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Crime

Les pirates siphonnent les pétroliers du sud-est de l'Asie

Les eaux méridionales du sud-est asiatique concentrent près de 75 pour cent des actes de piraterie recensés dans le monde — soit une hausse de 22 pour cent depuis 2013.
Photo via AP/Ed Wray

Le nombre d'opérations de piraterie dans la région asiatique a augmenté de façon exponentielle ces dernières années, faisant de la région la capitale mondiale de la piraterie. En 2014, près de 75 pour cent des opérations de piraterie — soit 183 des 245 tentatives avortées et réussies — se sont déroulées dans les eaux asiatiques. Par rapport à l'année 2013, on assiste à une progression de 22 pour cent de ces opérations.

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Vendredi 13 février, un pétrolier a été attaqué et dépouillé de son pétrole. Les pirates ont pris d'assaut le navire thaïlandais, le Lapin, dans les eaux malaisiennes et ont siphonné les 2 000 tonnes d'essence contenues dans ses réserves et cinq tonnes de diesel. Ils ont laissé à bord un dispositif explosif improvisé et ont pu prendre la fuite.

Les enquêteurs de Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery Against Ships in Asia (ReCAAP) ont confirmé ce mardi, l'attaque du navire qui passait dans le détroit de Malacca, détroit qui sépare l'Indonésie de la Malaisie, Singapour et la Thaïlande.

Carte du trajet du Lapin (Image via ReCAAP ISC)

L'attaque a été perpétrée par au moins huit pirates suspectés d'être de nationalité indonésienne. Armés de pistolets et de couteaux, ils ont embarqué sur le Lapin depuis une petite embarcation avant d'attacher les 15 membres d'équipage et de prendre le contrôle du pétrolier. Un bateau plus grand s'est stationné à côté du pétrolier dans lequel l'essence et le diesel ont été déversés.

Avant de quitter le navire à l'aube ce samedi, les pirates ont pris le temps de détruire les appareils de communication du pétrolier et se sont emparés des affaires personnelles des membres d'équipage. Ils leur ont ensuite dit qu'ils avaient placé une bombe à bord du pétrolier.

L'équipage a réussi à se libérer et a rejoint les eaux thaïlandaises dans lesquelles, grâce à l'aide d'un bateau de pêche, ils ont pu prévenir les autorités de l'attaque. La marine royale thaïlandaise est arrivée sur le pétrolier le lendemain, ce dimanche 15 février. Le dispositif explosif laissé par les pirates a été identifié — la « bombe » n'était reliée à aucun explosif ni détonateur. Aucun des membres d'équipage n'a été blessé.

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Nicholas Teo est le directeur général du Information Services Center (ISC) du ReCAAP, une administration régionale regroupant vingtaine de pays qui coopèrent pour lutter contre la piraterie. Il a confié à VICE News que le siphonnage de carburant par les pirates est un problème permanent.

L'attaque du Lapin est la première tentative réussie de siphonnage de l'année 2015, mais la fréquence de ces attaques s'est considérablement accélérée ces dernières années. L'année dernière, il y a eu 15 attaques de ce type, dont 12 ont été réussies. Sur les trois années précédentes, seulement huit cas avaient été répertoriés.

« Le siphonnage illégal d'essence et de pétrole est devenu un business lucratif à cause du prix du marché du brut et des taxes imposées sur l'essence, » explique un récent rapport du ReCAAP ISC. « La demande continuelle d'essence et de pétrole dans les marchés souterrains motive ces incidents de siphonnage, qui ne sont donc pas près de s'arrêter. »

La plupart des attaques se passent en mer de Chine méridionale ou dans le détroit de Malacca. La région offre de multiples opportunités pour ce type de piratage : près de 15,2 millions de barils de brut transitent chaque jour par le détroit de Malacca

« Le mode d'attaque classique est le suivant. Les pirates montent à bord, enferment l'équipage sauf une ou deux personnes qui attendent sur le pont, » explique Teo. « Un bateau inconnu approche, prend la cargaison et s'en va. Mais dans la plupart des cas, on découvre que ces histoires ne tiennent pas. »

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Teo explique que des incohérences dans les versions des membres d'équipage apparaissent souvent — ce qui rend leur histoire peu plausible. Cela laisse à penser que les assaillants ont un contact à bord.

Il faut connaître un minimum le bateau pour mener à bien une attaque, comme celle du Lapin, où le pétrole est siphonné d'un bateau à un autre.

Le rapport du ReCAAP ISC note que les pirates « avaient besoin de bien connaître le navire ou d'avoir un contact à l'intérieur de l'équipage, » pour connaître la cargaison, l'itinéraire du pétrolier et le type d'équipement de siphonnage qui équipe le pétrolier.

« Dans certains cas, nous avons les mêmes bateaux ou des navires de la même compagnie qui sont attaqués plusieurs fois, » explique Teo. « Une compagnie a été attaquée 6 fois et une autre à 4 reprises. Nous avons pris contact avec ces compagnies pour leur signifier que ces attaques bénéficiaient de complicités internes. »

Les pirates ont besoin de prévoir un endroit pour siphonner les cales d'un navire qui leur évite d'être prises sur le fait par les autorités. Il faut aussi qu'ils organisent le trajet du navire qui transporte le pétrole volé, et enfin, réfléchir à un emplacement où stocker le carburant volé en attendant de potentiels acheteurs. Les pirates se doivent d'avoir de bonnes connaissances de la demande, notamment quel type de pétrole est recherché, mais aussi connaître le cours du prix du pétrole siphonné.

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« Nous ne pouvons pas pointer du doigt une compagnie ou un groupe et dire qu'ils sont impliqués dans l'attaque ; mais il est clair que ces attaques sont rendues possibles grâce à des informations qui proviennent de l'intérieur, » ajoute Teo.

 L'intérieur du Lapin (Image via ReCAAP ISC)

De nombreux pirates sont connectés ou rattachés à des syndicats bien organisés, qui grâce à des réseaux locaux (et peut-être internationaux) leur permettent de trouver des débouchés pour revendre leur brut siphonné. ReCAAP ISC considère qu'il y a au moins trois groupes d'importance qui siphonnent des pétroliers dans la région.

Le carburant volé est entre autres distribué à des stations essence illégales qui vendent du carburant bon marché sur le continent.

« On est tombé sur des remorqueurs et des bateaux de pêche qui avaient été transformés en petits pétroliers qui peuvent transporter de petites quantités — environ 5 tonnes de brut, » dit Teo.

Les 2 000 tonnes siphonnées du Lapin semblent être énormes, mais Teo rappelle que tout cela reste relatif. « Certains pétroliers transportent jusqu'à 30 000 tonnes, » précise Teo.

Aucun des membres du Lapin n'a été blessé, ce qui est habituel. Les pirates sont généralement seulement intéressés par le pétrolier, et n'ont pas réellement l'intention de prendre en otage le navire et de kidnapper ceux qui se trouvent à son bord.

Follow Max Rann on Twitter: @RannMax