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Charlie Hebdo

Premiers sites bloqués pour apologie du terrorisme par la police française

Cinq sites Internet ont été visés par une procédure inédite de blocage a annoncé ce lundi, le ministère de l’Intérieur français. Dans les faits, le blocage n’est pas franchement hermétique, les cibles assez confidentielles.
Pierre Longeray
Paris, FR
Capture d'écran d'un message du ministère de l'Intérieur affiché à la place d'un des sites visés.

Cinq sites Internet faisant l'apologie du terrorisme ont été visés, la semaine passée, par un dispositif de « blocage administratif », c'est-à-dire sans avoir besoin de l'accord d'un juge, prévu dans le cadre de la loi pour la lutte contre le terrorisme votée en novembre 2014, avant les attaques de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher . Si l'un des cinq sites a bien été bloqué — il affichait lundi un message du ministère de l'Intérieur avertissant que le site présentait un « contenu [qui] fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme, » les quatre autres sites sont toujours accessibles ce mardi midi. Il s'agit de la seconde application concrète des nouvelles dispositions contenues dans la loi antiterroriste française, adoptée en novembre 2014, après la confiscation de passeports de potentiels candidats au djihad en février dernier.

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L'article 12 de la loi de lutte contre le terrorisme adoptée en novembre permet le blocage administratif de sites Internet faisant l'apologie d'actes terroristes. L'adoption de cette loi (et de cette disposition largement décriée) s'est faite dans un contexte tendu, où les départs de candidats français du djihad vers la Syrie et l'Irak se multipliaient, la France se découvrait alors l'un des pays européens qui fournissait le plus de djihadistes à l'EI. Internet a rapidement été pointé du doigt par les autorités comme un vecteur de radicalisation qu'il convenait de contrôler.

Le blocage de site Internet était déjà possible avant 2014 mais l'autorisation d'un juge était indispensable. Dorénavant, grâce à la nouvelle loi, un simple service de police peut ordonner la fermeture d'un site. Il s'agit de la même méthode retenue dans le cadre de la loi Loppsi 2 (Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure adoptée en 2011) qui permet de bloquer l'accès à des sites pédopornographiques.

Après les attaques de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve avait estimé que « 90 % de ceux qui basculent dans des activités terroristes au sein de l'Union européenne, le font après avoir fréquenté Internet - des sites, des blogs, des vidéos, » un chiffre largement discuté — la plupart des terroristes ayant frappé la France ont été radicalisés en prison.

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L'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) a été chargé du blocage des sites concernés. Le premier site bloqué c'est islamic-news.info, rendu inaccessible en fin de semaine dernière. Il s'agit d'un site « pro djihad assez peu influent, » selon le spécialiste des mouvements djihadistes et journaliste pour RFI, David Thomson. L'hébergeur du site — la société OVH basée à Roubaix — a vigoureusement critiqué, par la voix de son directeur, Octave Klaba, la méthode employée par les autorités françaises. Klaba n'aurait pas été prévenu du blocage du site dont il est responsable de l'hébergement.

Pq personne ne nous a notifié LCEN pour fermer le site — Octave Klaba / Oles (@olesovhcom)16 Mars 2015

En théorie, les autorités doivent, en premier lieu, prévenir l'hébergeur ou l'éditeur et lui demander de retirer le contenu faisant l'apologie du terrorisme. S'ils ne sont pas joignables dans les 24 heures ou s'ils s'y refusent, l'OCLCTIC peut se rapprocher des fournisseurs d'accès à Internet et leur imposer de bloquer l'accès au site concerné.

Ce type de méthode est décrié par les défenseurs de la liberté d'expression et du respect de la vie privée. Le blocage administratif se fait sans décision de justice et peut donc paraître arbitraire. Le ministère de l'Intérieur a, sûrement pour éviter les critiques, confié un rôle de contrôle du bien-fondé des blocages à un magistrat de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), Alexandre Linden.

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Plusieurs observateurs doutent aussi de l'efficacité d'une telle mesure, de nombreuses stratégies de contournement existent pour accéder aux sites bloqués. Il suffit de faire croire virtuellement que l'on tente d'accéder au site depuis un autre pays — une manipulation assez simple d'accès. Les sites visés ne sont en effet bloqués qu'en France et de simples logiciels peuvent « délocaliser » votre machine.

Ce mardi midi, les quatre autres sites étaient d'ailleurs encore accessibles. Le ministère de l'Intérieur a expliqué lors d'un point presse lundi après-midi, que le dispositif était encore « en rodage ». Contacté par VICE News ce mardi matin, le ministère n'a pas été en mesure de répondre à nos questions dans les délais de cet article pour nous expliquer pourquoi ces sites annoncés comme bloqués lundi étaient encore accessibles le mardi midi.

Parmi les sites concernés par le blocage, un site anglophone, intitulé Jihad Zone, publie pêle-mêle : Inspire (le magazine d'Al-Qaïda), des vidéos de Jabat Al-Nusra ou de l'organisation État islamique (EI), mais encore des conseils pour apprendre l'arabe. Le rédacteur du site annonçait le 5 mars dernier qu'il ne le mettrait pas le site à jour pendant quelques temps, disant qu'il devait s'absenter.

Un autre site visé par la procédure a été présenté par l'AFP comme le site du Al-Hayat Media Center (un des organes de propagande de l'EI). Al-Hayat n'a pourtant pas de site Internet, mais simplement un compte Twitter (qui est encore actif). Il s'agit probablement d'un simple site de sympathisant indépendant de l'EI, selon plusieurs spécialistes du djihadisme en ligne.

Troisième site visé par la procédure, Jihadmin, diffuse toutes sortes de vidéos de propagande pour le compte de nombreuses organisations terroristes sans marquer son appartenance à un courant en particulier. Enfin, le dernier site concerné est en langue arabe et s'intitule « État islamique en Irak et au Levant ». Il s'agit d'un blog à l'esthétique amateuriste qui compte seulement trois posts, datés d'octobre 2014, qui renvoient vers des chants islamiques et une vidéo depuis supprimée.

Le magazine Télérama révélait ce lundi qu' « Une liste contenant jusqu'à 50 noms de plateformes a été transmise à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat). » D'autres fermetures sont donc à prévoir.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Capture d'écran d'un message du ministère de l'Intérieur affiché à la place d'un des sites visés.