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Crime

Richard Branson divulgue un document de l'ONU qui prône la dépénalisation de l'usage de drogues

L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime a rédigé un document qui appelle à la dépénalisation de la consommation de drogues — un document que l'agence onusienne aurait ensuite essayé d'enterrer.
Photo par Felipe Trueba/EPA

L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) s'est trouvé plongé dans la controverse ce lundi après avoir tenté de se distancier d'un document officiel interne à l'agence onusienne qui plaide en faveur de la dépénalisation des stupéfiants.

Le texte — dont l'auteure est le docteur Monica Beg, chef du département HIV / SIDA de l'ONUDC à Vienne — devait être dévoilé ce dimanche 18 octobre, en concordance avec l'ouverture de la 24e International Harm Reduction Conference (sur les méfaits liés à la drogue) à Kuala Lumpur, à laquelle elle participe. Le document est intitulé « Briefing paper : Dépénalisation de l'usage et de la possession de drogues pour la consommation personnelle ».

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Mais le document n'a finalement jamais été rendu public. Ce lundi, Richard Branson, le PDG de Virgin et défenseur d'une réforme en matière de drogue, a divulgué ce texte (disponible en fin d'article) sur son blog en se félicitant de ce « tournant rafraîchissant qui pourrait enclencher le long chemin vers la fin de l'inutile criminalisation de millions de consommateurs de drogues dans le monde. »

Dans un message qui semble avoir été calculé pour forcer la main de l'ONUDC, Branson — qui a fait partie en 2011 de la Commission globale de politique en matière de drogue, et qui a déclaré par le passé que la guerre globale contre la drogue était un échec — partage son excitation quant au document qu'il révèle.

Le milliardaire britannique écrit sur son blog que l'ONUDC « a désormais exprimé sans équivoque que la pénalisation est nocive, pas nécessaire et disproportionnée. L'organisation est préoccupée par les immenses coûts humains et économiques des politiques antidrogue actuellement en vigueur. Ces inquiétudes ont déjà été soulevées par l'UNAIDS, l'Organisation mondiale de la Santé, le UNDP, le Haut-commissaire aux Nations unies pour les Droits de l'Homme, UN Women, Kofi Annan et le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. »

Il note qu' « au moins un gouvernement » a fait pression sur l'ONUDC pour que l'agence onusienne ne révèle pas le document.

« Espérons que l'ONUDC, une organisation mondiale qui fait partie de l'ONU qui est censé faire ce qui est bon pour les peuples du monde, ne fasse pas un volte-face de dernière minute et ne craque pas sous la pression en ne poursuivant pas son action, » écrit Branson.

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VICE News a cherché à savoir auprès de l'équipe de Branson s'il savait si le texte avait été approuvé par la hiérarchie de l'ONUDC. Au moment où nous publions ces lignes, son équipe n'a pas encore fait suite à notre demande.

Le document de l'ONUDC explique que les formes existantes d'interdiction de consommation de drogues ont mené à de graves conséquences en matière de santé, à la discrimination, aux détentions forcées, et aux emprisonnements à travers le monde.

« Il est montré que la menace de l'arrestation et des sanctions criminelles entravent l'accès à des services de santé indispensables comme des seringues et aiguilles stérilisées, les thérapies de substitution des opiacés ou encore la naxolone pour traiter les overdoses. [Obstruer l'accès à des tels services] encourage le développement des épidémies de sida et d'hépatites C chez les consommateurs de drogues. Cela contribue aussi à des morts par overdose qui auraient pu pourtant être évitées, » peut-on lire dans le document de l'ONU.

Le document cite le dernier des trois traités des Nations unies qui régissent les lois qui encadrent les drogues — la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes signée en 1988 — qui permettent aux États de déterminer seuls les amendes et peines pour les délits liés à la consommation de drogues.

« Dans le monde, des millions de personnes sont emprisonnées pour des infractions mineures liées à la drogue, alors que les provisions des conventions internationales contre la drogue permettent pourtant d'utiliser des alternatives à la prison pour les délits mineurs, » peut-on y lire.

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L'ajustement prôné dans le document de l'ONUDC en matière de drogue n'est pas réellement controversé. Des études ont montré que la dépénalisation peut être un moyen efficace de réduire les risques liés à la drogue. Certains pays, comme le Portugal, ont fait de ce credo leur politique en matière de drogue, ce qui leur a permis d'observer une baisse de la consommation de drogue. Plusieurs agences de l'ONU — notamment l'OMS, UNAIDS et le Bureau du Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme — prônent toutes la dépénalisation avec pour objectifs la réduction des risques et la promotion des droits humains.

« Dépénaliser la possession et la consommation personnelles de drogues rentre dans le cadre des conventions internationales relatives au contrôle des drogues. Cette dépénalisation pourrait être exigée pour répondre aux obligations stipulées dans le droit international des droits de l'homme, » lit-on dans le document de l'ONUDC.

Dans un communiqué publié ce lundi, le porte-parole de l'ONUDC, David Dadge, explique que le document « devait être diffusé et discuté » à la conférence de Kuala Lumpur. Ce document « n'est pas un document officiel de l'ONUDC, et ne peut pas être considéré comme un document qui détaille la politique de l'ONUDC, » explique Dadge. « Le document est encore examiné et l'ONUDC regrette que la nature et l'objectif de ce document [appelé « briefing paper »] aient mal été interprétés. »

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VICE News a contacté des experts partisans d'un changement de la politique antidrogue, présents à Kuala Lumpur. Ils se disent avoir été surpris quand l'ONUDC n'a finalement pas diffusé le document ce dimanche, alors qu'il avait déjà circulé vendredi dernier.

« Nous attendions cette annonce historique, où l'ONUDC aurait enfin reconnu les failles de la pénalisation au niveau international, » explique un expert présent à la conférence. « Nous savions tous qu'ils devaient l'annoncer. »

« Maintenant, l'ONUDC explique que le document devait être débattu à la conférence, » ajoute l'expert, qui s'exprime anonymement. « Cela nous fait tous bien rire, c'est comme dire "Organisons une séance plénière pour discuter d'un document sur lequel nous sommes tous d'accord." »

Ethan Nadelmann, le directeur exécutif de la Drug Policy Alliance, explique qu'il est difficile de croire que le document devait simplement être diffusé dans un cadre privé. Le document portait l'entête de l'ONUDC et il n'était mentionné nulle part qu'il s'agissait seulement d'une ébauche.

« Si vous regardez ce document, vous savez que cela reflète des délibérations internes à l'ONU, » explique Nadelmann.

Plusieurs sources proches de l'ONUDC ont expliqué à VICE News que les États-Unis pourraient être le pays qui a fait pression sur l'ONUDC pour qu'ils ne révèlent pas le document. VICE News n'a pas pu confirmer ces suspicions, mais les États-Unis pourraient faire partie de la petite poignée de pays — avec la Russie et peut-être la Chine — qui ont une telle influence dans l'arène mondiale des politiques antidrogue. Le chef de l'ONUDC, Yuri Fedotov, est russe et était dans le passé l'ambassadeur du Kremlin au Royaume-Uni.

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L'ONUDC, de son côté, est l'une des agences onusienne les plus opaques et fermées. Ses critiques expliquent que son double mandat — combattre le crime international et gérer les problématiques de consommation de drogues — l'ont mené à confondre les deux. Le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, et les partisans d'une réforme, ont poussé pour que l'ONUDC cède une partie du contrôle des politiques antidrogue à d'autres agences de l'ONU — comme l'OMS.

« Nous pensons qu'un État membre a entendu parler de ce document et a mis la pression sur l'ONUDC pour le retirer ou le retarder, donc ils essayent un peu d'effacer les traces, » explique Steve Rolles, un analyste de la Transform Drug Policy Foundation. « Mais le problème que l'ONUDC va avoir est qu'ils ne vont pas pouvoir vraiment toucher au document, puisqu'il est très bien construit et que ce qui y est dit est déjà accepté par les autres agences de l'ONU. »

« Et puis, » ajoute Rolles, « le document est dans la nature maintenant. »

Suivez Samuel Oakford sur Twitter : @samueloakford