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Société

Saint-Denis : un refuge pour femmes unique en son genre

Depuis quelques mois, la Maison des femmes de Saint-Denis accueille des femmes victimes de violence : viols, coups, excisions… Reportage dans ce lieu hors normes.
Maison des femmes de Saint-Denis
Durothée Duchemin / VICE News

Recroquevillée sur elle-même, assise les mains cachées entre les cuisses, Myriam patiente dans la salle d'attente (le prénom des patientes citées dans cet article a été changé). Elle a le regard un peu perdu avant son rendez-vous avec la psychologue. C'est la quatrième fois qu'elle vient ici. « C'est un apaisement », confie-t-elle d'une voix à peine audible.

Myriam a 38 ans. Elle est arrivée l'année dernière d'Abidjan, en Côte d'Ivoire. Elle y vivait avec sa fille avant de fuir le pays à cause de la situation politique. Depuis, « je n'ai pas d'endroit où dormir, je vais chez des amis ». Ce qu'elle vient chercher aujourd'hui ? « Un soulagement moral, qu'on s'occupe de moi ».

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Ici, c'est la Maison des femmes de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Ce bâtiment à taille humaine a été inauguré le 8 juillet dernier. La Maison des femmes dresse fièrement son unique étage au cœur d'un îlot de verdure. Des arbres encore feuillus en ce début d'automne ombragent le petit chemin qui mène à la porte d'entrée, depuis la rue. Autour, les pots d'échappement grondent et le béton gris de l'hôpital Delafontaine règne sur le site. Le rouge, le jaune, le vert et le rose lumineux des façades apportent de la couleur, mais aussi de la chaleur, à ce quartier sans relief.

Un parcours de soins dans un lieu unique

La Maison des femmes accueille un planning familial et prend également en charge les victimes de violences.

Les femmes viennent ici « pour un des trois thèmes dont nous nous occupons : le planning familial, l'excision ou la violence. Parfois, il y a un cocktail des trois », détaille Ghada Hatem. Elle est adjointe au chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Delafontaine et médecin-chef de la Maison des femmes. Souvent, leur présence au planning familial dévoile d'autres problèmes. Viols, violences conjugales, inceste, excision… Dans ce lieu unique, toutes les souffrances sont considérées. « La patientèle de Saint-Denis a des besoins autour de ces questions de violences supérieurs à la moyenne des départements français », estime la praticienne, sans qui cette maison médicale d'un nouveau genre n'aurait jamais vu le jour.

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Si Ghada Hatem tenait tant à cette structure, c'était pour donner un espace propre au planning familial, autrefois coincé dans la maternité de l'hôpital, et pour offrir aux visiteuses une prise en charge plus fluide. « Ces femmes-là, si on leur dit 'prenez un RDV dans tel service' — qui sera donné dans deux mois — on sait qu'elles vont se perdre en route. Mais si on leur dit : la psychologue, c'est demain, le sexologue, c'est la semaine prochaine, le parcours devient fléché, c'est beaucoup plus simple ». Et surtout, tout se passe au même endroit, pas besoin de parcourir la ville en tous sens.

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Monique Vereni est conseillère conjugale au planning familial depuis près de huit ans. Elle ressent les changements depuis l'arrivée du service dans ses nouveaux locaux. « On n'est plus caché comme une espèce de verrue », résume-t-elle. « On a l'impression de pouvoir répondre à la détresse de femmes plus rapidement ».

Pour que la Maison des femmes de Saint-Denis puisse voir le jour, Ghada Hatem a remué ciel et terre pendant trois ans, pour trouver les moyens de financer ce projet. La Maison a coûté 980 000 euros. Deux tiers ont été financés par des fonds publics, notamment le conseil régional. Pour le reste, il a fallu frapper aux portes des fondations pour présenter le projet et convaincre. « Oui, j'ai fait de la mendicité éhontée », lâche la gynécologue, sourire aux coins des lèvres. « C'est un projet à la limite du médical, du psychologique et du social, il n'y a pas de cases pour financer ce genre de choses », explique-t-elle.

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La lutte contre l'excision, une priorité

Sages-femmes, conseillers conjugaux, psychologues, sexologues, chirurgiens, juristes, infirmières, personnel du commissariat… On croise plus d'une dizaine de professions dans le bâtiment. « C'est une équipe qui se construit pour croiser les questionnements concernant les patientes », expose avec enthousiasme Karin Teepe, psychologue à temps partiel à la Maison des femmes. La professionnelle intervient également dans un centre de soin pour réfugiés politiques et victimes de tortures. « On retrouve le même public ici. Beaucoup de femmes qui viennent à la Maison des femmes pour des problématiques d'excision ont dû fuir un pays secoué par des crises politiques ».

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Monique Vereni et une patiente

La lutte contre l'excision est l'un des piliers de la Maison des Femmes. La marraine des lieux, la chanteuse et comédienne, Inna Modja, a été excisée à 5 ans. Elle est connue pour son combat contre cette mutilation infligée aux fillettes. À Saint-Denis, la question n'est pas marginale.14 pour cent des femmes qui accouchent à la maternité de l'hôpital Delafontaine — sur lequel s'adosse la Maison des femmes — ont été victimes d'excision.

En Seine-Saint-Denis, « beaucoup de femmes arrivent excisées ou des petites filles sont renvoyées au pays pour être excisées, souvent même contre la volonté des parents », explique Karine Teepe. L'enjeu de la Maison est de proposer une reconstruction physique mais aussi psychologique.

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Un département empoisonné par la pauvreté

La Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de France, et Saint-Denis l'une des villes les plus pauvres du département. Selon les derniers chiffres de l'Insee parus en 2013, le taux de pauvreté grimpe ici à 35,4 pour cent et le taux de chômage à 23,4 pour cent.

Outre la problématique de la pauvreté, « on trouve également beaucoup de femmes qui sont primo-arrivantes récentes. Elles ont très souvent vécu des parcours migratoires complètement chaotiques et des violences pendant l'exil, » détaille Mathilde Delespine, sage-femme coordinatrice de la Maison des femmes. « Cela s'ajoute aux raisons pour lesquelles elles ont quitté leur terre natale : l'excision, le mariage forcé, les violences conjugales, la guerre ou les violences politiques. »

La jeune femme de 30 ans a lancé en 2013 un programme de prévention des violences faites aux femmes et fait le tour de tous les acteurs de la santé périnatale. C'est ainsi qu'elle croise la route de Ghada Hatem, alors chef de service à l'hôpital, qui la recrute pour piloter la structure. « Ici, des femmes dorment dans la rue, elles ont la dalle », déplore-t-elle. « Ça me fait bien rire quand j'entends qu'on dénonce le communautarisme en Seine-Saint-Denis. Ici, malgré toutes ces nationalités différentes, tout le monde se mélange et ça ne pose pas de problème. C'est très riche et ça fait du bien de travailler dans ces conditions », lance-t-elle.

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« Sur le territoire, on trouve une vraie dynamique autour des violences faites aux femmes, ce qui est loin d'être le cas dans tous les départements », défend la coordinatrice. Ainsi, en 2002, l'observatoire des violences faites aux femmes est créé en Seine-Saint-Denis, le premier du genre, qui en inspirera d'autres après lui. « Comme le 93 est un département très carencé dans plein de domaines, les professionnels ont une véritable culture de l'innovation et ont l'habitude de créer de nouveaux dispositifs », argumente la sage-femme.

« Tant que je ne suis pas morte, ça va »

« Je me suis toujours dit qu'en venant à la maison des femmes, je me mettais dans des conditions humanitaires », poursuit Mathilde Delespine. Violette, étudiante en santé publique, la rejoint. « J'ai plus appris en deux semaines ici qu'en cinq ans d'études et de stage dans des grandes ONG partout dans le monde, admet-elle. Quand on arrive ici, le concept de 'terrain humanitaire' perd tout son sens ». Engagement, féminisme, humanisme… La Maison des femmes est un haut lieu du 'féminisme de terrain'. « Il faut avoir envie de protéger les femmes et de leur assurer un destin meilleur, ce qui fait de nous des féministes », reconnaît Ghada Hatem. « Si on n'est pas féministe, si on n'est pas sûr que les femmes sont victimes de sexisme, de violence et d'injustice, on ne peut pas travailler ici », avertit Monique Veneri.

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La conseillère conjugale prend alors à témoin une jeune femme qui n'a même pas 19 ans. Elle vient ici pour avorter. « Mon père n'est pas au courant et mon copain non plus. Il n'est pas prêt à avoir des enfants. Je n'ai pas d'autres solutions que de faire ça ». Elle vit dans un foyer. Elle a été agressée la semaine dernière et n'a plus aucun papier sur elle. « J'ai tout perdu ». Depuis, elle a un gros hématome au pied gauche qui l'empêche de marcher normalement. Pourtant, personne depuis son agression ne l'a orientée vers un médecin. «Tant que je ne suis pas morte, ça va », tempère-t-elle, parvenant à sourire, malgré ses difficultés et son jeune âge.

Un lieu ouvert sur la ville

Les femmes peuvent se présenter ici spontanément. Près de 130 nationalités cohabitent dans ce bassin de population extrêmement dense, « tout le monde baragouine un peu l'esperanto », explique Ghada Hatem. Parfois, c'est Google traduction qui se charge de faire le tampon. Dans le meilleur des cas, un traducteur est disponible par téléphone ou même de visu. Malgré la barrière de la langue, un soin tout particulier est donné à l'accueil des patientes. « La meilleure façon d'accueillir les gens c'est de les accueillir comme vous aimeriez être accueilli vous-même. Et peu importe que vous parliez serbe, croate, rom ou tamoul », observe la chirurgienne.

La Maison des femmes est directement ouverte sur la rue. Les femmes sonnent au portail, et franchissent un petit chemin pour atteindre l'entrée. Dans ce hall aux volumes aérés, on est loin des longs couloirs aux teintes blafardes des hôpitaux. L'architecture intimiste, les murs colorés, Myriam s'en fiche. « Je ne vois pas tout ça, je ne suis pas habituée au luxe. Tout ce que je viens chercher ici, c'est la chaleur humaine », murmure-t-elle alors qu'une larme roule au coin de sa joue. Mais Ghada Hatem en est sûr, « un beau lieu optimise la bonté et l'empathie qui est en vous. Plus vous avez des conditions de travail agréables, plus vous êtes bien disposé à accueillir les gens ».

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Une femme de 21 ans se présente pour un avortement. L'architecture ? « On n'a pas l'impression qu'on vient voir des médecins. C'est super-beau, ça met à l'aise ». La jeune femme apprécie la gentillesse du personnel qui a su gagner sa confiance. « Je me sens plus en sécurité, j'ai moins peur », avoue-t-elle. Karin Teepe insiste : « Les questions de l'accueil et de l'accompagnement sont au centre du traitement des effets de la violence. Ainsi les femmes se sentent entendues, soutenues, portées, accompagnées. Accueillir ces femmes, c'est être attentif à leur souffrance. L'un des effets majeurs des traumatismes, c'est la culpabilité et la honte. Si elles trouvent une écoute, elles reviendront plus facilement ».

Marie vient à la Maison des femmes pour la quatrième fois. Chaque semaine, elle a rendez-vous avec Karin Teepe. C'est son médecin généraliste, à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), qui l'a orientée vers cette structure. Marie est maman de deux garçons. Elle a été victime de violences conjugales et a réussi à quitter son mari, voici trois ans. Durant ces années, elle n'a parlé de son calvaire à personne. « Au moment de la séparation, on m'a orienté vers une structure à Bobigny, pour les victimes de violences conjugales et ils n'ont pas su me recevoir ». Ce jour-là, Marie avait subi la veille un énième épisode de violences. « J'ai eu l'impression d'être jugée et ce n'était vraiment pas adapté à la situation. Je me suis alors dit que je m'en sortirai toute seule, mais non. On ne peut pas s'en sortir tout seul. J'ai besoin d'en parler ». Ici, Marie se sent en confiance. Et si pour l'heure, elle ne se sent toujours pas bien, « je pense que ça va m'aider par la suite ».

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« On a inventé un truc »

La Maison des femmes est une véritable ruche qui se trouve encore en période de rodage. « On est dans les premières fois de tout : premier groupe de paroles pour les femmes excisées, premier accueil collectif pour les femmes victimes de violences conjugales. La semaine prochaine aura lieu le premier atelier pour l'estime de soi », énumère Mathilde Delespine. Et il faudrait déjà pousser les murs du bâtiment de 250m2. Quatre boxes servent à l'examen clinique des patientes, cinq autres sont dédiés aux entretiens, avec les psychologues, sexologues ou conseillères conjugales. À l'étage, une grande salle accueille les réunions d'équipe, les groupes de parole, les divers ateliers et groupes d'expression corporelle. En moyenne, une trentaine de femmes pousse chaque jour les portes de ce refuge. Un calcul qui a été fait peu de temps après l'ouverture. En octobre, c'est beaucoup plus et la fréquentation augmente de jour en jour.

Le bouche-à-oreille a porté ses fruits. « C'est vrai qu'on a du mal à suivre, il va falloir augmenter le nombre d'accueillantes », reconnaît Mathilde Delespine. Déjà, en coulisse, on tire les premiers bilans, pour montrer que ce lieu est essentiel et qu'il est important de le pérenniser. «Très vite on va nous demander des comptes et nous demander de nous justifier. Quelle valeur ajoutée apporte la Maison des femmes ? Il est impérieux, urgent et indispensable de tirer les premiers enseignements dès maintenant », insiste la sage-femme.

Pour l'heure la Maison des femmes a de quoi tenir financièrement jusqu'en 2018. Et ensuite ? Il n'est pas question de douter : « On n'a pas droit à l'échec. On ne peut pas être allés aussi loin, remuer autant ciel et terre pour fermer dans deux ans », affirme Ghada Hatem. Et elle y croit : « On a inventé un truc. Les gens nous ont regardées d'un drôle d'œil, notamment les financiers et les politiques, mais maintenant que ça marche, ils se demandent s'il ne faudrait pas modéliser le concept. Et ça veut dire qu'on a gagné ».


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