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FRANCE

Regrouper les détenus radicalisés ? Mauvaise idée pour la contrôleure générale des prisons

Suite à la publication de son avis « pas favorable », Adeline Hazan nous a expliqué sa position sur le regroupement des islamistes radicaux en prison, annoncé après les attentats de janvier 2015 et expérimenté depuis l’automne 2014.
Prison de Fresnes. Image via Wikimedia Commons / Lionel Allorge

La contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) en France, Adeline Hazan, a critiqué, dans un avis publié ce mardi, le dispositif de regroupement des islamistes radicaux en prison, annoncé par le gouvernement français en janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Le 21 janvier, le Premier ministre Manuel Valls annonçait l'extension de ce dispositif — expérimenté dans la seule prison de Fresnes, en région parisienne — à quatre autres prisons d'ici la fin de l'année. Des dispositifs étudiés par la contrôleure qui a donné ses conclusions.

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Le premier projet pilote avait été lancé fin octobre. Le porte-parole du ministère de la Justice avait à l'époque expliqué à VICE News : « Ce test fait partie d'une réflexion d'ensemble entreprise au ministère de la Justice pour savoir quelle est la meilleure gestion possible des personnes condamnées pour terrorisme. »

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Une extension à laquelle s'oppose aujourd'hui Adeline Hazan. Dans l'avis qu'elle a publié ce mardi, elle explique n'être « pas favorable au dispositif de regroupement tel qu'annoncé par les pouvoirs publics en janvier 2015 », notamment en raison de « risques » liés à la cohabitation de détenus présentant différents niveaux de radicalisation. Elle estime le dispositif insuffisamment encadré en l'état, et craint des risques d'atteinte aux droits fondamentaux des détenus.

Contactée ce mardi après-midi par VICE News, Adeline Hazan estime que « Personne n'a la solution miracle face au problème complexe de la radicalisation, mais appeler aussi vite au regroupement des détenus était précipité. » Et d'évoquer un exemple :

« Quand j'ai visité la prison de Fresnes, je me suis aperçu qu'on avait regroupé un jeune parti en Syrie sur un coup de tête, avec un meneur véritablement radicalisé, » explique-t-elle. « Ce dispositif peut donc être dangereux. »

Chargée, comme elle nous l'a rappelé, de « veiller au respect des droits fondamentaux » des prisonniers et d'assurer un « juste équilibre » entre ce respect et les « considérations d'ordre public et de sécurité », Adeline Hazan a examiné entre janvier et avril cette « Unité de prévention du prosélytisme » (U2P) de Fresnes, et ses équivalents dans trois autres prisons de la région parisienne, à Bois-d'Arcy, Osny et Réau.

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« Outre son caractère potentiellement dangereux, le regroupement de personnes détenues au sein de quartiers dédiés ne découle d'aucune disposition légale applicable, » résume l'avis de la CGLPL.

Adeline Hazan explique que les détenus sont aujourd'hui regroupés suivant leur incrimination — association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste — sans évaluation du niveau de radicalisation réel. Alors que d'autres détenus pouvant être beaucoup plus radicaux sont, selon la CGLPL, laissés avec les détenus classiques. Adeline Hazan appelle donc à la « refonte de la grille » de détection « qui n'est plus adaptée au phénomène actuel de radicalisation » et au « renforcement en moyens humains […] du service du renseignement pénitentiaire. »

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Pour Adeline Hazan, un vecteur de radicalisation en prison, c'est la surpopulation carcérale en France. « C'est une situation qui peut mener à des cas de radicalisation, » nous dit-elle. « Quand un détenu est obligé de vivre dans la même cellule qu'un détenu radicalisé, et qu'en plus il ne peut pas travailler dans la prison à cause de la surpopulation, ce détenu risque d'être radicalisé à son tour. »

La CGLPL estime que « Le gouvernement n'a pas pris la mesure de ce risque, même s'il est conscient de la surpopulation. Il faut faire appliquer la loi de 2009, qui donne le droit à des cellules individuelles. »

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Hazan nous a donné deux solutions alternatives : les programmes de « déradicalisation » et la « dispersion » des détenus radicalisés dans toute la France, alors qu'ils sont aujourd'hui « concentrés dans les prisons de région parisienne, pour être à proximité des juges antiterroristes qui sont tous basés à Paris. »

Avant sa publication officielle, l'avis du CGLPL a été consulté par la ministre de la Justice Christiane Taubira, dont la réponse a été ajoutée en annexe de l'avis. Répondant sur plusieurs points la ministre rappelle notamment que la « dispersion des personnes détenues pour des faits de terrorisme lié à l'islam radical a rapidement été mise en échec » à cause de l'augmentation du nombre de ces détenus, passé de 90 à la fin 2013 à 190 au 6 juin 2015. Christiane Taubira a aussi expliqué que pendant que ce rapport était conçu, des travaux d'amélioration du dispositif étaient en cours, par exemple sur la question de la grille de détection des détenus radicaux, restant « ouverte à toute proposition ».

Parallèlement à ce système de regroupement des détenus radicalisés, Manuel Valls a annoncé, en avril, la création d'une « structure » destinée aux « jeunes de retour de zones de conflit », réservée à ceux « ne faisant pas l'objet de poursuites judiciaires », sur la base du volontariat.

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Prison de Fresnes. Image via Wikimedia Commons / Lionel Allorge