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Procès Neyret : comment fonctionne le système des « indics » de la police ?

Les relations troubles de l’ex-commissaire Michel Neyret avec ses informateurs sont au coeur de son procès.
Pierre Longeray/VICE News

Lundi, un procès à la portée médiatique retentissante s'est ouvert au tribunal correctionnel de Paris. L'ancien policier Michel Neyret y est jugé pour « corruption et trafic d'influence passifs par personne dépositaire de l'autorité publique, association de malfaiteurs, violation de secret professionnel, recel, trafic de stupéfiants, détournement de scellés et blanchiment ». Toute la question du procès est de savoir si le policier a été utilisé par ses informateurs qui l'auraient fait basculer du mauvais côté.

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Ce qui intrigue, c'est le profil du policier jugé. Michel Neyret, 60 ans, est une figure de l'antigang, souvent présenté comme l'un des meilleurs flics de France. Il a été à la tête de la Brigade de recherche et d'information (BRI) de Lyon à partir de 1984 puis, dès 2007, numéro 2 de la Direction interrégionale de la Police Judiciaire dans la même ville. Il est notamment soupçonné d'avoir fourni des renseignements et des services à ses informateurs, en échange d'un enrichissement personnel.

Michel Neyret a longtemps été encensé pour ses états de service. Détenteur de la Légion d'honneur, il s'est illustré par de nombreux succès entre la fin des années 1980 et les années 2000. Comme le rappelle le site francetvinfo, il a entre autres participé à retrouver une partie du butin de 11,6 millions d'euros du convoyeur de fonds Toni Musulin en 2009.

Mais en février 2011, tout dérape. La Brigade des stupéfiants met en place des écoutes, après la saisie de 100 kg de cocaïne à Neuilly-sur-Seine. Au cours de conversations entre deux suspects, Yannick Dacheville et Gilles Benichou, ce dernier mentionne son informateur haut placé dans la police, qui pourrait les aider. Cet informateur est identifié comme étant Michel Neyret, qui est alors lui aussi placé sur écoute. L'Inspection générale est saisie et l'ancien commissaire est interpellé le 29 septembre 2011 à son domicile.

« Depuis que tu lui donnes du fric, c'est plus le même. Parce que monsieur il sort, monsieur il va dépenser […]. Il passe tout dans le champagne, dans ses soirées […]. Tu me l'as pourri, Michel. […] Maintenant, il est plus voyou que les autres. Mais arrêtez, arrêtez, il est obnubilé par le fric, le fric, le fric. » Ces mots, cités par Le Monde, ont été lancés par Nicole, l'épouse de l'ex-commissaire, lors d'une conversation téléphonique avec Gilles Benichou, interceptée pendant l'enquête. La femme du policier et ses informateurs sont également jugés lors de ce procès.

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Face à la barre, Michel Neyret a quant à lui défendu son travail au sein de la BRI. « Je n'ai jamais donné une information qui a empêché une enquête de se développer. » Lui qui voulait établir une « relation de confiance » avec ses sources, comme le rapporte le journal Libé ration, admet cependant qu'une ligne a été franchie. « À l'époque, je pensais maîtriser totalement les choses. Peut-être que finalement, j'ai été débordé par la situation. » Symbole des pratiques de « l'ancienne école », cette affaire questionne tout le système des indicateurs, communément appelés « tontons ».

Pour Christian Lestavel, ancien braqueur qui a ensuite travaillé pendant vingt-cinq ans — non pas comme indicateur, mais comme infiltré pour les renseignements généraux — ces méthodes sont indispensables aux policiers pour faire correctement leur métier. « Il faut savoir si on veut une police d'action ou non », nous explique l'auteur de Nom de code : La Loutre . « La police française est considérée comme l'une des meilleures au monde parce que, faute de moyens, elle est sur le terrain, et les résultats sont là. » Lestavel n'a jamais travaillé directement avec Michel Neyret, mais il nous explique avoir croisé des gens qui ont travaillé avec lui. Pour lui c'est « un homme d'honneur et un grand flic » qui a été « victime de son enthousiasme ».

« Une histoire d'hommes »

S'il est aussi vieux que la police, le système des indicateurs a été encadré et légalisé dès 2004, par la loi Perben II sur la criminalité organisée. Le Bureau central des sources (BCS) a été créé, sous l'égide de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et rattaché au SIAT, le Service interministériel d'assistance technique. Ce répertoire très bien gardé et confidentiel enregistre les informateurs recensés à qui l'on associe un matricule. Dans le cadre de l'affaire Neyret, l'ancien policier n'avait cependant pas inscrit Gilles Benichou dans cette liste.

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La loi a aussi instauré le régime juridique particulier concernant la rémunération des indicateurs. Un arrêté du 20 janvier 2006 précise ainsi que le montant de la rétribution est fixé « par le directeur général de la police ou de la gendarmerie nationales, sur proposition du chef de service ou de l'unité de l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête », sans recours possible. Le versement « fait l'objet de l'établissement d'un reçu, signé par le bénéficiaire, conservé de façon confidentielle et protégé par le service ou l'unité d'enquête. » Tout cela, pour éviter les dérives et les paiements arbitraires de main à main.

Dans une enquête publiée en 2011, Les Indics. Plongée au coeur de cette France de l'ombre qui informe l'État, le journaliste du Figaro Christophe Cornevin assure que « selon un dernier état des lieux, cette banque de données ultra-secrète abrite mille sept cents numéros de code, soit autant d'indics. » Il évoque également les tarifs fixés « de manière assez précise », allant de 50€ à 100 000€, « pour des informations concernant certains dossiers d'envergure internationale ou d'une très haute sensibilité politico-policière ».

Dans une interview accordée à Libération en 2015, Frédéric Veaux, directeur central adjoint de la police judiciaire, expliquait que le travail de recruteur n'est pas destiné à n'importe quel policier. « On est face à des profils compliqués. Il faut les gérer, répondre au téléphone, parfois plusieurs fois par jour, les rassurer. Et réussir à les fidéliser. »

Christian Lestavel, qui a été recruté par la DCRI par l'intermédiaire du patron de la police judiciaire de Versailles avec qui il entretenait une relation d'amitié, évoque « une histoire d'hommes ». Lui qui a côtoyé durant sa carrière des indicateurs, explique : « C'est une sorte de deal. On les laisse fonctionner. »

Pour réguler le système, une « liste noire » a aussi été établie au sein du SIAT, partagée avec Europol. Selon le livre de Christophe Cornevin, « en France, elle abrite les noms d'une cinquantaine d'informateurs infréquentables » parce que trop dangereux ou trop peu fiables.

Le procès de Michel Neyret, qui a placé au coeur des discussions ce système encore méconnu, devrait se dérouler jusqu'au 24 mai.

Suivez Solenn sur Twitter : @SolennSugier