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Somalie

Réinsérer les enfants soldats d’al-Shabaab

Entretien avec une militante qui travaille à la réinsertion d’enfants soldats dans la Somalie des Chebab.

Le groupe terroriste al-Shabaab contrôle encore de larges pans du territoire somalien. Malgré l'intensification de frappes de drones américains, l'organisation affiliée à al-Qaida est toujours influente dans le pays. Et le voisin kényan est souvent le théâtre d'attaques terroristes sanglantes.

Dernière attaque en date : un raid à 30 kilomètres de Mogadiscio, la capitale de la Somalie, ce mardi. Al-Shabaab peut être traduit par « le jeune ». Le groupe recrute effectivement beaucoup parmi la jeunesse désoeuvrée de Somalie ou du Kenya.

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Le centre Elman Peace and Human Rights Center à Mogadiscio entend contrer l'influence des groupes tels qu'al-Shabaab sur les jeunes. Il met l'accent sur l'éducation et l'aide aux populations de jeunes à risques. Le centre travaille aussi à la réinsertion d'anciens enfants soldats de Somalie.

Nous nous sommes entretenus avec Ilwad Elman, fille de la fondatrice du centre — Fartuun Adan— et pilier des missions d'aide aux jeunes.

Ilwad Elman (ici en 2013) cherche à contrer l'influence des groupes comme al-Shabaab sur les jeunes.

VICE News : Comment votre organisation tente de prévenir le recrutement d'un enfant par les Chebab ?

Ilwad Elman : Dans le début des années 1990, nous avions un programme qui ciblait les jeunes hommes cooptés dans les milices de clans. Puis ce programme a ciblé des jeunes qui devenaient des pirates [de la mer]. On est revenus ensuite à la problématique des milices de clan.

Et aujourd'hui, [nous nous] intéressons au phénomène le plus récent, c'est-à-dire al-Shabaab. Ce que l'on observe à travers cette évolution, c'est que les moteurs ou les griefs sont les mêmes. C'est juste un nouveau groupe armé qui se donne l'image d'un sauveur des jeunes gens, en leur donnant une opportunité tangible de se forger une identité, ou en leur donnant une opportunité sur le plan économique.

Donc, le travail que nous faisons en tant qu'organisation, c'est simplement de présenter une alternative. On le fait en donnant aux jeunes des compétences professionnelles, une formation, une éducation […] On investit sur eux, pour lancer des entreprises sociales, on leur apprend à devenir des leaders pour qu'ils puissent convaincre leurs camarades qui sont toujours dans des groupes armés de faire défection.

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Al-Shabaab recrute toujours beaucoup de jeunes en Somalie, quel est l'impact de votre travail ?

[Parmi] les jeunes avec qui on travaille, on trouve des enfants très petits — le plus jeune a sept ans. Il y a aussi un grand nombre de jeunes qui sont recrutés par la force. Et il y a des zones qui sont encore sous le contrôle d'al-Shabaab, où l'on a pas vraiment le choix. Dans ces cas, on a des difficultés à réintégrer les gens, parce que leurs zones d'origine sont inaccessibles, soit pour eux, soit pour nous.

Mais lorsque les jeunes peuvent suivre nos programmes, on leur permet d'amplifier leur message par des vidéos, des photos ou des annonces radios. Ils montrent qu'il y a une vie après les groupes armés. Et cela a eu pour effet de pousser des gens à quitter al-Shabaab.

Les raisons qui ont poussé les gens à rejoindre al-Shabaab ne sont pas nécessairement celles qui les font rester. Ils veulent et ils ont besoin d'aide pour en sortir. Et les meilleures voix pour eux, ce sont celles de ceux qui ont vécu et traversé tout ça. Donc on essaie d'amplifier [ce message].

On explique qu'al-Shabaab maltraite les populations qui sont sous son contrôle. Du coup qu'est-ce qui peut motiver quelqu'un à les rejoindre dans ces zones ?

Il y a une sorte d'obsession générale pour le contre-terrorisme, le contre-extrémisme et le sécuritaire. En bien des points, il semble que ce type de réponse et de politique a un effet contraire [à celui recherché], en ceci qu'elles vont radicaliser et marginaliser les personnes dont on pense qu'elles ont le profil des Chebab.

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Prenez ce qu'il se passe au Kenya en ce moment, avec l'évacuation forcée de réfugiés renvoyés en Somalie, dans ces mêmes conditions qu'ils avaient fuies. C'est un moteur qui peut pousser quelqu'un à rejoindre les Chebab.

Il y a beaucoup de raisons qui peuvent faire que quelqu'un de cet âge rejoigne aujourd'hui al-Shabaab. Mais pour moi c'est plus une question politique que religieuse. Et le facteur économique est encore important. 70 pour cent de la population a moins de 30 ans. Le non-emploi est plus important que jamais. Il n'y a pas d'option viable pour quelqu'un qui veut quitter un groupe armé et reconstruire sa vie.

Quel rôle ont les jeunes chez al-Shabaab ?

Al-Shabaab a réussi à représenter le pouvoir pour des jeunes gens. [Ces jeunes] sont marginalisés et exclus. Sans véritable collaboration entre les gouvernements et les jeunes pour contrer l'extrémisme, nous n'avons pas de solution durable et signifiante.

Le challenge en Somalie, c'est que le gouvernement, la société civile et la communauté autour sont très détachés [les uns des autres]. Et à cause de la situation sécuritaire, tout le monde a peur de tout le monde, particulièrement les jeunes. Tout jeune est perçu comme un coupable ou un potentiel coupable, et là on manque une réelle opportunité : les jeunes pourraient être une vraie chance de paix et de stabilité en Somalie.

Ces dernières années, les USA et l'ONU se sont impliqués davantage sur le plan militaire pour cibler al-Shabaab. Est-ce que la solution est militaire ?

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« Je pense qu'on ne peut pas bombarder une idéologie. Et les frappes de drones qui se produisent en Somalie — comme cela se passe dans d'autres endroits, en tuant des civils innocents — ont eu un effet inverse : al-Shabaab capitalise dessus et [ces frappes] jouent un grand rôle dans leur propagande.

Cela fait que des personnes qui, sans cela, n'auraient jamais soutenu ou eu de sympathie pour al-Shabaab, commencent à se demander pourquoi il est aussi facile pour un gouvernement étranger de jeter des bombes en Somalie en tuant des innocents. Et il n'y a aucune responsabilité. Je pense que c'est très extrêmement dangereux.

Quels sont les défis que vous devez relever ?

Le fait d'être à Mogadiscio et en Somalie, d'opérer dans des régions contrôlées ou non par le gouvernement, cela représente toujours des risques. Mais nous pensons que tout ce qui mérite d'être fait s'accompagne d'un risque. Le fondateur de notre organisation — mon père [Elman Ali Ahmed] — a été tué en Somalie pour le travail que nous menons aujourd'hui.

Il a été tué parce que les seigneurs de guerre de l'époque qui recrutaient des enfants soldats ont vu qu'il s'opposait à leur message de haine.

Ma famille et beaucoup de gens qui travaillent avec notre organisation estiment que nos convictions sont plus fortes que les menaces.

Quelle est la solution au problème al-Shabaab en Somalie ?

Notre approche ne repose pas sur une philosophie complexe. Nous travaillons avec ceux qui sont directement en contact avec les groupes armés, et nous espérons qu'en leur apportant une opportunité, une alternative, ils ne seront pas enclins à intégrer ces groupes. On y voit un certain succès.

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Toutefois, il faut regarder cela sous plusieurs angles. Je ne pense pas qu'une solution militaire puisse défaire al-Shabaab à elle seule. Je pense que les gouvernements devraient considérer la sécurité sous un angle plus holistique, en créant de véritables opportunités pour le citoyen moyen somalien.


Cet article a d'abord été publié sur la version anglophone de VICE News.

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