent pas sur la crise syrienne, ils semblent trouver un terrain d'entente sur des lois antidrogue draconiennes, nous explique un diplomate.

Les cartes postales antidrogue de Singapour à Vienne. (Photo de Samuel Oakford/VICE News)

D'après une source qui participe aux négociations, les États membres vont sans doute s'accorder sur un texte classique sans surprise.

Si beaucoup de réformistes ont souri en regardant les cartes postales de Singapour et le triste stand russe, ces installations faisaient office de rappel de ce qui se passe en privé à quelques pas de là.

Ces stands donnent « une triste indication des pays qui pèsent le plus dans le processus onusien de politique contre la drogue, » pose Edward Fox, membre de Release, une agence britannique qui vient en aide aux personnes droguées.

Suivez Samuel Oakford sur Twitter : @samueloakford