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Mali

Pourquoi le Nord-Mali n'est toujours pas sécurisé

Les opérations militaires et les forces internationales se succèdent depuis deux ans dans la région pour traquer et détruire des groupes terroristes mobiles.
Barkhane : régionalisation des opérations et dispositif logistique - Photo via État-major des armées / Ministère de la Défense

Un soldat français membre d'un commando parachutiste a été tué mercredi 29 octobre au nord du Mali, lors d'un accrochage avec un groupe armé terroriste. C'est le dixième soldat français tué au Mali depuis le début des opérations militaires lancées par l'ancienne puissance coloniale en 2013.

En mars 2012, un coup d'état de l'officier Amadou Sanogo avait fragilisé le pays, permettant au Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) de conquérir la moitié Nord du Mali en s'alliant avec divers groupes islamistes, dont Ansar Dine, AQMI (al-Qaida au Magreb islamique) et MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest).

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En janvier 2013, les forces islamistes ont mené une offensive sans précédent vers le Sud du pays, entraînant le lancement de l'opération française « Serval » - du nom d'un félin africain - qui a rapidement stoppé la progression des djihadistes et repris le contrôle du nord du Mali, notamment de la ville de Gao, sous la coupe des islamistes.

Côté français, l'opération Serval a ensuite été remplacée par l'opération Barkhane, au milieu de l'été. Le but de cette mission c'est de lutter contre le terrorisme dans tous les pays de la bande sahélo-saharienne : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso. Barkhane ne se restreint donc plus au seul Mali. En juillet, les États-Unis annonçaient le versement d'une aide de 10 millions de dollars à la France pour cette opération.

Barkhane opérant sur plusieurs territoires, l'ONU a créé le 25 avril la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali), une force internationale dédiée au maintien de la paix et à la sécurisation du Mali, dont les effectifs proviennent majoritairement d'armées africaines. Cette force compte actuellement 11 200 soldats et 1 440 policiers.

Dans une interview donnée à RFI le 27 octobre, soit deux jours avant la mort du parachutiste français, le ministre français de la Défense a reconnu une recrudescence des actes terroristes au nord du Mali et déclaré que « la MINUSMA n'a pas été au rendez-vous au moment où il le fallait ». Les Français affirment que la MINUSMA n'a déployé que 22 pour-cent de ses forces dans le nord du Mali, ce que cette dernière conteste.

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Le ministre des affaires étrangères malien Abdoulaye Diop avait déjà demandé le 6 octobre le déploiement d'une « force de réaction rapide » en soutien aux casques bleus présents sur le terrain. Cette demande d'Abdoulaye Diop a fait suite à une série d'attaques meurtrières ayant fait dix morts chez les casques bleus de la MINUSMA au cours du mois d'octobre.

Le ministre malien craint que son pays ne « court une nouvelle fois le risque de devenir la destination [de choix] pour une horde de terroristes », un an après l'offensive djihadiste de janvier 2013 sur le sud du pays et l'intervention française qui a suivi.

VICE News a contacté Philippe Hugon, directeur de recherches à l'IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et auteur de « Géopolitique de l'Afrique » publié chez Armand Colin. « La difficulté vient du fait que l'on a d'un côté des forces dotées d'équipements, et de l'autre des milices extrêmement mobiles, qui ont recours à des actions spectaculaires comme des explosions kamikazes, des poses de mines, etc. On est dans une guerre asymétrique. Le problème avec ce genre de guerre, c'est qu'on ne voit pas comment elles peuvent être gagnées. »

Pour le chercheur, l'ONU est la seule force disponible pour un renforcement de la sécurité au Mali. « Vu l'importance des tensions, il y a des besoins de renforcements. Mais les forces de Barkhane ont d'autres buts, et l'UE n'est pas prête a engager des hommes. Les pays africains sont en limite de capacité et de compétence. Il reste donc la force de l'ONU, la MINUSMA. »

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Le gouvernement français a annoncé le 10 octobre que son armée a détruit un convoi de véhicules armés transportant des armes de la Libye vers le Mali. L'État-major a annoncé avoir détruit près de trois tonnes d'armes dont des roquettes antichar et des missiles sol-air portables.

D'après Philippe Hugon, même si ce genre d'action perturbe les organisations djihadistes, il reste difficile d'apprécier la situation. « Il est totalement impossible d'évaluer les effectifs des djihadistes pour trois raisons. D'abord parce qu'il existe énormément de mouvances, qui mettent en place des sortes de milices franchisées. Deuxièmement on sait qu'il y a eu destruction de moyens logistiques et humains, mais il y a vraisemblablement du recrutement. Il est facile d'embaucher des jeunes attirés par des perspectives de revenus puisque ces groupes se livrent à des activités lucratives comme le trafic de stupéfiants. Troisièmement, les frontières avec les pays voisins sont poreuses. Il existe peut être des connexions avec des groupes du moyen Orient, et à l'heure actuelle la Libye est la source de nouveaux combattants. C'est pour ces raisons que l'on emploie souvent l'image de l'hydre : à chaque fois que l'on coupe une tête, une autre repousse. On ne sait donc absolument pas combien de djihadistes font face à la MINUSMA au Mali »

Les Nations Unies n'ont pour l'instant pas prévu l'envoi de troupes supplémentaires au Mali, mais le chef des opérations de maintien de la paix à l'ONU Hervé Ladsous a annoncé à l'AFP un durcissement du dispositif le 7 octobre , après une série d'attaques.

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« Ça n'est plus un contexte de maintien de la paix. Ça nous impose évidemment de prendre toute une série de mesures […] pour durcir nos bases, durcir nos protections. »

Par ailleurs, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian n'exclut pas dans une interview au Figaro d'intervenir en Libye pour éviter que la zone ne devienne un refuge pour les djihadistes, qui peuvent franchir librement cette frontière immense et peu surveillée.

D'après André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS (Centre national de recherches scientifiques), spécialiste des sociétés nomades et de la zone saharo-sahélienne, ce ne sont pas les rébellions touarègues qui sont nouvelles, mais leur caractère religieux.

« Il y a eu des rébellions de Touaregs depuis 1916 de façon cyclique, tous les 10 ou 12 ans, particulièrement dans la région de Kidal. Les Touaregs sont un groupe ethnique nomade minoritaire, environ 10 pour-cent de la population malienne. L'islamisme chez eux est un élément nouveau qui date du début du 20e siècle. La radicalisation de l'Islam politique date des années 2005-2006, à la suite de la défaite du groupe salafiste GSPC [Groupe salutiste pour la prédication et le combat] en Algérie. Ces gens ont trouvé refuge dans la zone saharo-sahelienne au nord du Mali. »

Le chercheur explique que la situation n'est pas stabilisée au Mali parce que l'opération française n'a fait que repousser les islamistes en dehors des villes, mais que ceux-ci se sont regroupés dans des zones de brousse, de désert ou de montagne difficiles d'accès. Il ajoute : « Ils n'ont toujours pas été délogés de leur sanctuaire de l'Adrar des Ifoghas [ndlr : un massif montagneux à la frontière algérienne]. Le parachutiste français qui est mort récemment a été tué à l'occasion d'un raid sur cette zone, probablement par AQMI ou le MUJAO. Ces montagnes contiennent beaucoup de caches d'armes. »

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Pour André Bourgeot, le retour à la paix et la sécurité dans la partie septentrionale du Mali ne peut se faire uniquement par des opérations militaires.

« Historiquement parlant, on voit que les interventions militaires s'enlisent et n'apportent pas de solutions définitives. S'il n'y a pas d'implication des populations locales, cela ne donne rien.

Tant qu'il n'y aura pas de politique de lutte systématique contre le lucratif trafic de drogue qui alimente les groupes terroristes de la part du gouvernement, il n'y aura pas de paix. Il faut un État malien fort et présent, il faut que les institutions gouvernementales soient reconstruites et qu'elles fonctionnent. »

Neuf membres des forces de sécurité nigériennes ont été tués le 30 octobre à la frontière nigero-malienne, dans une zone fréquentée par les djihadistes. Les assaillants n'ont pas été identifiés et l'attaque n'a pour l'heure pas été revendiquée.

Il y a un an, quasiment jour pour jour, le 2 novembre, les deux journalistes français Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient assassinés à Kidal, vraisemblablement par le groupe terroriste AQMI, qui a revendiqué leur enlèvement.

Suivez Virgile Dall'Armellina sur Twitter : @armellina