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Irak

Ce que va faire la quarantaine de militaires français déployés en Irak

Deux détachements d’instruction opérationnelle vont être déployés en Irak pour former les forces armées irakiennes et les combattants peshmergas kurdes opposés à l’organisation État Islamique.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via État major des armées / armée de l'Air

Le porte-parole des armées, le colonel Gilles Jaron, a annoncé lors d'un point presse ce jeudi que quarante militaires français vont être envoyés en Irak pour former les forces armées irakiennes à Bagdad et les combattants peshmergas kurdes dans le nord du pays à Erbil, capitale du Kurdistan irakien.

Ce déploiement se décompose en deux temps. Contacté par VICE News, l'État major des armées françaises n'a pas voulu donner de dates précises, par mesure de sécurité. Ce que l'on sait c'est qu'il doit avoir lieu dans les jours ou les semaines qui viennent. Deux détachements d'instruction opérationnelle (DIO) d'une dizaine d'hommes chacun vont être déployés à Erbil et à Bagdad pour délivrer une formation de 3 mois. L'un des objets de la formation est le désamorçage des « engins explosifs improvisés » (IED).

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En complément, une vingtaine de militaires seront envoyés un peu plus tard dans la capitale irakienne pour conseiller l'état-major d'une force de 5 000 hommes de l'armée régulière irakienne. Les conseils porteront sur la planification et la logistique.

L'armée française avait déjà déployé une dizaine de formateurs, des militaires des forces spéciales, à Erbil, au mois d'août 2014, avant même le lancement de la coalition internationale qui combat l'organisation État islamique depuis le 19 septembre 2014. Ces militaires ont formé les combattants kurdes à l'usage de mitrailleuses et de canons.

L'opération Chammal — nom donné à la participation française au sein de l'intervention de la coalition anti-EI en Irak — mobilise déjà près de 800 hommes qui soutiennent à distance les forces locales dans leur combat contre les djihadistes, via des frappes aériennes. Ces troupes sont réparties entre la base d'al-Dhafra située aux Émirats Arabes Unis (base arrière des 9 avions de type Rafale qui bombardent le territoire irakien), la Jordanie (où sont déployés 6 avions Mirage) et une frégate antiaérienne qui sillonne le golfe arabo-persique.  Le porte-avion Charles-de-Gaulle pourrait se joindre aux opérations dans les mois qui viennent.

Interrogé par VICE News, Jean-Pierre Maulny est directeur adjoint de l'Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des questions de défense. Il distingue trois types de formations dont pourrait se charger la quarantaine de militaires.

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« La formation au commandement et à l'organisation d'une unité par rapport à son commandement. » C'est-à-dire former des commandants et former les subalternes à comprendre et appliquer les ordres des premiers. « La formation à l'utilisation des équipements. Et enfin, une formation particulière à la doctrine opérationnelle de l'enseignant, » ici l'armée française.

La première vingtaine d'experts envoyés en Irak sera répartie entre Erbil et Bagdad, d'abord pour répondre à la menace représentée par les IED — des bombes ou mines artisanales utilisées par l'organisation État islamique pour toucher des convois. Contacté par VICE News, Michel Asencio, ancien général de corps d'armée aérien et ancien conseiller du ministère de la Défense, indique que ces IED sont effectivement « le problème majeur » des forces locales.

Une coalition de formateurs

L'état-major des armées françaises semble suivre une stratégie proche de celle choisie par ses alliés américains. Les États-Unis ont mis ces dernières semaines à disposition 2 000 soldats, déployés dans tout le pays, pour mener des missions d'entrainement des forces irakiennes et aider au guidage des avions pour permettre des bombardements plus précis. L'objectif des Américains est de « former des forces de combat confiantes et compétentes » selon le général américain Dana Pittard, cité par l'AFP début janvier 2015.

Jean-Pierre Maulny estime que cette coalition de formateurs se concertera pour éviter les doublons. « Les Américains et les Français se répartiront les tâches. Mais il n'y aura sans doute pas d'uniformisation des formations, puisque les deux armées ne partagent pas les mêmes doctrines opérationnelles. »

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Le colonel Gilles Jaron a été ferme et précis dans sa déclaration faite hier, quant à d'autres objectifs opérationnels. « Nous ne sommes pas dans une logique où nous nous porterons au contact de l'adversaire. » La veille, le mercredi, l'armée canadienne avait reconnu avoir été accrochée au sol par des combattants de l'organisation EI. Elle a précisé que l'opération était « strictement défensive, » assurant que cet épisode ne dépassait pas le cadre de leur mandat « d'aide et de conseil. »

Former pour mieux se désengager

Michel Asencio estime que cette décision française d'envoyer des formateurs est « sans surprise » et constitue une « porte de sortie » pour les miliaires — avec la formation d'une armée, c'est un retrait qui peut être envisagé.

Jean-Pierre Maulny confirme de son côté que « La formation est un instrument de désengagement. » Il ne s'agit donc pas selon lui d'un désaveu de la stratégie du tout aérien : « Au contraire, c'en est la suite logique. Comme nous l'avons fait au Mali. L'armée intervient dans un premier temps, en tant que " pompier " pour éteindre l'incendie, et pour ensuite former des unités capables d'assurer la sécurité de leur territoire. » Le Directeur adjoint de l'IRIS dresse un parallèle avec l'armée afghane qui comptait 70 000 hommes en 2008. Aujourd'hui elle atteint les 250 000 soldats.

Pour Michel Asencio, des efforts en matière de « cohésion » doivent être menés par les forces irakiennes. « Cela fait près de dix ans que l'on essaye de former une armée en Irak et nous n'avons pas vocation à rester là vingt ans. » Il explique que les peshmergas et les forces armées irakiennes sont « d'excellents combattants lorsqu'ils évoluent en petits groupes de 150 individus. En revanche, un régiment de 1 500 soldats devient quasiment impossible à manier pour l'armée irakienne. Il convient donc de commencer petit, par la formation d'une escouade (quelques soldats) pour aller jusqu'au régiment (1 500 hommes) et atteindre une véritable cohésion d'armée. »

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Gagner la confiance de la population irakienne

Asencio estime que la véritable priorité en Irak c'est « La formation de policiers afin de rétablir la confiance et la sécurité au sein de la population. » Pour regagner la confiance des Irakiens, « les avions et une armée ne suffisent pas, » précise l'expert. « Il faut insuffler dans la population un sentiment de sécurité. Ces territoires sont mis en péril à l'intérieur même de leurs frontières, d'où l'importance d'une police bien formée et efficace. » Des forces de sécurité françaises sont présentes depuis 2005 pour aider la police locale à se perfectionner, précise l'ancien général.

Autre priorité retenue par Asencio, au delà de la formation : le renseignement. « Il faut mener des missions de renseignement humain pour pénétrer l'organisation djihadiste. Une présence au sol permet aussi de procéder à des frappes aériennes plus précises et alors d'éviter les dommages collatéraux. » Interrogé par VICE News sur ce point du renseignement au sol, l'État major des armées n'a pas souhaité s'exprimer.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray

Image via État major des armées / armée de l'Air