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Crime

Rencontre avec une Française devenue combattante chez les FARC

Natalie Mistral a rejoint le plus gros groupe rebelle de Colombie en 2001. VICE News lui a parlé il y a peu, alors que le groupe devait signer un accord de paix historique.
Photo par Lise Josefsen Hermann/VICE News

Dans la région de Chocó, en Colombie, on peut croiser des unités en patrouille du groupe rebelle le plus puissant du pays, les FARC ou Forces armées révolutionnaires de Colombie.

L'une de ces unités compte une combattante au profil particulier. C'est une Française de 42 ans, elle se fait appeler Natalie Mistral. C'est son nom de combattante. Elle est chez les FARC depuis 15 ans.

Elle n'avait encore jamais parlé à la presse. D'après elle, il n'y a qu'une autre personne née en Europe combattant avec les FARC. Il s'agit de la néerlandaise Tanja Nijmerijer, ou Alexandra Nariño, une membre de l'équipe présente à la Havane pour négocier la paix.

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Nous avons rencontré Natalie plus tôt ce mois-ci. C'était avant l'annonce de la semaine dernière : un cessez-le-feu définitif entre les FARC et les autorités, venant conclure quatre années de négociations d'un traité de paix. La prochaine étape, c'est la signature du texte, probablement avant la fin du mois de juillet. Ensuite viendra le temps du désarmement.

Les FARC sont la guérilla la plus ancienne d'Amérique latine. Ils ont contrôlé des régions entières de la Colombie pendant des décennies. Ils ont financé une guerre d'un demi-siècle avec le gouvernement et des groupes paramilitaires pro-gouvernement en ayant recours à l'extorsion, au kidnapping et au trafic de drogue.

Natalie Mistral n'a pas abordé directement ces sujets, mais elle a répondu à des questions tout aussi délicates sur les FARC, comme le recrutement d'enfants, ou les avortements forcés.

Elle nous a répondu, assise sur un lit en bois, un pistolet à la ceinture.

On a commencé par ses débuts, ce qui l'avait poussée à devenir une combattante rebelle en 2001, à 27 ans.

Elle est née dans la ville de Montpellier, dit être inspirée par les brigades internationales qui ont lutté dans les années 1930, lors de la guerre civile d'Espagne. Elle motive son choix par un sentiment de culpabilité lié au rôle joué par les pays européens dans l'exploitation de l'Afrique et de l'Amérique latine. Rejoindre les FARC, dit-elle, c'était « pour payer les dégâts faits par mes ancêtres ». Elle reconnaît aussi un goût pour l'aventure.

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« Je rêvais de vivre une révolution et j'ai cherché des pays où cela pouvait effectivement se faire. J'étais intéressée par l'Amérique latine, et je me suis d'abord tournée vers le Mexique. Je me suis rendue à La Realidad, un camp zapatiste dans le Chiapas. Après avoir passé un peu de temps avec eux, je suis allée en Colombie pour chercher les FARC. L'idée n'était pas nécessairement de devenir une guérillera. Je voulais aider. Je voulais participer. Il m'a fallu un an pour trouver un contact. »

Mistral explique qu'un commandant des FARC a fini par la convoquer à un rendez-vous avec d'autres étrangers pour une réunion spéciale.

« Le commandant a demandé à chacun combien de temps il comptait rester. La plupart des gens disaient : trois jours, une semaine, quinze jours tout au plus. Il a été surpris quand on lui a répondu un an et demi. Mais on lui a dit qu'on voulait apprendre et faire partie de tout cela, que l'on ne voulait pas retourner dans nos pays, parce que l'on voulait rester ici en Colombie. Alors, il nous a dit qu'on pourrait rester. »

Une fois l'aval du commandant obtenu, les nouvelles recrues ont commencé leur intégration au groupe — ce qu'elle appelle « une école primaire pour la guérilla ».

« Vous étudiez les origines marxistes, léninistes et bolivariennes de l'organisation des FARC. Vous apprenez ce que c'est d'être communiste et ce que cela signifie d'opérer clandestinement. Sur le plan militaire, vous apprenez la théorie, le tir sur cible, vous apprenez à marcher, répondre aux ordres, comment se comporter lors du combat, comment avancer. En somme, vous apprenez la vie de soldat. »

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Mistral dit qu'elle a décidé que c'était là sa vie, en partie parce qu'elle avait toujours été « radicale et aventurière », mais aussi parce qu'elle voulait être fidèle à ses valeurs.

« Je ne peux pas vivre sans être fidèle à mes principes. J'ai réalisé que la lutte armée est une option nécessaire. Ce n'était pas un coup de tête. Ce n'est pas comme si j'avais eu l'idée comme ça, ou parce que j'aimais la guerre. C'était juste que la répression ne laissait pas d'autre voie. »

« Au bout d'un an environ, le commandant m'a appelée, et m'a dit que si je voulais rester, je pouvais rester. Et j'ai dit que c'était ce que je voulais. »

(Photo par Lise Josefsen Hermann/VICE News.)

En tant que nouvelle recrue européenne, Mistral explique qu'elle a commencé par travailler à l'organisation de la solidarité internationale pour les FARC. À cette époque, elle avait encore un passeport français, et elle se déplaçait dans tout le pays, parfois à l'étranger. Et puis, son passeport a expiré. Elle pensait qu'il était trop risqué de le faire renouveler. Depuis sept ans, elle n'a pas quitté la Colombie.

Malgré son entraînement, Mistral nous a dit qu'elle n'avait pas participé à beaucoup d'opérations spéciales sur le front. Elle a en revanche été au coeur de combats imprévus. Par exemple des attaques de l'armée, des bombardements aériens. Il n'y a pas eu de morts dit-elle, mais c'était « impressionnant, très impressionnant ».

Nous avons ensuite parlé de ce qu'être une guérillera impliquait sur un plan plus personnel.

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« Se faire avorter était une obligation — à cause des combats quotidiens et parce qu'il fallait continuer d'avancer. »

« Pour vous marier, il suffit de vous mettre ensemble et de dire au commandant que vous voulez vivre au même endroit. Puis on installe un lit plus grand et on dort ensemble. » Mais la pression de la guerre fait qu'avoir des enfants n'est pas si simple, ajoute-t-elle. « Les FARC sont en guerre, et dans un camp mobile vous ne pouvez pas avoir d'enfants. Les conditions ne sont pas réunies pour suivre une grossesse puis élever des enfants. Ce n'est pas le lieu. Les Colombiens ont des grandes familles et avoir des enfants est un grand accomplissement pour eux. Donc ne pas donner la vie est un grand sacrifice pour eux. »

Au fil de la conversation Mistral semble confirmer les rumeurs d'avortements forcés qui auraient cours dans le groupe.

« Dans le Bloc Est, la guerre était particulièrement rude pendant plusieurs années. Donc pour être honnête, se faire avorter était une obligation. Ce n'est pas parce que le commandant le demandait, mais à cause des combats quotidiens et qu'il fallait continuer d'avancer. »

Elle précise que sur des fronts plus calmes, des rebelles choisissaient de mener à terme leur grossesse. Les femmes étaient alors envoyées en ville pour accoucher. Elle explique que les femmes étaient en suite obligées de revenir au bercail en l'espace de deux ou trois mois — ce qui créait « beaucoup de souffrances ».

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Pour Mistral il était clair dès le début qu'être une combattante de la guérilla signifiait ne pas avoir d'enfants — même si aujourd'hui elle pense parfois à avoir un bébé. « Quand je suis tombée enceinte j'ai tout de suite informé mes superviseurs et organisé tout ce qu'il fallait pour me faire avorter, » se souvient Mistral.

Quand elle évoque les relations qu'elle entretient avec sa famille, Mistral est tout aussi pragmatique.

« Je viens d'une famille classique de la classe ouvrière. Je leur ai toujours dit ce que je pensais, ce à quoi je rêvais, mais ils n'ont jamais vraiment compris. Ils pensaient que j'étais trop extrême, mais ils se sont faits à l'idée. J'ai essayé de leur expliquer et d'entretenir une relation sporadique, » dit-elle. « Mon père était un pacifiste, donc il a eu du mal à comprendre. Il comprenait l'aspect solidaire de la démarche et mon envie de changer le monde, mais il me demandait « Pourquoi avec des armes ? » J'ai essayé de lui expliquer la situation en Colombie, que ce n'était pas seulement une question d'armes, et que c'était le seul moyen de survivre et de se battre. »

La rebelle née en France justifie aussi le recrutement d'enfants au sein des FARC en raison des conditions spécifiques à la Colombie.

« La question des enfants a été largement discutée dernièrement parce que, d'une manière un peu hypocrite, la société colombienne se plaint du fait que l'on a des enfants dans nos rangs, mais de l'autre côté, ils ne se soucient pas de leur bien-être, » dit-elle. « C'est une autre raison qui explique que des enfants rejoignent nos rangs, parce que la Colombie ne leur offre pas les bonnes conditions pour grandir. »

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« Les enfants n'ont alors pas d'espoir, alors les FARC deviennent une porte de sortie. C'est loin d'être la pire option. »

« Un fermier, comme la plupart des membres des FARC, devient père à 15 ans. Les femmes peuvent déjà avoir deux enfants à 15 ans. Les enfants n'ont alors pas d'espoir, et les FARC deviennent une porte de sortie. C'est loin d'être la pire option, parce qu'ils pourraient aussi se retrouver à dealer ou à se prostituer. »

(Photo de Lise Josefsen Hermann/VICE News.)

Mais désormais tout cela est en train de changer.

Alors que la signature du dernier accord de paix est désormais imminente, les FARC ont annoncé en mai dernier qu'ils renverraient tous les combattants de moins de 15 ans à la vie civile — dès qu'ils auront mis au point la manière dont cela doit être fait.

La fin de la guerre signifie que la vie ne sera plus jamais la même pour Mistral et son unité à Choco. La population à majorité noire de la région survit grâce à l'agriculture, la pêche, et la culture de la coca pour survivre. Les bastions des FARC sont concentrés près de la rivière Atrato. Le deuxième plus gros groupe rebelle de Colombie, l'Armée de libération nationale (ELN) y est aussi présente. Tout comme des groupes du crime organisé.

La rebelle assure qu'elle compte rester dans la région, malgré les demandes répétées de sa famille de rentrer.

« À chaque fois que quelque chose est signé, ma mère m'écrit et me demande si je vais rentrer. »

« À chaque fois que quelque chose est signé, ma mère m'écrit et me demande si je vais rentrer. Je lui dis que ma vie est désormais en Colombie, pas en France. Je pense rester à Choco pour deux ou trois ans, parce qu'il y a beaucoup de choses à construire ici, » dit-elle. « Maintenant on peut utiliser tout le temps dédié autrefois à combattre pour faire d'autres activités, comme l'éducation politique. Nous pouvons expliquer ce qui se passe pendant les négociations, l'état de la vie politique en Colombie et échanger avec les gens d'ici. »

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Si Mistral est consciente qu'il va être difficile de gérer les victimes du conflit (tous les belligérants sont accusés de terribles atrocités), elle pense que les rebelles ont aussi des choses à se faire pardonner.

« Nous sommes des victimes du gouvernement et des paramilitaires. Je pense que nous devons pardonner plusieurs choses en Colombie, et cela ne va pas se faire dans la minute. Notre lutte n'est pas personnelle, c'est un combat pour le changement social. Nous n'avons pas de haine, parce que nous savons que la guerre a des conséquences. Mais nous ferons tout ce qui est possible pour reconnaître nos erreurs et demander pardon. »


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Cet article a d'abord été publié sur la version de VICE News en espagnol.