Des sociétés militaires privées contre Boko Haram

En 2015 et 2016, plusieurs rapports – tantôt sages, tantôt hyperboliques – ont fait état de la décision du gouvernement nigérian d'engager des sociétés militaires privées (SMP) afin d'épauler ses forces armées dans leur lutte contre Boko Haram. Les SMP sont omniprésentes dans les zones de conflit, où elles gèrent souvent la sécurité et la logistique pour le compte des États-Unis et de leurs alliés. Malgré tout, cette récente décision inquiète et pourrait bien être la source de futurs conflits dans la région et dans le reste du monde.

J'ai discuté avec Sean McFate, un professeur et ancien mercenaire qui a participé à des opérations privées au Liberia et au Burundi. Il m'a expliqué en quoi ce déploiement était important.

VICE : Le Nigéria a récemment employé des mercenaires pour freiner Boko Haram, ce qui a beaucoup fait parler. Les mercenaires sont pourtant omniprésents en Irak et en Afghanistan, où ils représentent 50 % des forces déployées par les États-Unis. Pourquoi leur présence au Nigéria fait-elle autant jaser ?
Sean McFate : Pour au moins deux raisons. D'abord, il faut souligner qu'ils ont été engagés et que ça n'a choqué personne sur place – en tout cas, pas autant que cela aurait choqué il y a 20 ans. Cela prouve que les États-Unis et le Royaume-Uni ont démocratisé le recours aux SMP. Ensuite, le Nigéria est la grande puissance de l'Afrique de l'Ouest et possède la plus grosse armée. Pourtant, il n'a jamais réussi à arrêter Boko Haram. Le gouvernement a fait appel à des mercenaires pour s'en charger – ce qu'ils ont fait en l'espace de quelques semaines. On en vient à penser que les mercenaires sont plus efficaces qu'une armée régulière.

Après cela, c'est l'équipement de ces types qui a attiré l'attention. Ils possèdent tout de même des hélicoptères d'attaque Mi-24 – de vrais tanks volants. Ils ont mené des opérations offensives avec des armes extrêmement lourdes.

On n'en sait pas vraiment plus sur les conditions de leur embauche. Il y a eu beaucoup de spéculations. Je pense que Goodluck Jonathan, le président sortant, a voulu jouer la carte de l'armée puissante afin d'être réélu – à la base, les mercenaires n'étaient pas supposés jouer un rôle aussi important.

Cette opération a été bien plus sanglante que d'habitude.
Ces mercenaires ne rigolent pas. Cela n'avait rien à voir avec les actions des SMP en Irak – où elles ne font que protéger les bâtiments et les citoyens. Là, c'était de l'offensive pure et dure, et ils ont fait un super boulot. En tout cas, un boulot efficace.

Vous pouvez développer ? Ils ont été efficaces, mais est-ce qu'ils représentent une solution à long terme pour régler les problèmes de la région ?
Ils ont été efficaces opérationnellement, mais je pense qu'il y a beaucoup d'autres éléments en jeu au Nigéria. Bien sûr, la question primordiale est de trouver comment battre Boko Haram. Jusqu'à présent, les SMP n'ont fait que repousser les terroristes dans les pays voisins.

Ensuite, il s'agit d'anticiper les conséquences que pourrait avoir cette émergence de mercenaires. Que ce soit les États-Unis, le Royaume-Uni ou les pays européens présents en Irak et en Afghanistan – personne ne les contrôle. Ils sont partout. En ce moment, ils sont au Yémen. Le phénomène est mondial. Pour moi, cela présage surtout plus de guerres à venir.

Pourquoi certains pays font-ils appel aux SMP ? Comme vous l'avez dit, ces mercenaires sont mieux armés, mieux entraînés et donc plus efficaces que les forces régulières. Quels sont les autres avantages ?
Il y en a plein. Cela coûte moins cher d'employer ponctuellement une SMP que d'entretenir une armée permanente. Cela permet également d'éviter les problèmes de corruption, et les officiers à l'ambition politique démesurée. Les SMP représentent une bonne alternative pour les petits pays riches qui veulent faire la guerre mais qui n'ont pas assez de citoyens pour former une armée. C'est le cas des Émirats arabes unis, qui voudraient se battre aux côtés de l'Arabie saoudite.

La plupart de ces mercenaires sont d'anciens militaires sud-africains ayant été actifs pendant l'apartheid. Cet héritage pose-t-il problème dans la région ?
Le plus gros problème réside dans la ressemblance entre ce qui se passe actuellement au Nigéria et l'Executive Outcomes (EO), une société militaire privée sud-africaine qui a mené des campagnes militaires au début des années 1990. L'EO représente à la fois l'apogée et le nadir de cette industrie militaire. Société très efficace au combat – bien plus que ne l'était Blackwater – c'est elle qui a montré l'étendue du pouvoir des mercenaires.

Beaucoup de mercenaires engagés par le Nigéria en 2015 en faisaient partie. L'initiative du Nigéria a plus ou moins ressuscité le fantôme de l'EO. Des lois contre les mercenaires existent en Afrique du Sud, parce qu'aux yeux du gouvernement, ces mecs doivent être arrêtés. Mais, mis à part dans ce pays, les gens n'y prêtent pas vraiment attention. Je pense que certains y voient une opportunité à saisir pour lutter contre Al-Shabbaab ou l'État islamique.

Les conditions du déploiement des mercenaires au Nigéria ne sont-elles pas plus obscures que d'habitude ?
En réalité, aucune loi n'interdit le recours à des soldats privés. Pour le gouvernement nigérian, ces mercenaires sont une opportunité : ils ont ramené leur propre matériel, dont des hélicoptères russes chargés de missiles.

Les mercenaires ne sont pas une menace pour le Royaume-Uni et les États-Unis, mais ils pourraient en devenir une pour des pays plus faibles. Est-ce qu'ils vont faire un coup d'État ? Je n'en sais rien, mais s'ils peuvent venir à bout de Boko Haram, il y a de quoi se poser la question.

Quel est le futur des SMP selon vous ?
Les États-Unis et leurs alliés mettent fin à certains contrats juteux qu'ils avaient en Irak ou en Afghanistan, donc le marché se diversifie. Les Émirats arabes unis et le Nigéria embauchent ces mecs – il y a une offre et une demande.

Je pense que l'on va constater une augmentation du recours aux SMP, qui vont mener de courtes actions offensives et faire le sale boulot que les armées régulières ne veulent plus faire.