« Je vous réponds tardivement, je suis seul face au flux montant des envies d’écriture de la population française. » Réponse arrogante, désynchronisée de six mois de l’envoi de mon manuscrit en septembre 2019, du directeur d’une grande maison qui dit la saturation des comités de lecture par la multiplication des vocations d’écrivains et le manque de discernement de ceux-ci dans le ciblage. « Il y a des tonnes de raison à cet engorgement. La première c’est que l’Allemagne c’est la musique, l’Angleterre c’est le sport, et bien la France c’est la littérature comme marqueur de prestige », explique Dominique Gaultier, éditeur du Dilettante. Et si l’éditeur est connu dans le milieu pour faire des retours personnalisés (et parfois capables de calmer les vocations), il cache difficilement son agacement face à des envois massifs et mal avisés. « Un peintre du dimanche ne va jamais aller harceler les galeries d’art pour exposer. Ça ne lui vient pas à l’idée, à la limite à la salle polyvalente de son village. C’est tellement facile d’envoyer un manuscrit. Quand vous êtes devant un ordinateur, vous pouvez pisser de la copie, il n’y a pas de sanction. C’est très facile, peu coûteux comme activité. »« C’est tellement facile d’envoyer un manuscrit. Quand vous êtes devant un ordinateur, vous pouvez pisser de la copie, il n’y a pas de sanction. C’est très facile, peu coûteux comme activité. » - Dominique Gaultier, éditeur du Dilettante
De là plus qu’un pas à prédire l’agonie d’un monde de l’édition inapte à se renouveler ? Le rêve de la publication a pris un coup dans l’aile et les candidats sont nombreux à chercher d’autres circuits pour diffuser leurs écritures. C’est le cas d’Eva Anna Maréchal : « En tant qu’autrice, je ne m’engagerai pas dans cette voie, par peur de manquer d’énergie. Peut-être aussi car je crois que la fin en soi d’un premier roman, c’est le tiroir numérique de son auteur ou autrice. Pour moi, un premier roman refusé, c’est avant tout la preuve qu’on est capable d’achever. Ce sont des pages qui servent à asseoir la confiance et autorisent de recommencer, en mieux. » Et même ceux qui, comme Théo Casciani, ont leur nom sur un couverture gauffrée en librairie, émettent des doutes. « Il est peut-être temps pour l'édition d’accepter ses faiblesses pour éviter la ruine : elle est lente, fébrile, en plein dans le contemporain mais loin de l’actualité. Plutôt que d’essayer d'imiter des champs qui lui sont opposés, elle ferait mieux de faire de sa vulnérabilité et ses limites des armes pour montrer ce qu’elle a d'unique. Faire confiance aux livres, leurs hybridations et leurs débordements, les laisser parler d’eux-mêmes pour créer du trouble et du désordre. »« Pour moi, un premier roman refusé, c’est avant tout la preuve qu’on est capable d’achever. Ce sont des pages qui servent à asseoir la confiance et autorisent de recommencer, en mieux. » - Eva Anna Maréchal, autrice et co-fondatrice de la revue Sabir
Début d’un paradoxe ? Oui pour Frédéric Ciriez qui décortique les aspirations des participants à ses ateliers à l’école Les Mots : « Certains sont en recherche d’une technique, d'autres d’une discipline, d'autres d’une pratique créative, d’un loisir, d’autres encore d’un club, d’un endroit de socialisation. Mais les gens qui s’inscrivent à mon atelier ont rarement lu mes textes. Je suis une proposition sur un catalogue d'auteurs, éventuellement précédée d'une réputation. Il y a quelque chose qui relève du désir de la réalisation de soi pour laquelle l’écrivain devient médiateur. Dans ces ateliers, je suis à la fois écrivain de proximité, coach pour le développement personnel de classe moyenne, référent, mentor ou parfois ami avec des discussions au-delà de l’atelier. Les acteurs du creative writing, tout comme les coaches et les agents, se substituent à un travail de l’éditeur pour un livre qui jusqu’alors devait être accepté au préalable. On assiste à un brouillage des pistes, le travail éditorial devient un service, et donne naissance à une économie parallèle. »« Les acteurs du creative writing, tout comme les coaches et les agents, se substituent à un travail de l’éditeur pour un livre qui jusqu’alors devait être accepté au préalable » - Frédéric Ciriez
Première à m’avoir ciblé sur Insta, la récente plateforme Edith&Nous fait le pari de « matcher » auteurs et éditeurs au moyen d’un résumé de 400 espaces maximum, 5 hashtags et un algorithme qui mouline pour générer des affinités entre les 50 éditeurs partenaires de la plateforme et les 650 auteurs qui souscrivent à un abonnement mensuel ou semestriel. « On a la capacité de toucher simultanément plusieurs éditeurs qui seront des éditeurs pertinents en fonction du manuscrit puisqu’elle repose sur un match », explique son cofondateur Valentin Vauchelles satisfait des premiers chiffres de la jeune entreprise. De Robert Laffont aux Editions de l’Archipel, en passant par Les Avrils ou JC Lattès, ils sont de nombreux éditeurs à avoir rejoint la plateforme ces derniers mois, et offrir ainsi à Edith&Nous la carotte recherchée par les auteurs.« On a conçu la plateforme avec des éditeurs. Le moteur de recherche permet de fouiller par mots clés, par titres, par genre, etc. Ça va permettre en une heure de se mettre en favori une cinquantaine de manuscrits » - Valentin Vauchelles, fondateur de la plateforme Edith&Nous
Rocambole.io poursuit l’aventure hégémonique du streaming, après la musique et la vidéo, au pays des industries culturelles non pas en dupliquant le livre au format numérique mais en créant un format digital natif. « Chez nous : le format série, court, percutant, avec des épisodes désignés pour lire 5 mn de lecture sur sa tablette ou son smartphone », explique François conscient d’être assis sur un trésor : la data. Les données générées par les lecteurs permettent d’affiner les contenus en fonction des thématiques, des temps de lecture, de la perte d’attention ou des séries abandonnées. Pirates et féminisme sont donc tendance en ce moment sur Rocambole.io nous dit-on. En décembre, c’était plutôt les échecs. A sortir les prochaines semaines : une série avec 10 influenceurs sur une île en mode remake d’Agatha Christie. « Ils vont tous mourir les uns après les autres, il faut trouver le tueur. Là on va proposer des choses un peu différentes, qui vont parler à une génération. Il y a une prise de risque qui n’est pas encouragée côté éditeurs. On a vraiment une approche différente de la demande. »« Chez nous : le format série, court, percutant, avec des épisodes désignés pour lire 5 mn de lecture sur sa tablette ou son smartphone » - François Delporte, fondateur de Rocambole.io
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