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FRANCE

Rencontre avec les deux jeunes qui ont tenu un Google doc public sur les réunions à huis clos de la COP21

Deux Néo-Zélandais de 22 et 23 ans ont tenu à jour, lors de la première semaine de la grande conférence sur le climat à Paris, un Google doc public rapportant les négociations qui se tenaient à huis clos, grâce à leur statut d’observateur.
Lucie Aubourg / VICE News

Dans le monde très discret, sinon secret, des négociations de la Conférence pour le climat, ils sont un peu les héros de la première semaine de travail. Ryan Mearns et Hamish Laing, 22 et 23 ans, sont présents à la 21ème Conférence des parties (COP 21) depuis dix jours. En tant qu'observateurs ils ont pu avoir accès à des réunions interdites aux médias. La semaine dernière, ils ont rendu compte ce qu'ils y ont vu et entendu par écrit dans un Google doc public.

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« Nous avons commencé pour de simples questions logistiques », raconte modestement Ryan, l'un de ces deux Néo-Zélandais, directeur de campagne pour une association néo-zélandaise qui promeut la justice sociale. Les deux garçons ont été accrédités à la COP 21 grâce à une association de leur pays, qui a donné la possibilité à huit jeunes de se rendre à la conférence en tant qu'observateurs, un statut qui permet à des membres de la société civile d'être présents lors de négociations auxquelles le plus grand nombre n'a pas accès.

Au départ, ce Google doc devait simplement servir aux dizaines d'autres jeunes observateurs de la Conférence, afin que tous n'aient pas à assister à des réunions que Hamish qualifie honnêtement de parfois « très ennuyeuses ». Dans ce document accessible à tous en ligne, les interventions de chaque pays y sont résumées (en anglais), fidèlement et en direct.

Hamish Laing (gauche) et Ryan Mearns (droite) en train de prendre des notes dans la salle plénière "Seine" (Lucie Aubourg / VICE News)

Peu à peu, le lien vers le document a été partagé sur Twitter, et des représentants d'ONG environnementales ainsi que des journalistes ont commencé à s'y intéresser. « Nous n'avions pas pris conscience de l'importance de ce que nous faisions », nous raconte Ryan. « Et puis des journalistes du New York Times, de Mashable et de Slate nous ont contactés sur Twitter en nous remerciant et en nous disant que ça leur était très utile. » Chaque fois qu'une conférence est couverte par eux, plus d'une centaine de personnes se connectent désormais sur ce document.

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Si la démarche peut sembler étonnamment simple, c'est la première fois qu'un tel document circule. Quand on demande aux deux garçons s'il n'y a rien d'illégal là-dedans, ils répondent simplement : « Nous sommes des observateurs. Si nous ne pouvons pas dire ce que nous voyons, alors quel sens y a-t-il à ce que nous puissions assister à ces réunions ? » De fait, ils n'ont été inquiétés par personne.

Des débats et des GIFs.

Ryan et Hamish ne se connaissaient pas avant, et ont tous les deux décidé de se payer le billet d'avion pour Paris et une petite chambre d'hôtel, près de la gare du Nord, pour assister à leur première COP. « Le changement climatique est l'un des plus grands défis de notre génération », affirment-ils en choeur pour justifier leur investissement.

Hamish étudie l'ingénierie à Londres depuis un an, où il s'est spécialisé dans les énergies durables. Ryan, lui, a étudié la politique. Si au départ les deux observateurs avouent s'être sentis complètement perdus, ils ont vite pris leurs marques dans l'immense centre de conférence du Bourget, qu'ils arpentent désormais d'un pas assuré.

Pour vraiment comprendre pourquoi leur Google doc est intéressant, il faut se plonger dans les arcanes de l'organisation des négociations. Il existe en effet de nombreux niveaux de discussions, plus ou moins fermés, plus ou moins informels.

En haut de la pyramide : les séances plénières, les seules retransmises sur le site de l'ONU, mais où rien n'est réellement décidé. Les bras de fer diplomatiques se jouent en réalité tout en bas de l'échelle, dans les « sous-groupes informels » (spin-off groups), qui portent eux sur des sujets spécifiques, étudiés un par un très précisément.

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Au milieu, on trouve enfin les « groupes de contact » (contact groups), où les décisions sont discutées à un plus large niveau, et où les pièces du puzzle sont en quelque sorte assemblées. C'est aux réunions de ces groupes de contact qu'ont eu accès Ryan et Hamish, contrairement à tous les journalistes — même ceux accrédités.

Dans les couloirs du centre de conférence. (Lucie Aubourg / VICE News)

« Nous avons essayé de rendre compte de l'atmosphère qui régnait dans la salle », explique Hamish. Le document est ainsi truffé des remarques des deux jeunes auteurs — « parle incroyablement vite » ou « déstresse, prend son temps », par exemple — et de GIF humoristiques qui rendent ces interminables débats techniques vivants et surtout plus humains.

Prendre ces notes était aussi le moyen pour eux de suivre le plus attentivement possible les négociations, ce qui leur a permis de constater la mauvaise volonté de l'Arabie Saoudite, accusée par certaines associations de vouloir bloquer les négociations. « Ils le font de manière très diplomatique », précise Harmish. « Il faut savoir lire entre les lignes, mais si vous comprenez l'implication de ce qu'ils disent, en somme ils essaient de tout bloquer. »

Les observateurs de la société civile eux-mêmes tenus à l'écart

L'intégration de la société civile, que représentent Ryan et Hamish, est un problème épineux pour cette 21ème COP. D'une part, à l'extérieur du centre de conférence, des manifestations ont été interdites pour toute la durée du sommet à cause de l'État d'urgence décrété en France après les attentats du 13 novembre. D'autre part, à l'intérieur du sommet, l'implication des 14 000 observateurs de la société civile accrédités sur le site du Bourget a été fortement freinée.

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Lors des COP précédentes, les représentants d'ONG pouvaient assister aux fameux spin-off groups, où ont véritablement lieu les négociations. Mais lors de la dernière phase de préparation du sommet, en octobre dernier à Bonn, il a été décidé de les en exclure. « Certaines parties ont estimé que restreindre les spin-off aux seuls États permettra d'avancer plus vite et de manière plus franche », précise le site officiel de la COP 21.

« Je suis très frustré aujourd'hui, car nous n'avons pu assister à aucune réunion », nous a dit Hamish ce mardi. En effet, depuis le début de la deuxième semaine et l'arrivée des ministres des différents pays, l'organisation de la conférence a changé et les observateurs n'ont plus accès qu'à l'équivalent des séances plénières, comme n'importe qui. « Désormais, c'est très dur de vraiment savoir qui bloque quoi et qui soutient quoi », confirme Ryan.

À lire : La deuxième semaine a débuté à la COP 21

Sauver le terme « équité entre les générations »

Puisque leur Google doc ne peut donc plus rendre compte que des réunions auxquelles la plupart des personnes accréditées peuvent avoir accès, ils se rabattent désormais sur les deux autres activités propres aux observateurs : les actions, et le lobbying.

Ce mardi après-midi, Hamish a participé à une action collective organisée par les jeunes observateurs accrédités à la COP 21, qui sont regroupés dans l'un des huit collectifs dédiés à la société civile — en l'occurrence celui consacré à la jeunesse, appelé Youngo. Sur l'avenue principale du centre de conférence, ils se sont placés entre d'immenses crochets, faisant référence aux 900 crochets encore présents dans le brouillon d'accord, et symbolisant des options sur lesquelles les pays ne se sont pas encore mis d'accord et qui peuvent donc disparaître du texte final.

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Ne mettez pas notre future entre crochet. Il faut garder l'équité intergénérationnelle dans le texte — Julie Remy (@JuRemB)8 Décembre 2015

De jeunes observateurs du collectif officiel représentant la société civile à la COP 21 Youngo lors d'une action sur l'avenue principale du centre de conférence, au Bourget. Leur slogan : « ne mettez pas notre avenir entre crochets ».

« Je fais partie du groupe de jeunes qui travaille pour que le terme d'« équité entre les générations » soit présent dans le texte », nous explique Hamish. « Au début de la conférence, il y avait trois mentions de ce terme dans l'accord. Mais samedi dernier [lorsqu'un premier brouillon d'accord a été rendu, NDLR], il n'en restait plus qu'une, dans le préambule. »

Inlassablement, les observateurs tentent donc de discuter auprès de leurs délégations respectives — pour Ryan et Hamish, celle de Nouvelle-Zélande — afin de faire valoir l'importance de conserver tel ou tel mot dans le texte d'accord final, qui doit être signé ce vendredi. Un travail de lobbying pour le moins fastidieux et incertain.

Ryan Mearns (gauche) et Hamish Laing (droite) dans la salle plénière "Seine". (Lucie Aubourg / VICE News)

Quand on demande à Hamish s'il tente de faire en sorte que les deux mentions du mot « équité entre les générations » qui ont été supprimées la semaine dernière soient réintégrées, il sourit et répond simplement : « Nous essayons surtout de faire en sorte que la dernière ne disparaisse pas purement et simplement. »


Mise à jour à 17h14 : Quelques heures après la publication de cet article, une nouvelle version de l'accord a été rendue publique. Le terme "équité entre les générations" n'y figure plus du tout. Immédiatement, sur twitter, Hamish a écrit qu'il s'agissait d'un "triste jour pour les générations futures".

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg