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Mexique

Un peuple autochtone du Mexique combat les cartels et le « tourisme mystique »

Dans le nord du Mexique, les Wixáritari font face à une double menace : les cartels et les touristes qui consomment du peyote, un cactus hallucinogène sacré.
(Photo de Duncan Tucker/VICE News)

Alors que le jour se lève au sommet d'une montagne sacrée du nord du Mexique, un groupe de pèlerins autochtones traînent un veau sacrificiel dans un cercle de pierres, puis ils égorgent l'animal. Ils plongent ensuite des bougies dans son sang encore chaud et les allument, créant ainsi un cercle lumineux.

Le cœur de l'animal est leur prochaine cible. Les membres de la tribu incisent la poitrine du veau avant de retirer le cœur qu'ils font cuire dans les cendres du feu de camp. Ils mangent ensuite l'organe – pour signifier leur respect à l'animal mort.

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Pendant cette cérémonie, les membres de la tribu demandent à leurs dieux de défendre les terres de leurs ancêtres contre les compagnies minières et de protéger leur peuple contre les cartels de la drogue, qui pourraient les forcer à fuir. Les Wixáritari habitent une région du nord du Mexique qui s'étend sur quatre États jusqu'à la côte Pacifique. Ils sont aujourd'hui 45 000 et s'inquiètent de nouvelles menaces qui pourraient détruire leur culture.

Ce genre de cérémonies s'alimentent du peyote, un cactus hallucinogène sacré pour le peuple Wixáritari, ou Huichol, et essentiel pour faciliter la communication avec leurs dieux. Mais à cause de l'explosion de l'industrie illégale du « tourisme hallucinogène » basé sur le peyote, cette partie de leur culture pourrait aussi disparaître.

Aukwe Mijarez plonge des bougies dans le sang encore chaud d'un veau qui a été sacrifié aux dieux. (Photo de Duncan Tucker/VICE News)

Tenir tête aux cartels

Les Wixáritari ont pris des mesures concrètes contre ces menaces existentielles, mais ils pensent tout de même avoir besoin d'une intervention divine pour survivre. VICE News a accompagné les chefs du groupe autochtone durant leur pèlerinage annuel vers le Cerro Quemado, une montagne recouverte de cactus située à San Luis Potosí, sur laquelle ils croient que le soleil est né. Cette année, le voyage a revêtu un caractère d'urgence après l'assassinat de deux activistes Wixáritari dans l'État voisin du Jalisco.

Miguel Vázquez, un militant qui défend les droits fonciers, a été abattu le 20 mai dans la ville de Tuxpan de Bolaños par des tireurs soupçonnés de travailler pour le Cartel de la nouvelle génération de Jalisco (le CJNG pour « Cártel de Jalisco Nueva Generación »). Cette même nuit, son frère Agustín a aussi été tué après lui avoir rendu visite à l'hôpital.

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Cette année, le CJNG, une des organisations criminelles les plus puissantes du Mexique, a envahi les territoires des Wixáritari dans le nord du Jalisco et les États voisins, déplaçant les habitants ou bien les forçant à cultiver de l'opium.

Le sommet rocheux sert d'autel pour les offrandes élaborées des pèlerins. (Photo de Duncan Tucker/VICE News)

Et la situation s'aggrave. Les Wixáritari contrôlent et protègent leurs communautés depuis des générations, mais les habitants de Tuxpan de Bolaños ont dû intensifier leurs efforts depuis le début de l'année, car selon eux, l'État ne les protège pas assez.

« Nous, Wixáritari, sommes prêts à faire le nécessaire pour défendre notre terre, » disait Ubaldo Valdez Castañeda, un militant de Tuxpan de Bolaños, lors d'une conférence de presse tenue en janvier. « Nous n'avons pas d'armes, mais nous nous armerons nous-mêmes avec tout ce que nous pouvons trouver. »

Malgré la résistance de la communauté, l'assassinat des frères Vázquez a montré combien elle est vulnérable. Ces meurtres ont aussi jeter un coup de projecteur sur la collusion entre la police locale et le crime organisé.

Les Wixáritari répandent des grains de maïs et autres offrandes sur le feu de camp. (Photo de Duncan Tucker/VICE News)

Eduardo Almaguer, le procureur général du Jalisco a dit que son département était en train d'enquêter sur les officiers de la police municipale qui avaient arrêté les tireurs présumés lors d'une altercation le jour du meurtre, mais qui les avaient relâchés juste avant la tuerie.

« Comment peut-on faire confiance aux autorités mexicaines ? » dit Santos de la Cruz Carrillo, avocat Wixáritari et activiste. « Si cela arrive, c'est parce que l'État le permet plutôt que de protéger ses citoyens. »

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Les milices Wixáritari n'ont pour armes que des haches et machettes, mais Carrillo maintient que la communauté ne se laissera pas intimider. « Une attaque contre l'un de nous est une attaque contre nous tous. Nous allons nous battre et avancer. »

Un enjeu national

Les Wixáritari ne sont pas le seul peuple autochtone fatigué de faire les frais de la corruption du gouvernement et des cartels de la drogue sans foi ni loi.

Le mois dernier, le Congrès national des autochtones mexicains et l'Armée zapatiste de libération nationale (des descendants des Mayas qui ont mené une révolte en 1994 et contrôlent toujours une portion de l'État de Chiapas) ont nominé une femme médecin Nahua (le prinicpal groupe amérindien du Mexique) pour les représenter aux élections présidentielles l'année prochaine.

María de Jesús Patricio Martínez est la première femme autochtone candidate aux élections présidentielles. Avec sa campagne, elle tente d'attirer l'attention sur la manière dont le gouvernement corrompu et les gangs criminels menacent les communautés autochtones du Mexique.

« Ils nous ont fait fuir et se sont approprié nos terres, » dit-elle. « Nous avons vu ceux au sommet être responsables de destructions totales. »

Le jour se lève sur la montagne où les Wixáritari pensent que le soleil est né. (Photo de Duncan Tucker/VICE News)

Patricio a très peu de chances de gagner, mais sa candidature est un symbole destiné à créer un soutien national pour défendre les communautés autochtones du Mexique.

Des menaces encore plus importantes planent sur les Wixáritari, notamment à cause de concessions lucratives de leurs terres octroyées à des compagnies minières. Bien que le gouvernement de l'État de San Luis Potosí l'ait nommé « Espace naturel sacré » en 2001, le gouvernement fédéral mexicain a continué de distribuer les concessions.

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La First Majestic Silver Corp, le bénéficiaire le plus important, possède des concessions couvrant 4 976 hectares dans la région. First Majestic dit reconnaître « le besoin de protéger l'héritage culturel des Huichol, » et « avoir travaillé avec le gouvernement pour s'assurer que les opérations sur la propriété ne dérangent pas ces zones sacrées. »

Mais les membres du Conseil régional Wixárika (qui espèrent révoquer au moins 78 concessions) disent que l'extraction cause des dommages environnementaux sévères qui mettent en danger leur héritage et les écosystèmes locaux.

« Nous réclamons que l'État mexicain annule toutes les concessions minières à Wixáritari, » explique le conseiller Aukwe Mijarez.

Minera Real Bonanza, une filière de First Majestic, a répondu à ces critiques en disant que la compagnie était « investie dans la préservation des sites sacrés de la culture Wixáritari, » et qu'elle était en train de construire des usines de traitement des eaux usées et avait cédé 760 hectares de concessions dans les zones les plus proches de Cerro Quemado.

Presque à court de peyote

Lorsque la plupart des pèlerins sont arrivés au sommet du Cerro Quemado, on entendait de la musique tribale jouée au milieu de la nuit, alors que les coyotes hurlaient au loin et que les lumières scintillaient par-delà les sommets.

Habillés d'habits traditionnels et de chapeaux ornés de plumes, les Wixáritari ont arrosé le feu de camp d'une offrande de grains de maïs et ont chanté pendant des heures dans un état de transe.

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Après avoir sacrifié le veau à l'aube, ils ont prié dans une petite chapelle aux murs ornés de scalps d'animaux et d'œuvres d'art psychédéliques. Ils ont ensuite partagé un petit-déjeuner à base de peyote, de quartiers d'orange, de biscuits et de Coca-Cola.

« S'ils exploitent le centre spirituel de notre univers, nous allons disparaître. »

Selon la loi mexicaine, seuls les Wixáritari peuvent consommer du peyote, mais les passionnés de la culture « New Age » aiment reproduire cette expérience dans le cadre d'un attrape-touristes à base de peyote, du côté de Real de Catorce, un village des environs. L'ancienne ville fantôme poussiéreuse déborde de fixeurs non-autochtones qui offrent aux touristes du peyote et un endroit pour « tripper ».

« Nous sommes contrariés par les gens qui viennent ici et volent le peyote, car pour nous c'est une divinité, pas une drogue, » dit Mijarez. « Il fait partie de notre identité et nous le respectons. »

Avec une police qui ferme les yeux sur l'usage récréatif pas les touristes, Mijarez indique que les étrangers sont en train de tester leurs limites et d'exporter la plante illégalement.

Des pèlerins prient dans une chapelle décorée avec des cuirs chevelus d'animaux et d'œuvres d'art inspirées par le peyote. (Photo de Duncan Tucker/VICE News)

« Nous voulons que cette plante soit préservée, car elle fait partie de notre culture, mais chaque année, elle devient de plus en plus difficile à trouver. »

Selon Mijarez, si les réserves venaient à manquer, les Wixáritari perdraient contact avec leurs dieux, ce qui limiterait encore leur capacité à résister aux autres menaces telles que l'extraction minière et le crime organisé.

« S'ils exploitent le centre spirituel de notre univers, nous allons disparaître. »


Duncan Tucker est un journaliste freelance basé au Mexique.