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Crime

Rob Ford : une vie de dérapages entre les urnes

Il y a plus d’un an, on lui avait trouvé une forme de cancer rare et agressive. Le maire de la plus grande ville du Canada avait défrayé la chronique au travers de ses multiples procès et écarts de conduite.
Darren Calabrese/The Canadian Press

Rob Ford, l'ancien maire de Toronto rendu célèbre par une vidéo le montrant en train de fumer du crack, en connaissait un rayon en matière de survie.

Moqué et écarté par ses opposants lorsqu'il s'en prenait à la classe dirigeante, Ford a multiplié les scandales tout au long de son ascension politique. Les frasques ont continué pendant ses quatre ans à la tête de la plus grande ville du Canada.

Procès divers, vidéos du maire fumant du crack, cure de désintoxication — rien ne semblait pouvoir ébranler la détermination de Ford, ou affaiblir la marque Ford Nation. Rien sauf son état de santé, qui s'était dégradé cette année et l'avait obligé à se retirer pour un temps de la politique.

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La famille de Ford a annoncé ce mardi que l'ancien maire était décédé, plus d'un an après avoir appris qu'il souffrait d'une forme rare et agressive de cancer. Ford avait 46 ans. Il laisse derrière lui sa femme, Renata, et ses deux enfants, Stephanie et Dougie.

« Un homme du peuple dévoué, le conseiller Ford a passé sa vie à servir les citoyens de Toronto, » a annoncé la famille dans un communiqué. Elle a également demandé au public de respecter sa vie privée.

Pour les habitants de Toronto qui suivent de près les élections aux États-Unis, l'ascension du candidat aux primaires républicaines Donald Trump a un air de déjà-vu. Présenté comme le saint patron de l'électorat mécontent, connu pour son franc-parler et ses rapports tendus avec la presse, un homme "ordinaire" malgré sa fortune personnelle, dont chaque faux pas semble renforcer l'assise politique… Trump ressemble à Rob Ford, du moins avant que Rob Ford ne devienne le Rob Ford connu de tous.

Benjamin des quatre enfants de Doug Ford Sr. et sa femme Diane, Rob Ford a grandi à Etobicoke, une banlieue cossue de Toronto avec espaces verdoyants et centres commerciaux.

Son père était un ancien élu résolument conservateur, co-propriétaire d'une société spécialisée dans la fabrication d'étiquettes appelée Deco Labels & Tags, avec des opérations à Chicago et dans le New Jersey.

Photo de Chris Young/The Canadian Press

Après s'être présenté sans succès aux élections municipales en 1997, il est enfin élu conseiller en 2000, lorsque la ville de Toronto a absorbé les communes périphériques dans son noyau urbain, plus progressiste. Ford multiplie alors les bévues. Il appelle un conseiller municipal italien "Gino," dit qu'une élue est "un gaspillage de peau," et prétend que "les Orientaux travaillent comme des chiens." Il insulte un couple lors d'un match de hockey et se retrouve accusé de violence conjugale par sa femme. Les poursuites sont plus tard abandonnées, en raison d'incohérences dans le témoignage de sa femme.

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Malgré ces dérapages, Ford réussit à élargir son assise politique.

Ford a brillamment cultivé son image de Picsou au franc-parler, tout en déplorant le mépris du gouvernement pour les contribuables. Et les contribuables buvaient ses paroles. Ford était connu pour ses coups médiatiques, comme la fois où il s'est filmé en train d'énumérer les avantages dont profitent les élus municipaux — y compris l'entrée gratuite au zoo et l'accès gratuit aux transports publics.

Ford — qui aimait se balader dans les quartiers avec une équipe de bureaucrates pour rencontrer les habitants — n'avait pas que des fans au sein du conseil municipal. L'annonce de sa candidature aux élections municipales de 2010 en a fait sourciller plus d'un.

Ni une arrestation en Floride dix ans plus tôt pour conduite en état d'ébriété, ni la révélation que Ford avait accepté de fournir de l'OxyContin à un bénévole de sa campagne, n'ont réussi à affaiblir le candidat et son message bien rodé de "respect pour les contribuables."

Ford, qui avait promis de "mettre fin aux avantages de la classe politique," a écrasé la concurrence dans les élections municipales de 2010, et a gagné avec 47% des voix — contre 35% pour son rival.

Lassés d'avoir la gauche au pouvoir depuis des années, les électeurs semblaient apprécier l'idée d'envoyer l'éléphant dans le magasin de porcelaine.

«Il y avait des centaines de milliers de personnes qui pensaient que la ville ne fonctionnait pas pour eux, et qu'il n'y avait aucun espoir que la situation ne s'améliore, » explique Mark Towhey, son ancien chef de cabinet. "Rob Ford était un connard persévérant, têtu, qui n'aurait jamais baissé les bras sur quoi que ce soit."

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Il a tenu ses promesses, abandonnant des projets de transports urbains, supprimant des impôts, et se battant contre les syndicats des employés municipaux pour les forcer à des concessions. Il a défendu un projet de prolongement du métro et s'était engagé à réduire les dépenses de la municipalité.

« Depuis que je le connais, c'était un type assiégé » se souvient Towhey, viré par Ford à la suite du scandale du crack. Towhey a ensuite écrit une biographie du maire : Mayor Rob Ford: Uncontrollable. «Que ce soit fondé ou non, cela variait d'un jour à l'autre. Son identité s'articulait autour du fait qu'il était toujours le type qui se faisait embêter, le gros, ou le petit frère," explique-t-il. Mais c'était justement ces qualités qui l'ont rendu sympathique aux électeurs, qui ont porté avec fierté les couleurs de la Ford Nation. Alors que l'opposition politique ne cessait de croître dans les couloirs de la mairie, les sympathisants de Ford se montraient de plus en plus dévoués.

Le 16 Mai 2013, Gawker a publié un article titré "À vendre : Une vidéo du maire de Toronto Rob Ford en train de fumer du crack." Le Toronto Star a confirmé l'info dans la soirée, affirmant avoir vu les images du maire en train de fumer du crack dans une maison mal éclairée.

Ford a nié les allégations, se disant victime d'une chasse aux sorcières médiatique. Huit jours plus tard, il déclarait: «Je ne consomme pas de crack, et je ne suis pas accro au crack. »

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Photo de Chris Young/The Canadian Press

Ford s'est retrouvé nez à nez avec les médias du monde entier, pourchassé par des reporters dans les rues de la ville.

Après des mois de déni, des conférences de presse à n'en plus finir, de nombreuses démissions au sein de son équipe, des opérations de police contre des membres des gangs (y compris ceux qui avaient essayé de vendre la vidéo), le chef de la police a confirmé qu'il avait l'enregistrement en main. L'ancien chauffeur de Ford a même été accusé d'extorsion pour avoir essayé de récupérer la vidéo.

Un mardi de novembre 2013, à sa sortie d'un ascenseur près de son bureau, Ford a encouragé un petit groupe de journalistes à lui poser une dernière fois « la question ».

« Oui, j'ai fumé du crack, probablement quand j'étais ivre mort, » a-t-il dit.

Malgré sa confession, Ford a refusé de démissionner. Quelques jours plus tard, une autre vidéo sortait, le montrant en train de gesticuler, tenant un discours incohérent. De nouvelles excuses ont suivi, ainsi que la publication de centaines de pages de documents juridiques révélant l'envergure de la surveillance policière à son encontre. Le maire a fermement nié qu'il fréquentait une prostituée, ou bien qu'il avait fait des avances à l'une de ses collègues. « J'ai bien assez à manger à la maison », avait-il déclaré en direct à la télévision, vêtu d'un maillot de football américain. Finalement, le conseil municipal a pris la décision d'intervenir.

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« Et bien les gars, si vous pensez que la politique à l'américaine est dégoûtante, vous venez d'attaque le Koweït », avait déclaré Ford à ses collègues, alors qu'ils lui enlevaient certains de ses pouvoirs de maire.

« Retenez mes paroles, les amis, ça va être une guerre ouverte lors des prochaines élections et je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous battre. Et je n'ai aucune pitié. »

Rob Ford avait effectivement tenté de tenir parole, en lançant une campagne de réélection le 2 janvier 2014. Mais sa notoriété s'est davantage envolée avec une autre vidéo le montrant balbutier ce qui ressemble à du patois jamaïcain, dans un restaurant nommé « Steak Queen ». En mars 2014, il était devenu plus célèbre que n'importe quel maire canadien avant lui en étant reçu à Los Angeles sur le plateau de l'émission Late Night Show de Jimmy Kimmel. « Pourquoi êtes-vous là ? Est-ce que quelque chose de bien peut ressortir de tout cela ? », avait blagué Jimmy Kimmel.

Photo par Randy Holmes / ABC

C'est avec la diffusion d'un enregistrement où on l'entend faire des remarques lubriques à propos d'une membre du conseil municipal — et suite à la diffusion d'une deuxième vidéo le montrant fumer du crack — que Rob Ford a finalement admis qu'il avait besoin d'une aide professionnelle. Il est entré en cure de désintoxication.

Rob Ford avait son retour dans la campagne municipale le 1er juillet 2014, accompagné d'un coach en sobriété, et s'est montré sous un nouveau jour, évoquant la manière dont il avait finalement affronté son pire ennemi : l'homme qu'il voyait dans son miroir. Cette tentative de rédemption avait tourné court alors qu'une forme rare de cancer des tissus mous a été trouvée dans son abdomen.

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Il avait dû se retirer de la course à la mairie, et son frère Doug l'avait remplacé pour mener sa propre campagne en se basant sur la « marque Ford ». Malgré une campagne qui n'a duré que six semaines, Doug Ford est arrivé second, à juste six points du gagnant. Rob Ford avait fait son retour à la mairie, en tant que conseiller municipal cette fois, représentant Etobicoke. Mais il n'avait plus jamais été le même, et après avoir traité les tumeurs avec une chimiothérapie agressive, il avait annoncé en octobre 2015 que son cancer était de retour et qu'il devait se soumettre à une nouvelle salve de traitements.

Rob Ford était optimiste, mais réaliste.

« Je m'étais remis en forme, je me sentais bien, mieux que jamais », avait-il dit à la presse en octobre. « Ce n'est pas bon, ce n'est pas bon du tout, mais tout ce que je peux faire, c'est me battre. Je vais me battre et je ne vais pas m'arrêter de me battre jusqu'au jour où je mourrai. »

Photo de Darren Calabrese/The Canadian Press

Suivez Natalie Alcoba sur Twitter : @nataliealcoba