Pourquoi vous ne devriez jamais monter sur un éléphant en Thaïlande

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VICE News

Pourquoi vous ne devriez jamais monter sur un éléphant en Thaïlande

La mort d’un touriste écossais piétiné par un éléphant en Thaïlande a mis en lumière les cruautés animales systématiques sur lesquelles repose cette industrie touristique dans le pays.

Les vacances de rêve ont tourné au cauchemar lorsqu'un touriste écossais, Gareth Crowe, a été piétiné à mort par un éléphant sur lequel il était monté en Thaïlande, ce lundi 1er février.

Âgé de 36 ans, Crowe a été projeté du dos de l'animal avec sa belle-fille Eilid Hughes, 16 ans, après que l'animal est devenu enragé lorsque son maître s'est arrêté pour prendre les deux touristes en photo. Le maître, également connu sous le nom de « cornac », a survécu à ses blessures, alors qu'Eilid Hughes a échappé à des blessures sérieuses.

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Les autorités thaïlandaises ont rapidement qualifié cet incident d'événement malheureux. Cette affaire met en lumière la maltraitance animale systématique produite par cette activité touristique en Thaïlande, qui est très peu contrôlée.

Les premières informations indiquaient que cet éléphant âgé de 13 ans avait récemment montré des signes d'agressivité, causée par la testostérone associée à son cycle d'accouplement, le « musth ». Ces informations ont été démenties par les autorités de l'île de Koh Samui, où l'incident a eu lieu.

« Nous pensons que le temps chaud a énervé cet éléphant et qu'il n'était pas habitué à son cornac », a déclaré à l'AFP Paiboon Omark, le chef du district de Samui.

Certains experts qui travaillent avec des éléphants en Thaïlande et ailleurs en Asie du sud-est ont émis des réserves sur le fait que le musth — qui se caractérise par la sécrétion de frontaline au niveau de la tête de l'éléphant ainsi qu'un caractère ouvertement agressif chez l'animal — a pu être évalué d'une mauvaise façon.

D'après Edwin Wiek, fondateur de l'ONG Wildlife Friends Foundation Thailand qui vient en aide aux éléphants maltraités, de tels incidents mortels impliquent presque toujours des éléphants mâles forcés de travailler alors qu'ils ne sont pas en état de le faire.

Les dresseurs — parfois peu expérimentés — qui travaillent avec des éléphants utilisent des crochets, des couteaux et des clous pour contrôler les animaux. (Photo de Ears Asia)

« Je déteste appeler ça un "accident", car ce n'est pas un accident, il s'agit toujours d'un mâle en chaleur. Une fois qu'ils sont en chaleur ils perdent leur calme », a-t-il déclaré à VICE News. « Un éléphant mâle en période de musth est comme un humain sous méthamphétamine, il est incontrôlable. »

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Selon Wiek, la charge de travail à laquelle font face les éléphants et la demande qui pèse sur les dresseurs qui travaillent sans jours de repos signifie que les éléphants mâles sont très peu adaptés à ce genre d'activité.

« Ne pas travailler n'est pas une option, même si l'éléphant est malade ou si le cornac est malade », a indiqué Wiek. « Il y a une très forte pression financière sur ces gens. »

Cette pression vient du fait qu'un éléphant peut coûter jusqu'à près de 45 000 euros, et les cornacs qui possèdent leur propre éléphant les achètent souvent grâce à des crédits arrangés de manière informelle — dont les taux sont parfois astronomiques d'après Wiek.

De nombreux autres éléphants sont possédés par des familles fortunées qui ont très peu de contact avec l'animal lui-même, et qui désirent seulement faire autant de profit que possible. Wiek estime que près de la moitié des 3 000 éléphants qui travaillent en Thaïlande sont possédés par moins d'une dizaine de familles puissantes — ce qui d'après lui représente un obstacle pour toute tentative de réforme significative dans ce milieu.

Dans les deux cas, le propriétaire de l'animal doit payer des frais au mois ou à la semaine. Ils sont versés aux parcs où ces animaux sont en activité, ce qui rend tout congé très difficile au niveau financier pour les cornacs.

« Les cornacs travaillent de longues heures sans aucun jour de repos. Nombre d'entre eux sont forcés de surexploiter leur éléphant pour gagner assez d'argent afin de nourrir leur animal et leur famille », nous a expliqué Louise Rodgerson, fondatrice de l'ONG de protection des éléphants Ears Asia, basée à Hong-Kong.

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« La nouvelle génération de cornacs , ce sont des adolescents et des jeunes hommes qui n'ont pas les années de formation dont disposaient les générations précédentes » nous dit-elle.

D'après elle, les pressions financières sur les cornacs les poussent à infliger des souffrances impensables à des éléphants qui parfois ne sont âgés que de six mois, dans le but de les briser et de les forcer à se soumettre aussi rapidement que possible. Désigné par l'appellation cérémonielle « Phajaan », ce procédé représente des jours et parfois des semaines de torture faite à l'aide de crochets, couteaux et clous.

« Plus vite l'éléphant apprend à peindre, à faire un numéro, rouler sur un vélo ou jouer au basket-ball par exemple, plus vite les cornacs trouvent du travail dans un camp pour gagner de l'argent », a-t-elle indiqué.

Dès l'âge de six mois, les éléphants sont soumis à des souffrances extrêmes pour les forcer à se soumettre. (Photo de Ears Asia)

Les pressions financières font que même les éléphants impliqués dans des incidents mortels ont peu de chance d'être mis hors-service. L'éléphant responsable de la mort de Gareth Crowe bénéficiera d'un repos de 15 jours avant d'être remis au travail, a indiquél'agence Associated Press.

Edwin Wiek a ajouté que cela n'était pas une surprise, alors que l'éléphant qui a tué la touriste britannique Andrea Taylor en avril 2000 serait encore exploité par l'industrie du tourisme.

Dans le même temps, Wiek estime que le fait que le cornac de l'éléphant impliqué le 1er février dernier était un immigré sans expérience venu de Birmanie est symptomatique d'une industrie reposant énormément sur la main d'oeuvre immigrée précaire.

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« La vie d'un Birman en Thaïlande ne vaut rien, donc si un Birman est tué ce n'est pas un problème. C'est presque comme si un animal était tué », a déclaré Wiek. « Il y a beaucoup d'emplois que les Thaïlandais ne veulent tout simplement plus faire, mais les Birmans feraient n'importe quoi pour gagner un peu d'argent et l'envoyer à leurs familles. »

D'après la militante Andy Hall, spécialisée depuis plus de dix ans dans la lutte pour défendre les droits des travailleurs immigrés en Thaïlande et en Birmanie, les immigrés birmans souffrent souvent d'abus et sont régulièrement blessés sérieusement par des éléphants.

« J'ai vu de nombreux corps [d'immigrés birmans] déchiquetés et mutilés par des éléphants », a raconté Hall à VICE News. « Le premier immigré mort que j'ai vu était dans une morgue d'un hôpital à Chiang Mai, des blessures édifiantes, déchiqueté par des éléphants. »

Le tourisme représenterait plus de 22 pour cent du PIB de la Thaïlande — soit près de 86 milliards de dollars. Les balades et spectacles impliquant des éléphants sont très populaires auprès des quelque 25 millions de touristes annuels. Difficile de croire que cela changera bientôt.

Les bébés sont séparés de leur mère et mis au travail le plus tôt possible dans des environnements stressants et agités. (Photo de Ears Asia)

Le problème du lien entre tourisme et maltraitance animale est illustré par l'affaire en cours visant le « Temple du Tigre » en Thaïlande. L'ONG Cee4life l'accuse de trafic d'animaux dans un rapport publié le mois dernier.

Reposant sur des années d'enquête, ce rapport accuse des moines et d'autres personnes — y compris de nombreux étrangers — d'avoir été complices d'élevage à marche forcée d'animaux. Pendant une dizaine d'années, plus de 100 tigres (bébés et adultes) ont tout simplement disparu du « Temple ».

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D'après Sybelle Foxcroft, la fondatrice de Cee4life, seuls 147 tigres étaient présents dans l'enceinte du temple, alors qu'ils auraient dû être au moins 281, d'après les preuves et certificats de naissance recueillis. Plusieurs de ces tigres ont vraisemblablement été envoyés illégalement dans des pays voisins, comme le Laos.

Les tigres sont également drogués régulièrement. Un animal — utilisé pour des photos avec des touristes — a été testé positif à la kétamine (un tranquillisant vétérinaire) alors que d'autres tigres recevaient de la nourriture chargée en huile de haschich.

Suite à ce rapport, les autorités ont commencé à saisir les tigres. Mais puisque ce temple génère un revenu supérieur à 3 millions de dollars chaque année, sans compter les importantes donations non-déclarées émanant de puissants mécènes, Foxcroft estime qu'il n'y a peu de chance pour que ce temple soit fermé.

« Ils sont déjà en train de s'arranger », nous a-t-elle indiqué. « Cet endroit a des tentacules qui remontent très haut, partout. »

Les militants avec qui VICE News s'est entretenu s'accordent à dire que la faute incombe aux touristes qui alimentent ces activités.

« Certains d'entre eux n'ont pas l'air de se demander "Comment ce puissant prédateur sauvage m'autorise à lui faire un câlin ? " », nous a dit Foxcroft. « C'est juste un manque d'éducation, et tant que les gens n'ouvrent pas les yeux sur la cruauté qu'ils [les animaux] subissent, elle ne va pas changer. »

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Suivez Charles Parkinson sur Twitter : @charlesparkinsn