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Polynésie française

Pourquoi les élus polynésiens soutiennent massivement Marine Le Pen ?

La candidate frontiste a recueilli son plus grand total de parrainages dans l’archipel, devant le Nord-Pas-de-Calais et l'Aisne.
Capture d'écran du programme pour l'Outre-mer de Marine Le Pen.

« Si on m'avait dit, il y a quelques années, que Marine Le Pen recueillerait 35 parrainages ici… » Éric Minardi, 31 ans de vie en Polynésie française, dont 15 à représenter le Front national au niveau local, n'en revient toujours pas. Pourtant, ce n'est ni dans le Nord-Pas-de-Calais (28 parrainages), ni dans l'Aisne (24) que la candidate frontiste a recueilli le plus de parrainages, mais bien dans cette collectivité d'outre-mer, à près de 16 000 kilomètres de la métropole. Vingt-huit de ces parrainages proviennent de membres du Tahoeera, le parti orange de Gaston Flosse, monstre sacré de la scène politique locale depuis près de cinquante ans.

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En Polynésie plus qu'ailleurs, la politique est une affaire de soutiens. Les élections nationales (présidentielles, territoriales et européennes) n'ont qu'un seul but : asseoir le pouvoir des politiciens locaux. « En Polynésie française, le clivage gauche-droite n'existe pas », commence par poser Sémir Al Wardi, maître de conférences en science politique à l'université de Papeete. « Tout s'articule autour de la question de l'indépendance, entre autonomistes et indépendantistes. » Les citoyens ne regardent la vie politique qu'à travers le prisme de la Polynésie, indépendamment des campagnes en métropole.

Pour les présidentielles de 2017, Édouard Fritch, le président sortant de la Polynésie française, issu du parti autonomiste Tapura, a décidé de soutenir François Fillon. En Polynésie, voter Fillon reviendra donc à voter Fritch. Dans l'opposition, Gaston Flosse, autonomiste, avait sollicité Fillon et Macron pour leur demander s'il pouvait leur apporter son soutien. Fillon a accepté le soutien de Fritch, et Macron a refusé le soutien de Flosse. Restait donc Marine Le Pen. Un choix étonnant pour ce gaulliste convaincu, fondateur historique du RPR. Il sera pourtant validé à l'unanimité par le parti Tahoeeralors d'un grand conseil tenu le 22 mars dernier.

« C'est Gaston Flosse qui décide… et c'est tout »

Cette « unanimité » est néanmoins toute relative. Certains membres du parti peinent à cacher leur malaise. Pour justifier son choix, Gaston Flosse s'est empêtré dans une stratégie médiatique hasardeuse, expliquant que le Tahoeera ne votait pas « pour le Front national, mais pour Marine Le Pen ». Le numéro d'équilibriste n'a pas franchement convaincu Marcel Tuihani, numéro 2 du parti orange, qui a publiquement affirmé son désaccord avec les idées du FN. Le gendre de Gaston Flosse, Vincent Dubois, a lui aussi émis quelques réserves. Avant de finalement se plier aux ordres du patriarche, comme le confirme Antoine Samoyeau, rédacteur en chef de la radio polynésienne Radio1 : « C'est Gaston Flosse qui décide… et c'est tout ».

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Gaston Flosse avait déjà suivi un plan similaire lors des dernières présidentielles. En 2012, il soutenait Nicolas Sarkozy. « Flosse était revenu de nulle part », se souvient Samoyeau. Le leader du Taoheera avait disparu pendant deux ans, durant lesquels l'indépendantiste Oscar Temaru était au pouvoir. Il était finalement revenu en force au moment où l'on s'y attendait le moins. « Personne ne l'avait vu venir. À 80 ans, il avait fait le tour des comités de quartier, puis s'était servi de l'élection présidentielle comme tremplin. » Profitant d'un bon score de Sarkozy dans l'archipel, Flosse empochera trois élus aux législatives la même année, et cartonnera aux territoriales l'année suivante. À 86 ans, toujours aussi influent politiquement, il entend reproduire son tour de force en 2017.

« Les militants votent les yeux fermés parce qu'ils croient en notre président de parti »

En choisissant Le Pen, le premier président de la Polynésie française mise sur la relation affective qu'il entretient avec les Polynésiens. « On appelle cela le nomadisme politique : le vote se fait sur recommandation, voire instruction », confirme Sémir Al Wardi. « Avec des collègues chercheurs, on a remarqué que beaucoup de communes avaient voté à 60-70 pour cent pour un candidat de droite pour une présidentielle. Puis lors de l'élection suivante, elles avaient accordé le même plébiscite à un candidat de gauche. » Le 22 mars, jour du grand conseil du parti orange, le député Jonas Tahuaitu a décrit la stratégie du Tahoeera : « Les militants votent les yeux fermés parce qu'ils croient en notre président de parti. » Qu'il soutienne Marine Le Pen ou non.

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En creux, Flosse espère surfer sur un léger courant de soutien aux idées lepénistes. Dans une présidentielle qui commence à s'intéresser à l'Outre-mer (notamment avec la crise en Guyane), la candidate d'extrême droite est la seule à défendre un programme spécifiquement adapté à la Polynésie. Programme calqué, en réalité, sur les aspirations du Tahoeera. « On y trouve des éléments uniquement défendus par Gaston Flosse depuis des années », remarque Antoine Samoyeau. Sur son site, Le Pen s'adresse directement aux Polynésiens, proposant l'amélioration des mécanismes d'indemnisation des victimes directes des essais nucléaires, ou le statut quasi-autonomiste de « pays associé » – « c'est Flosse qui a fait rajouter le mot "associé" », précise Éric Minardi.

« Une partie de la population est en souffrance »

Dans son programme, au milieu de photos d'îles paradisiaques et de canots échoués devant une mer translucide, Le Pen n'oublie pas de parler sécurité. La candidate souhaite interdire « l'installation de ressortissants français ou étrangers en Polynésie française susceptibles de vouloir faire du prosélytisme, comme cela est arrivé en 2013 ». À l'époque, un imam avait débarqué dans l'archipel pour ouvrir une mosquée. Problème, cet imam, Hicham el-Barkani, est interdit de territoire aux États-Unis, et suspecté de prôner un islam radical. 2 000 personnes avaient manifesté contre l'ouverture de la mosquée, destinée aux 500 musulmans de Polynésie française (qui compte 270 000 habitants).

La candidate d'extrême droite compte aussi s'appuyer sur les clivages sociaux qui règnent dans l'archipel. Ils s'expliquent notamment par un sous-développement inquiétant de la Polynésie dans plusieurs domaines. En 2014, on estimait à 20 ans son retard sur la métropole en matière d'éducation. Selon les chiffres de la chambre territoriale des comptes de la Polynésie, près de 40 pour cent de la population serait analphabète. Ce chiffre grimperait jusqu'à 42 pour cent chez les jeunes. « Une partie de la population est en souffrance », alerte Minardi. Et le Front National l'a bien compris.


Suivez Bartolomé Simon sur Twitter : @iLometto